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J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire —1808 (7)

P.J. Charrin Mes loisirs ou Recueil de poésies

Logogriphe A Mademoiselle *** A ***

Sur son nom

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur,
J’habite en même temps et les cieux et la terre.

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe,
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement.

Un arbre, un des quartiers de cette grande ville,
Une substance amère, et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux,

Le corps le plus vaillant, le plus beau d’une armée,
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée,
Et qui furent toujours consacrés au repos.

Q63 – T15

On a affaire ici à un de ces jeux de société dont le dix-huitième siècle fut friand. (Je renvoie à l’indispensable ouvrage de Claude Gagnaire ‘Pour tout l’or des mots‘, pour la définition du logogriphe).

Solution due à Alain Chevrier:

J’ai huit pieds, cher lecteur, et mon tout fait pour plaire
S’il s’offrait à tes yeux maîtriserait ton coeur.
Tu me nommes souvent pour peindre ton bonheur, = FéLICITÉ
J’habite en même temps et les cieux et la terre. = FéE (ou ELFE ?)

Cherche, et tu trouveras, en me décomposant
D’un peuple quel qu’il soit la moins brillante classe = LIE
Un meuble précieux, duquel on ne se passe
Sans qu’on y soit contraint par un événement: = LIT

Un arbre, = IF un des quartiers de cette grande ville = CITÉ,
Une substance amère = FIEL et parfois très-utile,
Un endroit isolé, défendu par les eaux, = ILE

Le corps plus vaillant, le plus beau d’une armée, = ÉLITE
Enfin, un de ces jours dont l’enfance est charmée, = FêTE
Et qui furent toujours consacrés au repos.

En résumé :
Félicité : fée (ou elfe), lie, lit, cité, fiel, île, élite, fête.

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage, — 1808 (6)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Le courlis

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage,
Appelé par le bruit du flot qui bat ces bancs;
Il livre aux aquilons son grisâtre plumage,
Et mêle un cri plaintif à leurs rugissemens.

Triste oiseau! Nous avons un même caractère.
Plus sauvage que toi, j’aime à porter mes pas
Entre les rocs épars sur ce bord solitaire;
Les plus rians bosquets sont pour moi sans appas.

O mer! Je t’aime calme, et j’aime ta furie!
Quand je vois les courans, sur ta surface unie,
Fuir en traits lumineux, je m’arrête en disant:

Voici comme ils ont fui, les beaux jours de ma vie!
A tes flots, sur tes flots se pressant, se brisant,
Peignent trop bien mon coeur tel qu’il est à présent.

Q59 – T8

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage — 1808 (5)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur le calebassier

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage
Dont le soleil encor rehausse les couleurs,
Tandis qu’au malheureux couché sous ton ombrage
Ton riche fruit présente un sac consolateur!

Quand je porte vers toi mes pas involontaires,
Je sens parmi tes fleurs mon chagrin endormi;
Ton ombrage invitant et tes fruits salutaires
Offrent à mon esprit l’image d’un ami.

Tu me peins l’amitié qui, soigneuse et discrète,
Travaille à refermer les blessures du coeur,
Et, d’un mal incurable émoussant la douleur

Verse un baume secret sur la peine secrète.
Je sais trop que le baume est peu sûr, mais, hélas!
Il adoucit du moins ce qu’il ne guérit pas.

Q59 – T30

Visite, douce paix ! la vallée épineuse — 1808 (4)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur la paix de l’ame

Visite, douce paix ! la vallée épineuse
Que je parcours pensive, en l’arrosant de pleurs,
Loin des sentiers riants où la jeunesse heureuse
D’un pied léger foule des fleurs ;

Ainsi que mon bonheur, que le jour disparaisse,
Que la nuit sur le monde étende un voile noir ;
Le jour, la nuit verront mes pleurs couler sans cesse :
Mais que servent les pleurs au chagrin sans espoir ?

Heureuse paix de l’ame ! en vain je te conjure ;
Quand l’hiver orageux consterne la nature,
On n’obtient pas du ciel de se montrer plus beau :

Ma vie est cet hiver : mais, contre la tempête,
Il est un abri pour ma tête ;
Et cet abri, c’est le tombeau.

Q59 – T15 – 2m:octo: v.4,13,14

(a.ch) L’auteur a en tête, sans doute, les discours en vers à rimes mélées de son temps.

Siddons! dont la magie et m’éclaire et m’étonne — 1808 (3)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet à Madame Siddons

Siddons! dont la magie et m’éclaire et m’étonne
Par des plaisirs si purs et si délicieux,
En ouvrant à ton gré les enfers ou les cieux,
Souffre que sur ton front je pose une couronne,
Pour prix de tant de pleurs que te doivent mes yeux.

Mais c’est trop entreprendre, et ma Muse balance;
Elle voudrait te peindre en ta vive action,
Et répéter l’accent de chaque passion,
Et dire ce que dit ton éloquent silence,

Soit que l’ambition change en acier ton coeur,
Soit qu’à ton aspect sombre on frémisse, et qu’on n’ose
De tes yeux égarés soutenir la fureur;

D’un amour inquiet soit que plaidant la cause,
Ta voix de l’ame même emprunte la douceur ….
Oh non! pour peindre un astre il n’est point de couleur.

abbab a’b’b’a’ – T19 – disp: 5+4+3+3 – 15v

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire, — 1808 (2)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur l’espérance

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire,
Devant qui semblent fuir la crainte et la douleur,
Douce Espérance! viens; viens, et que ton sourire
Eclaircisse la nuit qui règne dans mon coeur;

Parle à ce coeur, dis-lui (ta voix a tant de charmes!)
Qu’il peut germer encor pour lui quelque plaisir,
Que, pour tromper la peine, ou du moins l’adoucir,
L’esprit a sa magie, et l’amitié ses larmes;

Mais ne ramène point ces fantômes brillans
Qui devant moi semaient, aux jours de mon printems,
Des fleurs qu’à leur éclat je croyais immortelles:

Mon esprit, abattu sous le poids de ses maux,
N’oserait contempler des images si belles;
Ce n’est point le bonheur qu’il veut, mais le repos.

Q60 – T14

Les tercets sont organisés selon le deuxième des modèles principaux du sonnet français du 16ème et 17ème (pour le premier voir le n°1): un distique à rimes plates, suivi d’un quatrain à rimes alternées.

Froid Désappointement! pâle auteur de mes peines, — 1808 (1)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Les poèmes du marquis de Boufflers sont des adaptations de sonnets de la poète anglaise Hélène-Maria Williams. J’en ai retenu plusieurs, qui offrent diverses caractéristiques formelles

Le Désappointement *

Froid Désappointement! pâle auteur de mes peines,
J’éprouve, à ton seul nom, le frisson de la peur;
La vie en moi s’arrête; et mes traits sans couleur
Attendent que mon sang dégèle dans mes veines.

Je t’accuse pourtant bien moins que mes erreurs;
L’amour & l’amitié, dans mon âme insensée,
Se montraient tout brillans du feu de ma pensée;
Je leur prêtais la foi qui n’est pas dans les coeurs.

Mais dans les champs des airs si quelque beau nuage
Offre un brillant palais à mon oeil enchanté,
Puis-je exiger des vents de n’y point faire outrage?

Puis-je attendre de lui quelque solidité?
Non, je sens que c’est moi qui suis mon ennemie
Mais je sens trop, aussi combien j’en suis punie.

*  » Ce terme est nouvellement emprunté de l’anglais, et absolument étranger à notre poésie; mais on doit le pardonner dans la traduction d’une pièce où il est personnifié, parce qu’il fallait le nommer par son nom, et que ce mot n’a pas de correspondant connu dans notre langue.  »

Q63 -T23

Après un quatrain abba, le deuxième quatrain renouvelle entièrement les rimes (en effet, dans la prosodie classique, le singulier ne rime pas avec le pluriel; donc ‘peur’ ne rime pas avec erreurs’); je le note a’b’b’a’. La disposition des tercets est cdc dee. Le sonnet s’achève donc par un distique plat, choix très ‘anglais’ (c’est le cas des sonnets de Shakespeare).

1807

Aucun sonnet trouvé pour cette année. La Bibliothèque Nationale (comme aussi la Library of Congress et la British Library) ignore l’ouvrage suivant : Alfonso Muzzarelli : Douze faits de l’histoire sainte exposés en autant de sonnets publié à Ferrara en 1807, d’après L’Ami de la religion, journal ecclésiastique, politique et littéraire qui le signale en 1822.

Agent trop criminel du tyran Robespierre, — 1806 (1)

Alexandre Sonnerat Collection complète des œuvres de poésie

Sonnet à Collot d’Herbois, d’exécrable mémoire

Agent trop criminel du tyran Robespierre,
Bourreau de mon pays, infâme dictateur !
Avant de terminer ta coupable carrière,
Laisse entrer un moment le remords dans ton cœur !
Contemple, malheureux, la suite de tes crimes !
Vois le Rhône frémir et reculer d’horreur !
Ses flots ensanglantés ont roulé tes victimes
Vivant pour la patrie et mourant pour l’honneur.

Des sifflets de Lyon ton injuste partage
Tu voulus te venger dans ta jalouse rage ;
Tu fis couler le sang pour flatter ton orgueil ;
Pour prix de tes forfaits quand la hache fatale
Viendra s’appesantir sur ta tête infernale
Un bravo général fermera ton cercueil.

Q38  T15  disp 8+6

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M.Restaut : Principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise –(première éd. 1748) Du Sonnet – Nous n’avons rien de plus beau dans notre poésie que le Sonnet, quand il est bien exécuté. les pensées doivent y être nobles et relevées, les expressions vives et harmonieuses ; et l’on n’y souffre rien qui n’ait un rapport essentiel à ce qui en fait le sujet. Mais il est assujetti à des regles si gênantes, qu’il est très-difficile d’y réussir, et que nous en avons fort peu de bons.

Il est composé de quatorze vers, toujours de la même longueur, et pour l’ordinaire de douze syllabes, quoiqu’on en fasse quelquefois de dix, et même de huit et de sept. Mais ils ont moins de beauté et d’harmonie.

Ces quatorze vers sont partagés en deux quatrains et un sizain.

Les deux quatrains doivent avoir les rimes masculines et féminines semblables, que l’on entremêle dans l’un de la même manière que dans l’autre.

Le sizain commence par deux rimes semblables, et il y a après le troisième vers un repos qui le coupe en deux parties que l’on appelle Tercets, c’est à dire, stances de trois vers.

Il faut éviter autant qu’il est possible, que le mêlange des rimes dans les quatre derniers vers du sizain, soit le même que dans les quatrains. …..

Voici un sonnet qui exprime la nature du sonnet même
Doris qui sait qu’aux vers quelquefois je me plais,
Me demande un sonnet, et je m’en désespère.
Quatorze vers, grand Dieu ! le moyen de les faire ?
En voilà cependant déjà quatre de faits.
Je ne pouvois d’abord trouver de rimes, mais
En faisant on apprend à se tirer d’affaire.
Poursuivons, les quatrains ne m’étonneront guere,
Si du premier tercet je peux faire les frais.
Je commence au hasard, et si je ne m’abuse,
Je n’ai pas commencé sans l’aveu de ma muse,
Puisqu’en si peu de temps je m’en tire si net.
J’entame le second, et ma joie est extrême :
Car des vers commandés j’achève le treizième.
Comptez s’ils sont quatorze ; et voilà le sonnet.
Regnier Desmarais (1708) ; ‘imité  de Lope deVegue’

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