C’est un sonnet, pardonnez-moi. — 1872 (29)

Albert MillaudPetite Némésis


Quatorze vers

C’est un sonnet, pardonnez-moi.
En librairie il est d’usage
De mettre en tête d’un ouvrage
Une profession de foi.

Ces propos de première page
Font, – je n’ai jamais su pourquoi –
Chez le lecteur naître l’effroi …
On les lit peu – c’est bien dommage.

Mon avant-propos me gênait.
Pourtant il faut que je le fasse.
On peut me lire sans grimace.

Je suis très-court, très-bref, très-net ….
– Mais c’est toujours une préface!
Pardonnez-moi, c’est un sonnet.

Q16 – T28 – octo – s sur s

Lorsque j’étais petit, aux baraques des fêtes, — 1872 (28)

Ernest d’HervillyLes baisers

Le Phoque

Lorsque j’étais petit, aux baraques des fêtes,
Bouche ouverte, j’allais admirer le boa,
Et la femme sauvage enlevée à Goa,
Le veau polycéphale et le singe poète.

Mais j’adorais surtout le Phoque, étrange bête
Qu’un faux Anglais montrait en vous disant: moa! …
Avec l’accent des bords de la Bidassoa.
Un Phoque, c’est un chien dans un sac, hors la tête.

Hier, je crus le voir, là-bas, au boulevard.
« Il pince, me dit-on, du théorbe avec art ».
J’entrai. – Las, mes amis, ce n’était plus le même.

C’était bien son grand oeil à la tendresse extrême,
Et sa moustache longue en héros de roman,
Mais il ne disait plus ni papa ni maman.

Q15 – T13

A mes soixante-un ans je dois plus qu’un sonnet, — 1872 (27)

R. AgnèsLes cent sonnets

xcviii
Sonnet presque deux fois Sonnet, pour le soixante-unième anniversaire de ma naissance, 20 novembre 1872. dédié à moi-même.

A mes soixante-un ans je dois plus qu’un sonnet,
Pour me fêter à moi, le jour de ma naissance.
Tout en me promenant, voyez, je le commence;
Si je le peux finir, je serai satisfait.

Mais le premier quatrain je trouve déjà fait.
Si le second pouvait venir sans que j’y pense,
De mes faibles efforts j’aurais la récompense:
Heureux je passerais à mon premier tercet.

Lui-même se fait seul avec beaucoup d’aisance.
Le voyez-vous marcher? A grands pas il avance.
Mais voilà devant nous un joli cabaret.

Nous ne pouvons passer, Messieurs, en conscience,
Sans entrer un instant; belle est la circonstance,
Pour boire à ma santé! Mon sonnet est parfait*.

* Arrosé d’un bon vin où je n’ai point mis d’eau, / Ce dernier va trouver grâce devant Boileau /.

Q15 – T6 – y=x (c=b & d=a) – s sur s

Si nous étions morts quand nous étions mômes — 1872 (25)

Album zutique

Nouveau

Sonnet
(dors-tu content, Voltaire)

Si nous étions morts quand nous étions mômes
Dites-moi, serions-nous plus malheureux?
A quoi donc nous sert de devenir hommes
Si c’est pour souffrir des maux plus nombreux!

Les petits plaisirs laissent désireux,
Tous nos petits sens ne font pas des sommes
Et c’est pour un X encor plus affreux
Qu’il nous faut quitter le monde où nous sommes.

Et nous avons beau nous mettre à genoux
Et beau t’implorer, tu ne tends vers nous
Jamais tes deux mains, Sainte Providence!

– C’est pourquoi, crois-moi, pauvre genre humain,
Chante et ris, sans trop croire au lendemain;
Va, saute, Arlequin; danse, Pierrot, danse!

Q11 – T15 – tara

lévitiques, — 1872 (24)

Album zutique

Rimbaud

Bouts-Rimés

lévitiques,
un fauve fessier,
matiques,
enou grossier,

apoplectiques,
nassier,
mnastiques
ux membre d’acier.

et peinte en bile,
a sébile
in,

n fruit d’Asie,
saisie,
ve d’airain.

Q8 – T14 – m.irr  – Le début des vers ayant disparu dans le manuscrit, il reste un sonnet réduit à ses ‘sections rimantes’ (comme disait Raymond Queneau) élargies; c’est un exemple (contingent) de ‘sonnet tronqué’, ou ‘trouvé’.

Nous reniflerons dans les pissotières — 1872 (21)

Album zutique

Verlaine

La mort des cochons
Paroles de Baudelaire
Musique de M. le Comte Auguste  Mathias Villers de l’Isle-Adam

Nous reniflerons dans les pissotières
Nous gougnotterons loin des lavabos
Et nous lècheront les eaux ménagères
Au risque d’avoir des procès-verbaux.

Foulant à l’envi les pudeurs dernières
Nous pomperons les vieillards les moins beaux
Et fourrant nos nez au sein des derrières
Nous humeront la candeur des bobos.

Un soir plein de foutre et de cosmétique
Nous irons dans un lupanar antique
Tirer quelques coups longs et soucieux

Et la maquerelle, entr’ouvrant les portes
Viendra balayer, – ange chassieux –
Les spermes éteints et les règles mortes.

Q8 – T14 – tara

par Jacques Roubaud