Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car — 1898 (6)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Invitation
sonnet olorime

Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car
A l’ombre, à Vaux, l’on gèle. Arrive. Oh ! la campagne !
Allons – bravo ! – longer la rive au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l’écart.

Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L’attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombre, thé des poires et des pêches,
Là, très puissant, un homme l’est tôt. L’art nourrit.

Et, le verre à la main, – t’es-tu décidé ? Roule –
Elle verra, là mainte étude s’y déroule,
Ta muse étudiera les bêtes et les gens !

Comme aux dieux devisant, Hébé (c’est ma compagne)…
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m’accompagne…
Amusé tu diras :  » L’Hébé te soûle, hé ! Jean !  »

Q62 – T15

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée, — 1898 (5)

François Dellevaux Le sachet d’amour

Le lys

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée,
L’acte brutal qui préoccupe ta pensée.
Or, c’est l’instant, ô virginale fiancée!
Des souhaits écoutés et des voeux accomplis….

Sois à moi! Le corps seul est d’argile. Le lys,
Cette royale fleur de pureté candide,
A besoin, pour pousser son calice splendide,
Du suc vivifiant d’un noir humus sordide:

Donne-toi. Notre amour te deviendra plus cher
En s’idéalisant, car, dans l’Oeuvre de chair,
La caresse est le Spasme et l’étreinte est l’Extase.

Qu’importe la matière impure, si l’esprit
S’en exalte? O leçon! Le parfum qui fleurit
Ignore, sans dédain, le fumier de sa base!

aaab  ba’a’a’ – T15

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, 1898 (4)

Jean Moréas Poésies 1886-1896

Choeur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pourquoi sur l’autel fumant en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches de serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma condition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20

Les langages humains, les mots d’une patrie, — 1898 (3)

– Marquis de Pimodan, Duc de Rarecourt  – Les sonnets

Le Golgotha

Les langages humains, les mots d’une patrie,
Les vocables du monde expirent! ….
…………………………………………..
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……………………………. Roi des Rois
Dieu Tout-Puissant! Jésus va mourir sur la Croix,
Et, tremblante, à ses pieds debout se tient Marie

Et, rétréci d’effroi, le coeur épouvanté
De la Mère, adorant l’Auguste Volonté,
Doit accepter l’horreur immense du Mystère,

Car qu’elle dise: « O Fils! mais ton sang est à moi,
Moi qui te l’ai donné! que m’importe la terre?
Que m’importent les cieux? Ce qu’il me faut: c’est Toi! »

quatrains lacunaires – T14

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre, — 1898 (2)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9bis
Hommage à Sappho

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre,
Pour éveiller un chant sauvage et presque amer,
Ou sans cesse clamant, plus profond que la mer,
Son amour incompris que nul n’avait pu lire.

L’appel inentendu que lançait son délire,
Embaumé de caresse et tout fleuri de mer –
veilleux et fous baisers, n’en trouvait que de mer-
cenaires chez l’amant qu’elle brûlait d’élire ….

Elle dort maintenant, sous son linceul vermeil,
Encore inapaisée au suprème sommeil,
Et le flot inquiet qui vient battre la roche

Conserve de ses yeux l’attirante phospho-
rescence et pleure, ainsi qu’un éternel reproche,
Dans le rêve des nuits, le grand nom de Sapho.

Q15 – T14 – banv

Muse, écoute les sons envolés de la lyre — 1898 (1)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9 Hommage à Sappho
Pour honorer la grande Poëtesse on a reproduit son divin caprice de couper les mots qui terminent certains vers

Muse, écoute les sons envolés de la lyre
Les accents font courir des frissons sur la mer
Houleuse éperdument. Dans les bois c’est la mer-
veille! et tout, jusqu’au flot, partage son délire.

Aphrodite la brûle; elle est venue élire
Sa demeure en ce corps que l’ouragan amer
Des voluptés mord, sèche et tord; Phaon le mer-
cenaire a saccagé cette âme sans la lire.

Grande amante fluide, ouvre tes flancs phospho-
rescents, tumultueux, à l’ardente Sapho
Qui, pour te posséder, s’élance de la roche!

Elle y croyait dormir un éternel sommeil,
Mais jusqu’en l’avenir, troublant comme un reproche,
Son désir de la chair vibre toujours vermeil.

Q15 – T14 – banv –  quelques fins de vers intra-mot, longtemps, longtemps, longtemps avant Denis Roche et Jean Ristat

Parmi les bruyères, penil des menhirs, – 1897 (21)

Alfred Jarry – Les jours et les nuits

Parmi les bruyères, penil des menhirs,
Selon un pourboire, le sourd-muet qui rôde
Autour du trou du champ des os des martyrs
Tâte avec sa lanterne au bout d’une corde.

Sur les flots de carmin, le vent souffle en cor.
La licorne des mers par la lande oscille.
L’ombre des spectres d’os, que la lune apporte
Chasse de leur acier la martre et l’hermine.

Contre le chêne à forme humaine, elle a ri,
En mangeant le bruit de hannetons, C’havann,
Et s’ébouriffe, oursin, loin sur un rocher.

Le voyageur marchant sur son ombre écrit.
Sans attendre que le ciel marque minuit
Sous le batail de plumes la pierre sonne.

Q17  T21 11s

Comme s’il éveillait, Juillet, sous une lune, — 1897 (20)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

Sonnet

Comme s’il éveillait, Juillet, sous une lune,
Quelques fils-de-la-vierge et les paraît d’argent,
Voici que tout l’été (déjà lui !) submergeant
Ton front pur, de cheveux gris te pare, ma brune.

Et malgré moi, je songe aux futures parures
Dont le ciel, exauçant plus tard mon vœu galant
Ornera ta beauté. Moins que ton cœur si blanc,
Blanche sera ta neige à l’ombre des guipures.

Oh ! tu seras, jolie encor, coiffée ainsi :
Tu me rappelleras les soirs de sans souci
Où tes yeux si luisants et tes pommettes roses,

(Vois, je m’en souviens comme si c’était d’hier)
Tu venais, les cheveux poudrés, piqués de roses,
Et ces frimas fleuris feront doux mon hiver

Q49  T14  (sauf si a’=a par assonnance)

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres, — 1897 (19)

Albert Giraud Hors du siècle

La douce rencontre

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres,
A pays des baisers d’un siècle, de là-bas :
Crépuscule des chairs ; torche rose des fièvres,
Tout s’est fané, tout s’est éteint, et je suis las.

– De ce même pays des torches et des fièvres,
Du pays du baiser séculaire, là-bas,
Du pays de la chair, du cher pays des lèvres
Je reviens comme toi, comme toi je suis las.

– Qu’avons-nous rapporté de cet amer voyage ?
– Rien qu’un impitoyable et stérile veuvage,
Qu’un mauvais compagnon d’exil et de prison !

Aimons-nous cependant, ô ma pauvre âme lasse,
Aimons-nous doucement, lentement, à voix basse,
Sans éveiller celui qui dort dans la maison.

Q8  T15  quatrains sur mots-rimes.

Quand parut le matin de la jeune vendange — 1897 (18)

Georges Fourest in La Province nouvelle

Quand parut le matin de la jeune vendange
Dans la coupe d’airain, je ne sais quelle Hébé,
Perfide, sut mêler du fiel et de la fange
Au vin pur qu’épanchait le rouge Kélébé.

Mais pour moi la jeunesse eut l’amertume étrange
D’un sinistre poison; et de pourpre nimbé,
Ainsi qu’un fier démon qu’un Dieu force d’être ange
Je rêve, triste éphèbe, à cet age courbé

Où les cieux éteignant leurs lampes sidérales,
Contemnant les sanglots, les désirs et les râles
Nous cesserons enfin, fantômes clandestins,

De nous trainer, sanglants sur le marbre des dalles
Et de suivre à travers ses ignobles dédales
Le fil mystérieux des fugaces destins.

Q8  T6

par Jacques Roubaud