Vous, qui prêtez l’oreille aux chants que la douleur — 1842 (5)

Comte Anatole de MontesquiouSonnets, canzones, ballades et sextines de Pétrarque

1

Vous, qui prêtez l’oreille aux chants que la douleur
Et la vaine espérance ont dicté à mon coeur,
Lorsque dans l’erreur du jeune âge,
J’étais encor loin d’être sage,

Si vous avez connu l’amour,
Ses tendres soins, son doux langage,
Vous daignerez me plaindre un jour.
Mais j’ai de ma douleur profonde,

De mes accens, de mes écrits,
Trop long-temps occupé le monde.
De mes torts la honte est le prix.

Eclairé par elle, j’appris
Que tout ce qui plaît sur la terre
N’est qu’une illusion légère.

 » Je n’ai pas voulu traduire tous les sonnets en sonnets, et j’ai même eu recours, pour eux, aux rythmes les plus variés, afin d’éviter les périls de la monotonie « .

aabbcbcdedeeff – 2m:octo, v.1, v.2: alexandrins – tr (Pétrarque, rvf 1)

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

incise 1842

Lefèvre-Deumier joint au deuxième volume de ses ‘oeuvres’ une fort intéressante discussion sur le sonnet, un Mémoire à consulter: pour ou contre le sonnet.Lettre à M. Emile Deschamps)

– Au 16ème siècle on le cultiva beaucoup sans s’occuper de le définir; plus tard, quand on cessa de le cultiver, ce fut à qui s’empresserait d’en discuter les règles.
A propos des recommandations de Boileau, il écrit:  » J’avoue que j’ai beau lire ces hémistiches dans tous les sens, je ne peux pas me résoudre à les trouver admirables. J’ai entendu louer à outrance le vers ‘la rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille’. Au premier coup d’oeil, il a l’air d’être le meilleur: en y regardant bien, c’est le moins bon. « avec deux sons » semblerait signifier qu’il faut qu’il y ait deux syllabes à la rime: ce n’en est pas plus mal, mais ce n’est pas cela qu’entend l’auteur. Remarquons aussi que la rime ne se compose pas d’un mot: elle est de sa nature bicéphale. Il en résulte que, si elle frappe huit fois l’oreille sur deux sons, il y aura seize vers dans les deux quatrains, ce qui serait, de la part d’Apollon, un tour de Jarnac à désespérer, non seulement les Français, mais tous les rimeurs du monde.  »
 » Le sonnet est une petite pièce de poésie de quatorze vers, divisés en deux quatrains sur deux rimes, plus deux tercets, dont les rimes s’entrecroisent suivant le caprice de l’auteur. Si ma définition n’est pas très élégante, elle a du moins l’avantage d’être brève.  »
 » Je me suis laissé assurer que, dans l’origine, le sonnet se composait de trois quatrains et d’un distique. Je ne m’y oppose pas; mais je ne connais d’exemple qu’en anglais. On prétend qu’il y en a plusieurs de cette espèce dans le recueil de Drummond de Hawthornden, et beaucoup de gens soutiennent que ce ne sont pas des sonnets.  »
 » Tout le monde peut, en grignotant dans les bouquins, émietter de l’érudition. J’aime mieux faire des conjectures que des recherches: c’est moins facile, mais cela va plus vite.  »
 » Le sonnet compte quatorze vers et chacun d’eux n’est peut-être qu’une note de la gamme, frappée à la basse et à l’octave … » (En dépit de sa remarque péjorative sur l’érudition, Deumier, qui vient d’en faire subrepticement étalage (qui à l’époque, en France, a lu Drummond de Hawthornden?) s’est peut-être inspiré là de la volumineuse anthologie de l’anglais Cappel Lofft (1813) qui développe assez longuement dans son essai préliminaire, une telle comparaison musicale).
 » Le nombre 7 étant esssentiellement mystique, le double ne peut manquer de l’être davantage. On ne comptait autrefois que sept planètes, qui correspondaient aux sept principaux organes du corps humain, et il ne serait pas impossible que le sonnet fût d’abord un thème astrologique, une sorte d’horoscope poétique, rappelant, par sa forme et son harmonie, la course mélodieuse des astres, qui avaient la réputation de diriger nos destinées.  »
« Boileau assure aussi qu’on n’y doit pas répéter deux fois le même mot.
«  » Le sonnet est un alexandrin de quatorze pieds, dont les syllabes sont les vers.  » (On découvre en lui un ‘plagiaire par anticipation de Jean Queval, l’oulipien inventeur de l’ALVA (Alexandrin de Longueur Variable)
Vous n’enfermerez certes pas, dans deux quatrains munis de deux tercets, le système entier de l’univers. Mais vous n’aurez pas une vue sur l’univers, que vous ne puissiez réduire aux bornes du sonnet.
Lisez quelques épigrammes de suite: leurs moments, leurs soubresauts vous fatiguent. L’esprit se lasse, à bondir avec elles de finesse en finesse. Le sonnet au contraire est comme un coursier qui va l’amble, et vous emporte en vous berçant; comme un hamac, qui vous balance: comme un bateau, qui vous entraine. Il ne vous endort pas: il vous fait rêver. Je suis trop impartial, pour ne pas avouer qu’il vous fait quelquefois rêver, jusqu’au sommeil inclusivement.
Quelque beau qu’il puisse être, il est difficile d’avaler d’un trait un volume entier de sonnets. Chaque sonnet est en lui-même un tout, un petit poème complet, qui marche invariablement du même pas.
Je vous envoie, pour expiation, le plus beau choix de sonnets qui existent. De deux ou trois milliers et plus, que j’ai eu la conscience de lire pour me faire une opinion, j’en extrais cent cinquante environ (de 50 auteurs) qui sont bien la plus belle apologie qu’on puisse faire de cette espèce de poésie.
Les sonnets sont des reliquaires qui chantent. Quand on en lit quelques uns à la campagne, on éprouve la même émotion qu’en écoutant bourdonner, dans le lointain, la cloche de vêpre ou du salut. C’est peut-être de cette impression que vient le nom de sonnet. Ce poëme est comme une cloche qui tinte la pensée, qui sonne l’angélus en mémoire de nos pères.  »

Dans sa médiocre étude sur le sonnet chez Baudelaire, mr Robb cherche à écarter le témoignage de cet auteur qui a le malheur d’infirmer son hypothèse chérie (Baudelaire inventeur du ‘sonnet libertin’) sous le prétexte que ses poèmes ne sont pas bons!!!

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14


Je passe chaque jour près de l’Assomption, — 1842 (2)

Alfred Philibert Les étincelles


Sonnet

Je passe chaque jour près de l’Assomption,
Et, chaque jour, à l’heure où, pour des funérailles,
Un drap noir à pleurs blancs en couvre les murailles,
Où quelque mort attend la bénédiction.

Toujours le même chiffre, et les mêmes couronnes;
Toujours mêmes discours, toujours même attirail;
Toujours de bruns cochers aux faces monotones
Traînant le même char vers le même portail.

O pompes du trépas, qu’on vous rend ridicules!
Faut-il que l’étiquette et que la vanité
Sur le bord de la tombe aient encor leurs scrupules?

Que tu vaux mieux cent fois, cloître des Camaldules*,
Où, se creusant leur fosse et dormant à côté,
Des moines sont toujours prêts pour l’éternité!

Q62 – T18 – quatrains abba  a’b’a’b’ mais (remarque gef: les rimes masculines du premier quatrain deviennent féminines au deuxième) (on pourrait noter: abba a*b*a*b*)

Membres d’un ordre religieux qui eut pour origine la fondation d’un ermitage à Camaldoli, dans la haute vallée de l’Arno, en Toscane, vers 1023, et qui constitue une des plus durables réalisations, avec la Chartreuse et Grandmont, du puissant courant érémitique dont les manifestations furent nombreuses au XIe etau XIIe siècle.

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir — 1841 (15)

Pierre Battle Poésies

Le miroir poétique
(écrit sur l’album de Madame G. de F.)

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir
Dans ce coquet album ; d’hommages on l’inonde.
Chaque urne poétique à ce pur réservoir
Est fière de porter un tribut de son onde.

Et vous, ange en exil au désert de ce monde,
Sur ce livre penchée, il vous est doux de voir
Votre image se peindre et flotter, rose et blonde,
Dans le cristal du vers, comme dans un miroir.

Oh ! je l’aurais aussi, moi, cette fantaisie
De faire, sous vos yeux, couler ma poésie ;
Mais c’est un flot amer ne roulant que des pleurs ;

A votre beauté pure il faut d’autres poètes ;
Ce n’est pas au ruisseau troublé par les tempêtes
A réfléchir le ciel, les astres et les fleurs.

Q11  T15

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! » — 1841 (14)

Michel Florestan in Les écrivains de la mansarde

Sonnet

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! »
Et qui, nous voyant seuls, sur les bords du chemin,
Comme des passereaux blottis contre l’orage,
Nous avez appelés en nous tendant la main ;

O vous ! qui n’avez pas détourné le visage
Afin de ne pas voir, et cruels à dessein,
Sur des pauvres enfants jeté comme un outrage
La froide raillerie et l’orgueilleux dédain ;

Merci de cet amour, frères, qui nous console,
Et nous rend l’espérance … Une douce parole,
Un serrement de main calme bien des douleurs !

Mais pour comprendre ainsi nos regrets et nos pleurs,
Vos yeux ont dû verser des larmes bien amères !
Car les larmes sont sœurs ainsi que les misères.

Q8  T15

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen, — 1841 (13)

Eugène Orrit Les soirs d’orage

Doute

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen,
Et laissant loin de vous chaque ornière choisie,
Par la foule, de doute et de crainte saisie,
Vous alliez dans la nuit en étendant la main.

Et lorsque vous cherchiez ainsi votre chemin,
Vous vites se lever, dans la brume obscurcie,
L’étoile de Fourier, cet étrange Messie,
Ce penseur effrayant au craâne surhumain.

Depuis lors, méditant sur le nouveau symbole,
Vous voulez l’éclairer d’une ardente parole,
Car vous avez le foi, car vous vous sentez fort.

Heureux celui qui voit enfin dans sa pensée
Rayonner l’espérance autrefois éclipsée
Et sait le but suprême où tend tout son effort.

Q15  T15

par Jacques Roubaud