Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

J’abandonne ta chaîne et tes molles arcades, — 1937 (2)

Tristan Derème La tortue indigo

(Les sonnets de M. Polyphème Durand)
D’un sonnet sans tête

– …. Je voudrais, dit M. Polyphème Durand, vous soumettre, …, une pièce fugitive, une bagatelle, un rien, mais dont la forme est encore, je le crois, inconnue: c’est un quatrain suivi de deux tercets.
– c’est un sonnet à qui l’on a coupé la tête.
– Il vous plaît à dire; mais l’essentiel, c’est qu’un poème forme un tout; et si mon humble ouvrage y parvenait, ne serait-il pas supérieur au sonnet, puisqu’enfermant autant de pensées en moins d’espace, il aurait donc l’avantage de la concision et pourrait donc ennuyer pendant moins longtemps les personnes qui consentiraient à l’entendre. Nous savons ce qu’est un sonnet – un sonnet sans défaut, comme parlait l’autre – et si vous m’en donniez licence, je tenterais de le définir ainsi:

Sonnet, double quatrain qu’un tercet double suit,
Ta moindre négligence est mise au rang des crimes!
Deux rimes aux quatrains, trois aux tercets: cinq rimes.
Unique rime aux vers un, quatre, cinq et huit.
Le vers onze finit ainsi que le vers treize.
Ne manquez à ces lois et chantez à votre aise.

– J’aimerais mieux, déclara Mme Baramel, que vous eussiez dit: Le vers 13 finit ainsi que le vers 11.
– Vers que nous graverons, Madame, dans le bronze; mais je ne songe point du tout à rien changer au mien, encore qu’on m’en puisse gourmander, comme vous faites, car j’ai voulu précisément marquer que, de deux vers, les poètes ont assez bien coutume de ne construire le premier qu’après avoir trouvé le second, – je dis: construire et trouver; et l’on peut, par conséquent, se plaire à soutenir que c’est le vers onzième qui dans la forme et le son de sa dernière syllabe imite la fin du treizième.
– Mais, reprit M.Durand, tant de poètes, et Malherbe, et Baudelaire, ont fait de ces sonnets que Racan nommait licencieux, et Gautier libertins, où les rimes du second quatrain ne sont plus celles du premier, que j’ai pensé fort raisonnable de supprimer l’un des quatrains, puisqu’il brisait, en quelque sorte, l’architecture de ces petits ouvrages; et, dans ma solitude béarnaise, à cet endroit où deux gaves, en s’unissant, perdent la moitié de leurs rives, rêvant à des amours qui, selon la coutume, m’avaient été douces et cruelles, à Bayonne, et qui me tourmentaient encore, voici comme j’improvisai:

J’abandonne ta chaîne et tes molles arcades,
Bayonne, dont le nom chante au bout des fusils,
Pour mêler ma paresse et mes songes choisis
Au bruit vain de cette eau qui se rue en cascades.

Je fus cascade aussi dont mes soirs sont fourbus.
Amour, Gloire, Allégresse, adieu! Les vins sont bus,
Et ce double torrent sera tout mon Hydaspe.

L’hameçon de Vénus brille au gave d’Ossau
Pourtant ou de ma main charme le gave d’Aspe,
Quand je tente une truite avec un vermisseau.

abba ccd ede – 1o vers

– Vous êtes bien impertinent, dit Mme Baramel, de comparer ainsi l’amour à la pêche à la ligne; mais je ne sais ce que vous voulez dire avec vos fusils.
– Ne vous rappelez-vous point ces soldats que nous a peints Chateaubriand?  » … Ils portent un tube enflammé, surmonté du glaive de Bayonne. »
– Je crois, Monsieur, dit M. Théodore Decalandre, que cette forme de poème que vous avez inventée se montre fort propre à contenir les beautés les plus grandes. Malherbe, lui-même, ne voudrait pas me contredire. Pour nous mener longtemps par des chemins divers, vous avez mis, Monsieur, votre esprit à l’envers et vous avez trouvé la strophe de dix vers, – astre fameux au ciel de ce vieil univers.

On admirera la belle tentative de M. Polyphème Durand pour définir de manière brève et en vers le sonnet banvillien. Il n’y parvient pas tout à fait (à cause des tercets)

Ose entrer après moi dans ces portes claquantes — 1937 (1)

Pierre Jean JouveMatière céleste


La putain de Barcelone

Ose entrer après moi dans ces portes claquantes
Où suffit la cheville ardente d’un regard
La grotte brune avec le parfum du volcan
T’attend parmi mes jambes

Je suis la communiante des poils noirs
Le regard inhumain les soleils hébétés
J’ai traversé vingt fois sous un homme la mer
Le sol gras de la mer et le bleu et les moires

Ton membre de lumière mes globes de malheur
Et l’œil couché sous une bouche décorée
Ce sont là mes plaisirs, mes vents mon désespoir

Une ombre te retient l’univers te soutient
Client! Nous deux épouvantés en un
Paraissons une fois sur l’éternité noire.

bl  – Premier exemple des pseudo- ou quasi- ou presque sonnets de Pierre Jean Jouve.

Capter dans l’univers des invisibles ondes — 1936 (5)

Igor Astrov Sonnets

L’artiste

Capter dans l’univers des invisibles ondes
Pouvant faire frémir notre être tout entier,
Lancer jusqu’au tréfonds de l’abîme une sonde,
Suivre jusqu’à l’abîme un abrupte sentier;

En lenteur imiter l’auteur de la Joconde,
En perfectionnant constamment son métier,
Apprendre à marier une étude féconde
Et l’intuition d’un art primesautier .

– C’est la vocation d’artiste véritable.
A l’heure où le destin sans pitié m’accable
Mon âme se raidit puissante comme un câble

Capable de lier les Deux Mondes entre eux,
Pour transmettre ici-bas des sons mystérieux:
Musique intérieure et parole ineffable.

Q8 – T4

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne, — 1936 (4)

Jacques Langlois Les sonnets amoureux de Pétrarque

1

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne,
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première et juvénile erreur,
Lorsque j’étais alors tout une autre personne,

Sous le style divers où sanglote et raisonne
Ma bien vaine espérance et ma vaine douleur,
Que votre expérience, en lisant mon ardeur,
M’accorde une pitié qui comprenne et pardonne.

Mais, je vois aujourd’hui combien longtemps je fus
La fable de la foule; et j’en suis tout confus
Vis-À-Vis de moi-même et rempli de vergogne.

Honte est fruit de folie; et j’apprends clairement,
Par repentir tardif de si folle besogne,
Qu’ici-bas ce qui plaît est songe d’un moment.

Q15 – T14 -banv –  tr (rvf 1)

Autour du soleil vertical de la pensée — 1936 (3)

Michel SeuphorL’ardente paix

De la personne

Autour du soleil vertical de la pensée
Horizontalement tournoient les quatre vents
Dont trois passions de l’âme et un tempérament:
Les appétits de feu; l’intelligence née

Pour recevoir le jour et voir la Vérité,
A l’eau souple pareille, reine des éléments;
La force d’habitude comme un soubassement
De terre lente où tout s’appuie et qui de blé

Se couvre ou bien d’ivraie, selon les circonstances;
La manière d’être, enfin, accumulant l’ambiance
Qui enveloppe tout d’un air mouvant d’un tel

Et non tel autre. Ainsi notre univers est plein
De rythmes, et si l’ensemble est noble et naturel,
Le personnel concret n’en cède à Couperin.

Q15 – T14 – quelques vers métriquement îrréguliers (césures épiques, par exemple)

Joli pays, riant de toutes ses minuscules, — 1936 (2)

Michel SeuphorL’ardente paix

Joli pays, I

Joli pays, riant de toutes ses minuscules,
De toutes ses mille et mille minuscules fleurs,
Ses mille blanches et mauves et jaunes réflecteurs
De la lumière inaltérable. Particules

De l’être, de l’Amour émouvantes émules:
Si vraiment humbles, artistes, si vraiment de ferveur
Illuminées, nous irradiant de la candeur
De leur ardente paix, leur oraison que nulle

Erreur n’infirme, que le péché originel
N’entame pas: le mal est extérieur et tel
Qu’il tempère l’Amour à la fragilité

Et qu’il accroît la lune pour le soleil en berne.
Pays qui par tout temps nous parle de clarté,
Pays si bien instruit de Celui qui gouverne.

Q15 – T14 – banv – quelques vers métriquement îrréguliers

Sonnet, ô sonnerie amie, ô soûlerie — 1936 (1)

Michel SeuphorL’ardente paix

Sonnet

Sonnet, ô sonnerie amie, ô soûlerie
De sons jolis, ô bal joyeux des lettres belles,
Ô fête très polie. Pensive pastourelle,
Quel est le doux joueur de vielle ou le génie,

Caché de nous, qui découvrit ton harmonie,
Ta forme claire, heureuse et à jamais nouvelle?
En as-tu mis sous ta tutelle, de ta dentelle
Liés, depuis le Dante et les académies

Chantantes de Provence! Moi, j’aime ta leçon:
Que le plus noble pas de danse est en fonction
D’une science de l’immobilité. C’est la contrainte

Qui donne la liberté, stimule, inspire, et l’art
Déjà triomphe, aborde la discipline sans crainte:
Au corps à corps paisible il reconnaît sa part.

Q15 – T14 – banv –  quelques vers métriquement îrréguliers – s sur s

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

Le jeune homme moderne — 1935 (1)

Francis Jammes De tout temps à jamais

Dans les combles

Le jeune homme moderne
Essaye en son grenier
Qu’éclaire une lanterne
L’habit d’un chevalier.

Je ne sais s’il nous berne,
Mais son aspect altier
Semble bien le lier
Au temps de la poterne.

Cependant, il est chic.
Dans l’œil, un léger tic
Semble dire à sa femme,

Folle de lui d’ailleurs:
Que pensez-vous, Madame,
De mon ancien tailleur?

Q9 – T14 – 6s

par Jacques Roubaud