Méandres, bleus surgeons de mon verbe quitté, — 1923 (2)

Jean RoyèreQuiétude

Strophe

Méandres, bleus surgeons de mon verbe quitté,
Horizontale nef, vaste suavité,
Dans la feuillée ardente et sur la mer soumise
Jase l’immense erreur de la strophe promise! ….

Quêteuse, qui trahis au toucher de l’aurore
Le spectre rose et or de notre hier sonore,
Ombre encore lovée et dont naîtra le jour,
Exorcise la mort du regret de l’amour!

J’acceptais que l’Azur nous tienne lieu de spasme:
– Ai-je connu vivant, un autre enthousiasme? …. –
Que l’astre nous disperse en un presque univers
Et fasse de nous deux le rythme d’un seul vers,

Qui se love, soleil, sur la vie océane
Et dont saignent le ciel, la mer et la savane!

Q55 – T13 = PL  – disp: 4+4+4+2  – Rimes plates

Manger le pianiste? Entrer dans le Pleyel? — 1923 (1)

Jean PellerinLe bouquet inutile

La Grosse Dame chante

Manger le pianiste? Entrer dans le Pleyel?
Que va faire la dame énorme? l’on murmure …
Elle racle sa gorge et bombe son armure:
La dame va chanter. Un œil fixant le ciel

L’autre suit le papier, secours artificiel –
Elle chante. Mais quoi? le printemps? la ramure?
Ses rancœurs d’incomprise et de femme trop mûre?
Qu’importe! c’est très beau, très long, substantiel.

La note de la fin monte, s’assied, s’impose.
Le buffet se prépare aux assauts de la pause.
« Après, le concerto. … » – Mais oui, deux clavecins »

Des applaudissements à la dame bien sage …
Et on n’entendra pas le bruit que font les seins
Clapotant dans la vasque immense du corsage.

Q15 – T14 – banv – un hiatus partculièrement odieux au vers 13

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle, — 1922 (7)

Marguerite Yourcenar in Les dieux ne  sont pas morts

L’Apparition

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle,
L’éphèbe Antinoos aux jardins de Tibur
Vit, parmi les débris détachés de sa stèle,
Les ronces l’envahir sous l’impassible azur.

À l’heure où les ramiers, d’un lourd battement d’aile,
Font trembler l’ombre claire aux blancheurs du vieux mur,
Seul, le tiède baiser de la clarté fidèle
Consolait la Statue au geste calme et pur.

Les siècles ont détruit cette image mystique
Et terni la candeur du marbre éblouissant.
Qu’importe… Je revois le bel Adolescent :

Il monte avec lenteur les degrés du portique,
Et, posant ses pieds nus sur le sable vermeil,
Revit pour un instant et s’étire au soleil…

Q8 – T30

Son père trafiquait, en l’obscure boutique — 1922 (6)

Louis Brauquier L’au-delà de Suez

Le marchand grec

Son père trafiquait, en l’obscure boutique
Parmi l’odeur de crasse d’homme et de pipi,
Le cuivre, les petites filles, les tapis
Dans la ruelle du faubourg de Salonique.

Mais lui n’a jamais fait que six mois de prison
Pour avoir spéculé sans pudeur sur les huiles.
Il mène sur les quais sa grosse automobile
Déjeune chez Suquet et dîne chez Peysson.

Il achète le blé, les cuirs et l’arachide
Affrète des bateaux vers des villes torrides
Et, bénissant son père, au moins dix fois par jour,

Il corrompt de son or les mères sans scrupules,
Qui conduisent chez lui, dans le noir crépuscule
Leurs filles vierges qui demeurent son amour.

Q63 – T15

Tous ces messieurs passent trop vite — 1922 (5)

Mélot du Dy in Le Disque vert

Charlie & Touchstone in the Forest of Arden

Tous ces messieurs passent trop vite
Au gré d’une vue immortelle;
Le mouvement de cette ville
Est difficile à supporter.

Permettez-donc que je vous quitte
Pour m’en aller à la campagne.
Adieu! je veux vivre tranquille.
Le bonheur ne vous comprend pas.

Bonheur de la forêt, le calme…
Mais où fuir ce monde cocasse?
L’arbre même est articulé

Sous l’écorce dissimulé
Un bouffon mime la sagesse;
Quelle forêt de petits gestes!

Q32 – T13 – octo  – certaines rimes approximatives

Dans un numéro de cette revue en l’honneur de Charles Chaplin.

Ce torse debout n’ose encore — 1922 (4)

Jean Cocteau Vocabulaire

Sonnet de la baigneuse

Ce torse debout n’ose encore
Etre, nu, ce dont il a l’air,
A savoir le haut d’un Centaure
Dont la croupe serait la mer.

D’une rose où cesse la chair
Que quelque frisure décore,
Commence le pelage vert;
Mais un même sang les colore.

Pauvre fille des demi-dieux,
Combien Vous aimeriez mieux
Pour une baigneuse être prise

Par trop, feignant d’avoir quitté
Notre terre et votre chemise,
Infidèle à l’Antiquité.

Q11 – T14 – octo

Dures grenades entr’ouvertes — 1922 (3)

Paul ValéryCharmes

Les grenades

Dures grenades entr’ouvertes
Cédant à l’excès de vos grains,
Je crois voir des fronts souverains
Eclatés de leurs découvertes!

Si le soleil par vous subis,
O grenades entre-bâillées,
Vous ont fait d’orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eus
De sa secrète architecture.

Q63 – T14 – octo

Ni vu ni connu — 1922 (2)

Paul ValéryCharmes

Le sylphe

Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu!

Ni vu ni connu
Hasard ou génie?
A peine venu
La tâche est finie!

Ni lu ni compris?
Aux meilleurs esprits
Que d’erreurs promises!

Ni vu ni connu
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises!

Q47 – T15 – y=x : e=a – 5s – le vers 1 est repris deux fois

Parmi les brumes des lointains — 1922 (1)

Jean RichepinLes glas

Sonnet boustrophédon

Parmi les brumes des lointains
Vient de refleurir une flore
Multiforme et multicolore,
Aux tons naissants, peut-être éteints.

En sons d’angélus argentins
Est-ce que l’on chante, ou s’éplore?
Est-ce cette âme près d’éclore,
Celle des soirs ou des matins?

La nuit fonce et le jour éclaire
Ce doux instant crépusculaire
Qui n’est pas la nuit, ni le jour,

Et dont la splendeur vague et brève
Est pourtant l’éternel séjour
Où se plaît le mieux notre rêve;

Au papillon de notre rêve
Nul jardin n’est un bon séjour
Que celui dont la rose est brève.

Il faut à son amour d’un jour
La lumière crépusculaire
Douce, et qui pas trop n’éclaire. ?

Sinon, les flèches des matins
Le percent quand il vient d’éclore,
Et son glas dans nos cœurs s’éplore
En rosée aux pleurs argentins;

Car voici qu’à nos yeux éteints
Meurt son essor multicolore
Tandis que se fane la flore
Fleurie aux brumes des lointains.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc abba abba – octo – Palindromique par les rimes (et parfois le vers entier) – banv

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

par Jacques Roubaud