Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore, — 1885 (10)

Victor HugoToute la Lyre
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en disant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut! déesse Aurore!

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante:
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Erymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

Q17 – T21

En tout temps, comme en tout séjour, — 1885 (9)

Emile Blémont La belle aventure

Sonnet galant

En tout temps, comme en tout séjour,
Ils remporteront la victoire
Vos yeux pleins de lumière noire,
Vos yeux bruns imprégnés d’amour.

A quoi bon porter tour à tour
L’or, l’argent, le satin, la moire?
Dévoilez plutôt votre gloire,
Beauté plus belle que le jour!

Aimons-nous sans menteuses luttes!
Un baiser de quelques minutes
Vaut toute une heure à babiller.

Faire toilette vous amuse:
Parez-vous, ma petite muse,
Puis laissez-vous déshabiller.

Q15 – T15 – octo

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté, — 1885 (7)

Stanislas de Guaita Rosa mystica

A Charles Baudelaire
« O mort, vieux capitaine…  »

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté,
Maître, que le poëte au coeur chaud t’édifie
Un sépulcre: le jaspe fraternel défie,
– Comme tes vers – l’affront de l’âpre vétusté.

Or l’envie est muette; et le siècle, dompté
Par ton rythme en chantant, Maître, te déifie,
De Paris à Moscou – jusqu’à Philadelphie,
Et ton nom, clair de gloire, aux astres est monté.

L’Ame mystique vit son rêve d’outre-tombe!
Montre-toi donc, poëte, et que le rideau tombe,
Qui voile l’Elysée où sont les demi-dieux!

Ouvre un oeil agrandi d’extase coutumière
Sur le choeur prosterné de tes enfants pieux
Qui font vibrer vers toi leur hymne de lumière!

Q15 – T14 – banv

On va criant partout – écho d’un fait lointain – — 1885 (6)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

L’ours

On va criant partout – écho d’un fait lointain –
Que tu cueilles, toujours, pour ton lunch, ô Martin,
La fleur de nos lignards, sans regarder au grade;
Pour moi, je ne crois pas cela, cher plantigrade!

J’accorde que parfois tu ronges – triste mets,
Un parapluie ancien chû dans la fosse, mais
(Bonnes, dites-le haut) quand tu te désaltères,
Ce n’est pas dans le sang des galants militaires.

Non! – sous l’oeil des moineaux, gros bonhomme sans fiel,
L’ours mange du pain bis, et, comme Ezéchiel,
Il le trouve souvent couvert, mais non de miel.

Sous son poil à bonnets son coeur n’est pas de marbre;
L’enfance l’attendrit et, point essentiel,
Quand Bébé lui dit « Monte à l’arbre? » il monte à l’arbre!

Q55 – T3

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe! — 1885 (4)

(Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets

Sonnet du cochon

Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe!
On t’aime galantine, on t’adore boudin.
Ton pied, dont une sainte a consacré le type,
Empruntant son arome au sol périgourdin,

Aurait réconcilié Socrate avec Xantippe.
Son filet, qu’embellit le cornichon badin,
Fournit le déjeuner de l’humble citadin,
Et tu passes avant l’oie au frère Philippe.

Mérites précieux et de tous reconnus!
Morceaux marqués d’avance, innombrables, charnus!
Philosophe indolent, qui mange et que l’on mange!

Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus
A vouloir, n’est-ce pas, te reprocher ta fange?
Adorable cochon! animal-roi! – cher ange!

Charles Monselet

Q9 – T8

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir. — 1885 (3)

– (Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets – 1540-1866 –

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir.
Combien d’un premier deuil l’absence se désole!
à des lettres pourtant l’on pourra recourir:
le papier confident, c’est presque la parole!

Et puis, ressource vaine ou promesse frivole,
bientôt on s’écrit moins. Ne vient-il pas s’offrir
maint obstacle à laisser l’occasion fléchir?
Puis Elle n’écrit plus: la tristesse s’envole.

O mobilité d’âme où le monde est soumis!
ceux qu’on a tant aimés cherchent d’autres amis.
Pour le premier jaloux quelle sombre amertume!

Puis à lui-même, un jour, arrive pas à pas
l’oubli. Sommeil du coeur vous êtes le trépas!
Le coeur est une terre où tout mort se consume.
A. Delatouche

Q10 – T15 –  » J’ai respecté cette manie de Delatouche qui consiste à ne mettre en capitales au commencement de chaque vers que lorsqu’il y avait lieu, c’est à dire lorsque le vers précédent finissait par un point. Mais c’est une manie bien agaçante pour le lecteur. Les vers sont des vers, que diable! ce n’est pas de la prose. « 

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje. — 1885 (2)

Mac Nab Poèmes mobiles

Le Mékéroni!
sonnet britannique en prose
A M. Plet

Pour avoar du bonne mékéroni, il fallait avoar du bonne fromédje.
Aoh! …
Mais, pour avoar du bonne fromèdje, il fallait avoar des bonnes pétiourédjes.
Aoh! …
Et, pour avoar des bonnes pétourèdjes, il fallait bôcoup d’ârgent.
Aoh! Compréné vos,
Jé keuntiniou:
Pour avoar bôcoup d’ârgent,

il fallait vender baôcoup de keuteune.
Mais, pour vénder baôcoup de keuteune,

il fallait avoar le canal de Souez.
Donc, pour avvoar du bonne mékéroni,

il fallait avoar le canal de Souez!

bl – m.irr

Quand nous aurons, avec de bleus recueillements, — 1885 (1)

Henri Beauclair et Gabriel VicaireLes déliquescences d’Adoré Floupette

Sonnet libertin
 » Avec l’assentiment des grands héliotropes » Rimbaud

Quand nous aurons, avec de bleus recueillements,
Pleuré de ce qui chante et ri de ce qui souffre,
Quand, du pied repoussé, rouleront dans le Gouffre,
Irrités et pervers, les Troubles incléments;

Que faire? On doit laisser aux stupides amants
Les Balancements clairs de ces Effervescences;
Nous languirons emmi les idoines essences,
Evoquant la Roseur des futurs errements.

Je mettrai dans l’or de tes prunelles blêmies
L’Inassouvissement des philtres de Cipris .
– Les roses de ton sein, qu’elles vont m’être amies! –

Et, comme au temps où triomphait le grand Vestris,
Très dolents, nous ferons d’exquises infamies,
– Avec l’assentiment de ton Callybistris –

Q45 – T20

par Jacques Roubaud