Que m’importe qu’un pédagogue — 1920 (6)

Léon de Berluc-PerussisSonnets

A M. Achille Vogue,
qui me demandait un sonnet pour son recueil d’autographes

Que m’importe qu’un pédagogue
Me déclare d’une voix rogue
Que mes vers – sonnet, ode, églogue –
Ne sont qu’une assez pauvre drogue!

Voilà que mon humble pirogue
Aux rives de la gloire vogue,
Puisque, entre les auteurs en vogue,
Mon nom brille en l’album de Vogue.

A mon œuvre nul astrologue
N’eut prédit pareil apologue:
J’entre au temple où le meilleur drogue.

Mais êtes-vous sûr, ô bon dogue,
Que votre indulgent catalogue
La postérité l’homologue?

monorime  octo

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue — 1920 (5)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Mer montante.

Bruit qui ne s’énumère, et sous l’atone nue
le rond soleil qui transparaît
en point ardent d’où s’amasse la révolue
cendre du soir désert, la Mer ne saurait

d’éternel arrêter la respiration tûe
de tous les hommes morts en trophées! arrivait
de dessous l’horizon qui limite ma vue
et le soupir de ma poitrine – et elle avait

immensément le mouvement qui outre-passe
et la grève et les pas et les mots qu’en vain tasse
le poids multiplié de nos vivants trépas:

et elle était – qui vient de soi-même suivie –
de l’étendue que le temps ne tarit pas
et sur ma lèvre un goût de sel, mouillé de vie ….

1916

Q8 – T14 – 2m: octo: v.2:

Au long du mois de Mai, tous les rameaux d’en haut — 1920 (4)

René Ghil – in Oeuvres Complètes


Sonnet … à Hélène, pour ses quinze ans

Au long du mois de Mai, tous les rameaux d’en haut
sont pleins de voix qui tournent-doux, des tourterelles –
elles, qui doux-rappellent dans l’été, tantôt …
Au long du doré mois de Mai tout tournant d’ailes,

ah! – ah! nous avons pris toute la grappe aux grêles
et longues tiges, des lilas! et le tressaut
et le désordre d’or des grands genêts, et, telles
que de longs gestes de tendresse en l’air nouveau,

toutes les lianes nouantes … Et de toute
l’entrave, épandue en te rïant sur ta route,
nous voulons prendre au piège de Mai tes quinze ans!

Nous te prenons au piège où vont de lutte vaine
les papillons, – pour que te durent plus longtemps
et tes quinze ans rosés et nos Baisers, Hélène! ….
1913

Q11 – T14

Ma Triste, les oiseaux de rire — 1920 (3)

René Ghil – in Oeuvres Complètes

Sonnet

Ma Triste, les oiseaux de rire
Même l’été ne volent pas
Au Mutisme de morts de glas
Qui vint aux grands rameaux élire

Tragique d’un passé d’empire
Un seul néant dans les amas
Plus ne songeant au vain soulas
Vers qui la ramille soupire.

Sous les hauts dômes végétants
Tous les sanglots sans ors d’étangs
Veillent privés d’orgueils de houle

Tandis que derrière leur soir
Un souvenir de Train qui roule
Au loin propage l’inespoir.

1886

Q15 – T14 – octo

Tue en l’étonnement de nos yeux mutuels — 1920 (2)

René Ghil – in Oeuvres Complètes


Pour l’enfant ancienne

Tue en l’étonnement de nos yeux mutuels
Qui délivrèrent là l’or de latentes gloires,
Que, veuve dans le Temple aux signes rituels,
L’onde d’éternité réprouve nos mémoires.

Tel instant qui naissant des heurts éventuels,
Tout palmes de doigts longs aux nuits ondulatoires
Vrais en le dôme espoir des vols perpétuels
Nous ouvrit les passés de nos pures histoires

Une moire de vains soupirs pleure sous les
Trop seuls saluts riants par nos vœux exhalés,
Aussi haut qu’un néant de plumes vus les gnoses.

Advenus rêves des vitraux pleins de demains
Doux et nuls à plumer, et d’un midi de roses
Nous venons l’un à l’autre en élevant les mains.
1886

Q8 – T14 – vers 9 : un article comme mot-rime

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée, — 1920 (1)

Gauthier-Ferrières Le miroir brisé – sonnets


Sonnet ….

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée,
Dans l’atelier sans air des froids Parnassiens,
Quitte les ciseleurs pour les musiciens
Et danse enfin sur l’herbe où perle la rosée.

Emplis de vin ta coupe, ouvre au vent ta croisée,
Sois libre, ailé, chantant, tourne, bondis, va, viens!
Et joue aux quatre coins dans tes quatrains anciens
Afin que mon Amie en soit tout amusée.

Rajeunis-toi pour elle et brise tes liens,
O Sonnet, noble fleur des parcs italiens,
Transplantée autrefois dans les jardins de France.

Chante lui sa beauté que tu suis pas à pas
Et quelquefois aussi chante lui ma souffrance,
Pourvu qu’en t’écoutant elle n’en souffre pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds? — 1919 (7)

Henry Céard Sonnets de guerre

Explication

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds?
C’est que lassé, depuis longtemps, par l’antique hexamètre
Ankylosé, fourbu, boiteux, j’ai prétendu lui mettre
Deux béquilles, deux pieds de plus, comme aux estropiés.

Hardiment, j’ai rayé l’alexandrin de mes papiers!
Et l’avenir, hors du néant, me tirera peut-être
Pour d’inusités vers, ouvrés sans modèle, sans maître
Et sur aucun patron connu, coupés ou copiés.

Suivant l’accent, je place et déplace la césure.
J’en mets une, deux trois, quatre, et le sens et la mesure
Au lieu de se trouver gênés demeurent agrandis.

La règle peut changer: tout change. Alors risquons l’épreuve
De transformer des procédés trop pratiqués jadis.
– Si l’essai n’est pas bon du moins la tentative est neuve.

Q15 – T14 – banv – 14s – Illusion: il y a déjà eu des sonnets en vers de quatorze syllabes!

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures, — 1919 (6)

Vincent Muselli Les masques

Exotisme

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures,
Et dont les triples rangs peuplent le corridor,
Les dragons parfumés qu’énervent leurs morsures
Dans le sang des velours trempent leurs ongles d’or.

Le grand singe aux pieds roux dansant devant la glace
Agite dans l’air chaud la chaîne et le mouchoir,
Et ses jambes qu’entr’ouvre une obscène grimace,
Montrent son impudeur aux oiseaux du perchoir.

L’enfant n’écoute plus aux porcelaines creuses
Gémir l’écho lointain des fanfares heureuses,
Mais sous le ventre en fleurs il se cache en criant,

Car le soleil, tombant des fenêtres ouvertes,
Roule, et comme un poisson fébrile et flamboyant,
Dans l’aquarium bleu mange des carpes vertes.

Q59 – T14

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures; — 1919 (5)

Vincent Muselli Les masques

Les épiceries

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures;
Et la boutique immense est comme un reposoir
Où sont, par le patron, rangés sur le comptoir,
Comme des cœurs de feu, les bols de confitures.

Et, pour mieux célébrer la chute du soleil,
L’épicier triomphal qui descend de son trône,
Porte dans ses bras lourds un bocal d’huile jaune
Comme un calice d’or colossal et vermeil.

L’astre est mort; ses derniers rayons crevant les nues
Illuminent de fièvre et d’ardeurs inconnues
La timide praline et les bonbons anglais.

Heureux celui qui peut dans nos cités flétries
Contempler un seul soir pour n’oublier jamais
La gloire des couchants sur nos épiceries.

Q63 – T14

Les hautes œuvres dont vous avez le souci, — 1919 (4)

Jules SuperviellePoèmes

Le Sonnet capital
à un bourreau en lui envoyant un panier fleuri

Les hautes œuvres dont vous avez le souci,
Vous les exécutez en sage qui s’efface,
Et c’est sot de penser avec la populace
Que vous n’appréciez l’homme qu’en raccourci.

Vous avez des égards savants, des mots de grâce;
Vous dites aux vieillards: « Ce jour vous rajeunit,
Les meilleurs jours sont ceux que point on ne finit;
Aux jeunes « il faut bien que jeunesse se passe ».

Mais, à l’heure où le soir ramène le chagrin,
L’horrible souvenir du panier purpurin
Monte, et vous essuyez une larme d’apôtre …

Je veux, sympathisant, vous offrir roses, lis,
Avec la pâquerette et le volubilis,
Que ce panier fleuri vous console de l’autre.

Q16 – T15

par Jacques Roubaud