Si j’entendais faire un sonnet tendre, 1985 (6)

Maurice Regnaut Recuiam


Si j’entendais faire un sonnet tendre,
Il me suffirait, c’est vrai, de dire,
Avant de vous brûler, feuilles mortes,
Quel amour se voyait de ces lettres,

Mais j’aurais beau, en doux style ancien,
Comme au fond de la nuit parle en rêve
Et fou taciturne, oui, j’aurais beau
Amants duveteux, amants ailés

Exalter ébloui votre …………………………
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Il faudrait aussi, sans main qui tremble,
Pour être fidèle au manuscrit,
Noter cris, horreur, plaintes opaques

bl – 9s – lacunaire

Mer — 1985 (5)

Maurice Regnaut Recuiam

Jamais
Et toujours,
N’es-tu pour nous,

Battante et sonnante
Qu’une horloge éternelle
Ou nos heures les plus hautes,
N’es-tu pas masse de nous voir

Faire aussi fous ces geste d’écume
Vers tant d’horizon, tant d’éphémère,
Mer, jamais et toujours pour rien et personne

Qu’être et que dire en vérité, horreur, splendeur,
Qui ne soit ni toi ni moi, mais l’énigme même,
Et simplement, par soif de sel, de gel de grand vent, de silence?

bdn – vL

C’était à l’horizon quelque peu moins loin qu’en lui-même, — 1985 (4)

Maurice Regnaut Recuiam

C’était à l’horizon quelque peu moins loin qu’en lui-même,
Il écoutait longtemps, puis soudain, de nouveau seul,
Il parlait: « Où sont-ils partis? Un jour peut-être,
Que peut-on espérer d’autre, ils reviendront,

Ils se rueront de n’importe où, ciel, routes,
Et je sais, le temps n’attendait qu’eux,
Survivants tous du même rêve,
Tous éclatants d’existence,

Ils passeront sur moi,
Sans rien reconnaître
Et m’enfouiront

Dans ta boue
Sanglante,
Siècle. »

bdn – boule de neige métrique fondante

Casque à Manda casqua; plaqua Leca, l’Apache. — 1985 (3)

Maurice Millereau dit Mirall et Georges Théron in Jacques CellardAnthologie de la littérature argotique

Le grand combat de Leca contre Manda pour les beaux yeux de Casque d’or

Casque à Manda casqua; plaqua Leca, l’Apache.
Manda ballada Casque à la barbe à Leca.
Leca, mâle à gras bras, qu’a pas la rate à plat,
Baba, bava, ragea: « Ah! la carne! Ah! la vache!

Manda crâna, blagua, nargua Leca, bravache.
Hagard, Leca clama: « Tabac, tabac! tabac!  »
A la dague, à la lame (à la hâte), attaqua.
Manda para; cana; cavalcada .. Macache!

Par sa cape alpaga, l’Apache happa Manda,
L’agrafa, l’accabla, malaxa sa ganache,
La tanna, saccagea, savata, salada.

La carda, la scalpa … Manda brama: « Ah! lâche! … »
S’affala, patatras! – cracha, râla, claqua …
L’Apache, à la papa, pas à pas, cavala.
1902?

Q15 – T19 – y=x : c=a, d=b – Quasi-monovocalisme en ‘a’, les ‘e muets’ n’étant pas pris en compte

Je suis comme le riche dont la précieuse clé — 1985 (2)

Frédéric Langer Shakesperare sonnets

52

Je suis comme le riche dont la précieuse clé
conduit au cher trésor bien caché,
trésor qu’il se retient de sans cesse contempler
pour ne pas émousser la fine pointe du plaisir.
C’est pourquoi les fêtes sont solennelles et rares:
lentes à revenir tout au long de l’année,
comme des pierres de valeur elles sont clairsemées,
ou comme les gros diamants dans le collier précieux.
Le Temps qui te cache à ma vue est comme ma cassette,
comme la garde-robe qui tient serré l’habit
pour donner plus d’éclat à l’instant éclatant
où se dévoile l’objet secret de sa fierté.
Béni sois-tu dont les faveurs donnent lieu
si on les a, au triomphe, si on est privé, à l’espoir.

vL – sns – tr  disposition shakespearienne

Un mot, un seul (lequel ?) et nous trouverons — 1984 (3)

Yves di Manno Champs

Problème du roman

Un mot, un seul (lequel ?) et nous trouverons
Quel sentier obliquement y mène : la décou
Verte. Un mot n’aurions- nous cure et s’agis-

Ssant du sens, il sera dit que nous nous oc-
Cupons : à quelle fin la fin importe-t-elle ?
Si le modèle (pour ici le sonnet, copié à l’en-

Vers) à lui seul en décide – ne le savons :
Savons qu’un orme frêle se courbe sous le
Vent – que le son se suffit à lui-même et
Qu’étymologiquement mourir nous ennuie.

J’ai répit, j’ai repos, devant le bassin
Terne : enfant j’y lançais mon navire, sou-
Cieux de sa voile : enfant, j’étais perdu
Adulte le demeure sans changer ma demeure.

bl  – m.irr.- s. rev —

Un brave homme de bègue, assez cu-cultivé, — 1984 (2)

Boris Vian Cent sonnets


Simple histoire de bègue

Un brave homme de bègue, assez cu-cultivé,
Vivait de son ja-jardinet plein de fleurettes,
Plein de ca-calme et de repos, de violettes
Et de pi-pissenlits. Rien ne fut arrivé

S’il n’eût été go-goberger au pied levé
Sa cousine Julie, fille fort coqué-quette,
L’emmené-ner aux champs, pour faire la dînette,
Sur son baudet qui ruait sur les pa-pavés.

Mais dans les roseau-seaux, Pan vint se promener.
En le voyant-y-ant, l’âne brait. Etonné:
– Pan-Pan! fait notre bègue et le dieu tombe mort.

Le pauvre devint fou. Fou plus que lui n’y a.
Tous les matins dans sa cami-misole il sort,
Donner un biberon à ses bé-bégonias …

Q15 – T14 – Ces sonnets ont été composés vers 1944. On admirera la manière dont l’hendécasyllabe devint alexandrin

Voilà cent ans, cher Soulary, tu croyais juste — 1984 (1)

Boris Vian Cent sonnets

Ma Muse

Voilà cent ans, cher Soulary, tu croyais juste
De ceindre de maint busc le corps souple et charmant
De ta Muse, et contraire à l’ordinaire amant
Voulais pour ta maîtresse un appareil vétuste.

Si la femme féconde à la grâce robuste
Vit souvent de sa chair le mol affaissement
Si la distension de tous ses ligaments
Fit pendre son nombril et s’écrouler son buste,

Ce siècle est révolu. L’oisiveté cruelle
N’entraîne plus la mort de la beauté des belles
Nos jours ont retrouvé le secret du printemps.

Notre Egérie pratique aussi la gymnastique
Et le massage sait lui rendre en peu de temps
Son ventre plat, sa ligne et ses seins élastiques.

Q15 – T14 -banv

Paf ! d’un bond rivière ! — 1983 (5)

Jacques Demarcq Derniers sonnets

Celle même, miss, taire
(ter)

Paf ! d’un bond rivière !
taille-doigt, d’ôte queuté
sur l’abrège : pater
d’un gué) dans les pognes

Aléa, Jacques t’es
tu parles ! d’un cutter
papa-rasoir ? gnon
castrat, d’compendium

Ca laisse des légions
en gaule) t’es fort guère
gars ! depuis que Rogne

Est-ce ? la pine de niée
sort d’cité : un gnome
Compiègne
où t’es né

Complet’ment … Sonnets !

1983 (3-5) : une séquence de 3 sonnets. Rimes orales, on lit la formule suivante , valable pour les trois:  abac  badc  dac  bcb b . Reprises de sonnets à sonnet (à vous de voir comment)
Les vers sont de 5 positions (comptées oralement). Un quinzième vers, de longueur variable, rime avec le quatorzième
Les strophes sont signalées par la majuscule de leur premier vers.
Homophonies à débusquer

par Jacques Roubaud