Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! … — 1827 (1)

Emile Astaix Essais de Versification

Sonnet sur la mort de Sa Majesté Louis XVIII, Roi de France

Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! …
Le burin de l’histoire et la postérité,
Qui pleureront le jour où ta bonté succombe,
Diront que ta vertu vaut l’immortalité!

Hélas! les vifs regrets de la tendre colombe
Lorsque du plomb mortel son amant est blessé,
N’égaleront jamais ceux où mon coeur retombe
Au douloureux aspect de ton astre éclipsé.

Que m’importe la vie en ce moment funeste?
Au trépas de mon roi, grand Dieu, quel bien me reste? …
Le seul épanchement de mes chagrins pieux.

Mais sans doute ton âme à ses aïeux augustes
Ne pouvait envier un sort plus glorieus …
LOUIS s’est endormi du beau sommeil des justes!

Q8 – T14

Employé de banque à Bordeaux. L’un de ses deux sonnets. (L’autre est un acrostiche).

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité, — 1826 (2)

J-L – J.R. Les quatorze sonnets

La Divinité

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité,
Vous ne faites pourtant qu’étaler la puissance,
Quel sera donc l’éclat propre à sa majesté ?
Qui pourra soutenir sa gloire et sa présence ?

A lui seul est l’Empire et la Divinité,
Gardons-nous de vouloir pénétrer son essence,
Tandis que trois fois saint, sans blesser l’unité,
Il s’éclipse aux regards de votre intelligence.

Mais puisque sa nature au-dessus des humains
Demeure inaccessible à nos yeux incertains,
N’allons pas rechercher le jour avant l’aurore.

Mortel en attendant qu’elle se fasse voir,
Que ta raison se taise et ton silence adore
L’être dont le néant reconnut le pouvoir.

Q8  T14

Salut monarque heureux qui protegeas Molière, — 1826 (1)

L.M. Perenon Promenades poétiques

Sonnet aux manes de Louis XIV

Salut monarque heureux qui protegeas Molière,
Les Racine, Boileau, Corneille & Fénelon,
Bossuet & Fléchier, D’Aguesseau, Massillon,
Fontenelle et Rousseau, Sévigné, Deshoulière;
Descartes, Cassini, Pascal et Lafontaine;
Les Couston, les Andreau, le Poussin, & Mignard,
Richelieu, Mazarin, Jean-Bart, Vauban, Villard;
Villeroy, Cativaud, Saxe, Condé, Turenne
Mille contemporains qui tous ont mérité
Tant de bienfaits, vivront dans la postérité!

Du plus grand de nos rois, quand on revoit l’image,
Colbert parle à nos sens, revis ô Belle-Cour :
L’équestre de Louis des beaux-arts doux langage
A son aspect français, nous dicte un cri d’amour.

Q63 – T14- disp: 10+4

incise 1826 (1)

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Cette année-là, l’Académie prend une initiative fatale: elle offre un prix pour la composition d’un ‘Discours sur l’histoire de la langue et de la littérature françaises depuis le commencement du seizième siècle jusqu’en 1610″. Sainte-Beuve se met au travail.

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Sur un trône éclatant de gloire et de clémence — 1825 (1)

– Jacques-Dominique Harman, Baron de Heermann
Sur le Sacre de Charles X

Sonnet

Sur un trône éclatant de gloire et de clémence
Apparaît un Bourbon, égide de la France
Successeur de Louis, le Solon de nos lois ,
Il marche sur les pas du modèle des rois.

Du faîte des grandeurs, par sa munificence,
On le voit chaque jour secourir l’indigence :
Ralliant les Français aux accords de sa voix,
Sa bonté les accueille et les touche à la fois.

Pour conserver toujours l’éclat de sa couronne,
Dans le rayon divin qui déjà l’environne,
Et réfléchit ses feux au front de Dieudonné ;

Tel qu’à Jérusalem, aux pieds de l’arche sainte,
Du Sceau de l’Eternel David reçut l’empreinte,
Charles X en triomphe à Reims est couronné.

Q1  T15

Exilé des combats dans une paix profonde, — 1824 (5)

Hippolyte Thomas
Sonnets

Napoléon.

Exilé des combats dans une paix profonde,
Le héros qui vingt ans a su vaincre et punir,
Consolé de sa gloire et plaignant l’avenir,
Finit sur un rocher sa course vagabonde.

Tous ces rois courtisans dont il peuplait le monde
Partout de ses bienfaits taisent le souvenir.
Je gémis sur sa tombe, et suis seul à gémir!
Le bruit de mes regrets vient expirer sur l’onde.

Ainsi sur le passé courbant de longs rameaux,
Quand le saule pieux pleure ces noms célèbres
Dont la cloche lugubre a sonné le repos,

A la pâle lueur de ces lampes funèbres,
Le remords inquiet mesure les ténèbres
Et recule effrayé du calme du tombeau.

Q15 – T21

Tercets sur deux rimes, de type cdc  ddc (avec une faiblesse: ‘rameaux’ (pluriel), rime avec tombeau (singulier), ce qui est interdit classiquement).

– (gef) les 3 rimes en »-ô » sont – pauvres- (malgré la proximité sonore de p/b et de m/b).

Prions! De ses vertus une vierge parée, — 1824 (4)

Hippolyte Thomas
Sonnets

La prise d’habit

Prions! De ses vertus une vierge parée,
Chaste épouse du Ciel à la paix consacrée,
S’avance, et le front calme, aux pieds de l’éternel,
Prononce avec transport un serment immortel.

Simple fille des champs, par la grâce abreuvée,
Sur un riche avenir ta foi s’est élevée
Sublime est ta prière, ô touchante Israël;
De ses parfums pieux elle embaume le Ciel.

Athée, ah! Loin de moi va traîner ta souffrance,
Laisse-moi le bonheur, laisse-moi l’espérance:
Jusques à tes bienfaits épouvantent mon coeur.

Douce immortalité, que ma jeune pensée
Laisse aux regrets mortels sa dépouille glacée,
Trompe-moi, j’y consens: je chéris mon erreur.

Q27 – T15

‘parée’ et ‘abreuvée’ ne riment pas classiquement

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre — 1824 (3)

Hippolyte Thomas Sonnets

Napoléon

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre
Envîra tes débris, et consacrant tes fers,
Et ton courage encor plus grand que tes revers,
Des pleurs de l’héroïsme ira baigner ta cendre.

O cygne harmonieux des rives du Méandre!
Renais de ton génie et vole au sein des mers,
Où ta valeur absente effrayait l’univers.
Quelle gloire à chanter! quelles pleurs à répandre!

A ses affreux destins rien n’a pu l’arracher!
Trop serré dans l’Europe il meurt sur un rocher.
Ce siècle à Vaterlo s’arrête avec sa gloire.

Des passions en feu l’apôtre et le martyr,
Sur tes vastes débris consommant ta victoire,
C’était à Vaterlo que tu devais mourir.

Q15 – T14 – banv

Monsieur Thomas joint ‘pleurs’ à ‘amours, délices et orgues’. Cela est courant encore à l’époque.

Louis montait au ciel; son frère sans défense, — 1824 (2)

Hippolyte Thomas Sonnets

Louis XVIII et Madame

Louis montait au ciel; son frère sans défense,
Loin de la tombe, hélas! où dorment ses aïeux,
Traînant de rois en rois une oisive espérance,
Sur des malheurs sans crime interrogeait les Cieux.

Partout du désespoir le douloureux silence!
Tel, dans la Grèce antique, un sort injurieux
De coupables remords effrayait l’innocence
Et dévouait Oedipe aux caprices des dieux.

Fille du roi-martyr, dans ces longs jours d’orages,
Devant l’éternité, cette mer sans rivages,
Tu dépouillas la gloire à l’ombre des autels!

Là, sous un deuil pieux, dans une vie austère,
Cultivant du Thabor la palme solitaire,
Ta vertu vengea Dieu du mépris des mortels.

Q8 – T15

De la gloire du Christ a grandi l’horizon. — 1824 (1)

Hippolyte Thomas Sonnets

C’est le premier exemple que j’ai trouvé, au dix-neuvième siècle, d’un livre de poésies, publié à Paris, ayant Sonnets pour titre et constitué entièrement et uniquement de sonnets. Il y en a 42, divisés en deux livres (20+22). De ce Thomas là, je ne sais rien et ne suis parvenu à rien savoir. Cinq ans avant le coup d’éclat tant vanté de Sainte-Beuve, il mérite de figurer ici, indépendamment de son talent, maigre.

Fénelon – A un jeune abbé.

De la gloire du Christ a grandi l’horizon.
Que j’aime Fènelon, ce prélat doux, facile,
Qui rajeunit l’Eglise au lait de l’Evangile,
Et console le coeur sans blesser la raison.

Il apprit l’Elysée à ma jeune saison:
Oui, l’homme est sans patrie où Dieu n’a plus asile;
Il meurt sans avenir, et la vertu fragile
Reduit au joug des lois sa stérile moisson.

En vain de ce bon prêtre on proscrit l’éloquence:
Il parle, et naît des Dieux l’infaillible espérance,
Où régnait du chaos le silence éternel.

Des secrets du chrétien sage dépositaire,
Il ramène la paix sur un front adultère,
Et l’athée à sa voix s’avoûrait immortel.

Q15 – T15

par Jacques Roubaud