coda 41 On sent qui

Michèle Grangaud

(in Formes de l’anagramme)

Quarante et un sonnets irrationnels

On sent qui
La
Narration

Sent:

Un reste / santon
La nue être serin qu’on transit /
Traîne un
Non-néant – S.O.S.

Q.I. – salut, Terre! /

Un tertre
Qui la renie.
Sans ton santon / son sansonnet,
Un inquiet, rate l’arrêt. / Tristes?
Non. Trinquons à l’autre année!


coda 40 De la philosophie heidegerienne c’est

Michèle Grangaud

Est

De la philosophie heidegerienne c’est
en tant que telle qu’elle nous fascine: elle est;
elle est l’être qui a à être en tant qu’il est
un être, qui est ce qu’il est en tant qu’il est.

Le Dasein est hors de soi dans le monde, il est
attribut refusé; chaque être nié est
antérieur au réel ou au vrai, mais il est
à soi, comme ce qui manque au pour-soi qui est.

Le nuage n’est pas pluie en puissance, il est
en tant que le pour-soi manquant ou possible est
sens à ma perception présente en tant qu’elle est

de la présence à soi qui lui manque et qui est
subjectivité qui serait ce qu’elle est – c’est
logique: du néant sur l’être puisqu’il est.

Tous ces vers ont été ‘trouvés’ par l’auteur dans L’être et le néant, de Jean-Paul Sartre.

coda 39 Autre aile de papier plus vive infiniment

Michèle Grangaud

Sonnet trouvé

Autre aile de papier plus vive infiniment
A tirer son feu d’artifice sur la place,
Pareillement parmi des ramiers où l’espace
Pétale et papillon géants, déferlement.

Si consent à sa joindre un accompagnement
Dans une étrangeté toute d’accrocs fugace,
Je voudrais seulement écarter toute trace,
Où que ce soit, nier l’indicible, qui ment.

A quoi bon le décor s’il ne maintient l’image
Dans un cloître mental aux arceaux d’âge en âge
Rendue à quelqu’un qui ne sera jamais là

Une présence de l’éternel et palpable,
N’était qu’une observation se révéla,
Pour notre seul esprit le culte du vocable.

Tous les alexandrins composant le poème ont été écrits par Mallarmé,, qui les avait dissimulés dans ses proses: Variations sur un sujet, Médaillons et portraits, Crayonné au théâtre, La Musique et les Lettres (d’après  ed. Pléiade, 1945).

coda 38 Parti dans la nausée d’une aurore incrédule

Paul Braffort J&I: les deux combinateurs et la totalité

La révolution la nuit

Parti dans la nausée d’un aurore incrédule
las de rêves hantés de spectres égoïstes
il marche dans la rue je l’adolescent triste
il marcha alors je marche imberbe ridicule

Avec un fiel violet d’amour gorgé de bulles
jaillissent les vagues chagrins d’un jeu sinistre
et sur ses yeux d’oursin je sens les doigts de schiste
aigris d’impuretés douloureuses qui hurlent

Le clocher carillonne aux angélus moroses
la méchanceté méticuleuse des choses
l’âpre saveur d’une heure glauque de morue

lorsqu’émergeant du marécage des cobras
le muguet les cerises roulaient dans la rue
c’est l’homme à l’oeillet blanc qui me tendait les bras.

coda 37 Les alfes dans le soir vont le long de la côte

Paul Braffort J&I: les deux combinateurs et la totalité

Alfes à l’amble

Les alfes dans le soir vont le long de la côte
alfes d’Ignace alfes de Barnabé tragiques
Ils vont les alfes leur soutane a bien du chic
Leur soutane est en fleur quand s’ouvrent les trench-coats

Un aérophagique fils hurle sa faute
vache mélancolique aux douloureux vertiges
mais le lecteur est là qui trouve qu’on attige
et pour avoir bu l’air un veau n’est pas sans côtes

Craignons plutôt des boeufs l’horrible symétrie
car le tigre qui brûle en nos moteurs flétris
est du ciel de l’enfer saint axe saint portique

Et ma tête en des maux cris alfes fantastiques
se rit de l’enfant grec qui meurt pour la Patrie
se gausse des aimants qu’on forge et sème antiques.

coda 36 Sonnet pas la peine

Paul Fournel

L’autre, sonnet

Sonnet pas la peine
Sonnet pas important
Sonnet pas grand chose
Sonnet rien

Sonnet pas grave
Sonnet pas sérieux
Sonnet pas nécessaire
Sonnet pas l’heure

Sonnet pas trop fameux
Sonnet pas bien méchant
Sonnet pas la mer à boire

Sonnet pas lui
Sonnet pas moi
Sonnet l’autre

coda 35 Ce que j’aime beaucoup, le soir au Grand-Hôtel,

Paul Fournel

(Ma Normandie)

Ce que j’aime beaucoup, le soir au Grand-Hôtel,
c’est le nom de l’hôtel écrit contre le ciel,
le néon blanc sur ses antennes, contre le ciel
gris vague et rose un peu, le nom du Grand-Hôtel.

Il y a tant, le jour, de grouille et de familles,
il y a tant de cris, tant de petits Marcel,
qui couvrent le bruit des vagues – petits Marcel,
que quand s’allume Grand-Hôtel dodo familles;

je retrouve pour moi la rumeur de la houle,
la chanson des requins, la rumeur d’une houle
de navires marins, cargos, cargos, goélette.

A bord, scrutant le trafic, l’homme à la goélette
oublie l’appel du phare et lit contre le ciel
gris vague et rose un peu, le nom du Grand-Hôtel.

coda 34 Sur un rayon moisi le Larousse unicer-

André Blavier La roupie de cent sonnets (1999)

La Réduction par le Catalogue

pour Jacqueline

Sur un rayon moisi le Larousse unicer-
Velle, en vert s’hexatoma, en colonnant vocables
Propices à croisade. Ah! ces bouquins coupables
De s’aimer à tout van. Trahahison ce clerc! …

La préposée au prêt, auprès de ses fichiers
Recélant en leurs flancs des trésors de Golconde
Mais pourtant feuilletés que la pâte féconde
Des seins que love son sweeter indémaillé,

La préposée donc vaque à son chien d’métier,
Sous l’oeil tangentiel de meussieu de Blavier,
Lifrelofre obscurci dont fronce le sourcil

Omniscient. Ce bibliothécaire en somme
Chauve, gâté, conscrit, crétin, n’est-il
Une encyclopédie en un seul petit homme?

coda 33 Un lit est ce parfait obstacle au vide

Stéphane Cremer Tombeaux & Hommages

un lit…

Un lit est ce parfait obstacle au vide
que miniaturise et drape l’attente:
la même que la fleur ou que la plante
puise et amenuise en l’eau qui se ride.

Recouverts, les gestes y sont secrets;
non pas cachés, mais secrets – et qui sait
ce que construit le lézard dans le mur?
Le lierre en trace le travail obscur.

Les amants font les gestes et se taisent
en regard de la nuit qui les unit:
le témoignage est au coeur comme fraise

qui mûrit toujours et, jamais cueillie,
germe mobile au centre du plaisir
de ces amants venus là pour mourir.

coda 32 Ni début ni terme sûr

Stéphane Cremer Tombeaux & Hommages

de Samuel Beckett

Ni début ni terme sûr
mais un détour calculé
où retrouver l’ordre inné
dont s’inspirerait l’ordure

pour que de l’ultime épure
rien ne puisse prononcer
le fin mot défiguré
sinon la seule capture

sans piège dont s’inverse
la mort en s’ouvrant et verse
là ce qui, pourri, n’ira

nulle part ailleurs qu’ici
même: sans plus d’aléa
d’où paraphraser son cri.

par Jacques Roubaud