Archives de catégorie : Disposition strophique

La disposition ordinaire 4+4+3+3 n’est pas signalée.

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années, — 1908 (4)

Valéry LarbaudLes poésies de A.O. Barnabooth

Vœux du poète

Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,
Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)
Puissè-je être une main fraîche sur quelque front!
Sur le front de quelqu’un qui chantonne en voiture
Au long de Brompton Road, Marylebone ou Holborn,
Et regarde en songeant à la littérature
Les hauts monuments noirs dans l’air épais et jaune.
Oui, puissè-je être la pensée obscure et douce
Qu’on porte avec secret dans le bruit des cités,
Le repos d’un instant dans le vent qui nous pousse,
Enfants perdus parmi la foire aux vanités;
Et qu’on mette à mes débuts dans l’éternité,

L’ornement simple, à la Toussaint, d’un peu de mousse.
ababcdcdefeffe – sns  – disposition d’un seul bloc, ‘à l’anglaise’.

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés — 1908 (3)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

La Paresse

Pour une eau-forte en couleur de H. Detouche

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés
Pour des yeux demi-clos s’écoulent comme un fleuve;
L’immobile et la multiple volupté neuve
Se disperse en miroitements inopinés.

Accorde à du songe ton beau front pur. Eprise
De mieux qu’elle, que veut la Vie et tout son bruit
Ravir à ton extase sereine où ne luit
Qu’un clair soleil jailli du regard qu’il irise?

Si la spirale couve un sommeil morne et lent,
Ta pensée a tissé, comme un fil l’araignée,
Le manteau d’oubli lourd dont tu sais, résignée,
Tristement dorloter l’effroi d’un hiver blanc

Jusqu’au printemps nouveau dont la verdeur redresse
Même la tige de tes rêves, ô Paresse!

Q63  T30 disp du précédent shmall*

En l’église, où ne s’allume — 1908 (2)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

Pour Stéphane Mallarmé

HOMMAGE

En l’église, où ne s’allume
Qu’une étoile taciturne,
Le myrrhe fade de l’urne
Et, sous l’angoissante brume,

Surgit du sol qu’elle évite:
Tel, secret et pur, s’élève
Vers le Ciel perdu le rêve
D’un sacrilège lévite.

Joie et désir de mon songe
Epris d’air lointain et d’astres
Mon orgueil fuit maints désastres
Pour des nuits où se prolonge

Le rayon d’extase vers
Le bel azur de vos vers!

Q63  T30 – 7s – disp du précédent : shmall*

De toi seul fils et l’aïeul — 1908 (1)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

A O.G.D.

De toi seul fils et l’aïeul
Naît aux portiques du rêve
Le guerrier de qui le glaive
Soit le simple et clair glaïeul.

En ses doigts tige qu’isole
D’un geste las son dédain
Il t’a prise à quel jardin
De Spolète ou de Fiesole,

Pour, ce héros puéril
Surgi d’un lointain de l’âme,
Abdiquer la fleur de flamme
Aux futurs pourpris d’avril

Où des roses seront fières
D’être des roses-trémières.

Q63  T30 – 7s – shmall* : Disposition semblable à celle de Mallarmé (‘schmall’), mais en quatrains à rimes embrassées

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher, — 1894 (8)

Marie KryzinskaJoies errantes

Jeanne d’Arc
A Paul Hugonnet
Sonnet en prose

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher,
Où Jeanne montera, ainsi que l’on s’exhausse
Sur un trône d’immortalité.
Court-voyants soudards qui appelez
Supplice – l’apothéose de sa gloire!
Plus cléments, vous eussiez volé
Sa belle part
Au patrimoine de l’Histoire.

La voici, tel un joyeux Archange planant haut
Au milieu des flammes vermeilles,
Qui chantent sa beauté de vierge sans pareille.

Et sa cendre sera
La semence précieuse qui fera
Lever une moisson de héros.

abaaa’b’xa’ – T15 – disp: 8+3+3 –  m.irr – L’auteur nomme ‘sonnet en prose’ un poème où les rimes sont non classiques, un vers est sans rime et la métrique est très irrégulière.

D’abord vivre, dit-on, et puis philosopher ; — 1892 (9)

Henri Michel in La syrinx

Sonnets liminaires, I
(La pensée.)

D’abord vivre, dit-on, et puis philosopher ;
Mais comment vivre sans juger ce qu’est la vie ?
Toujours quelque maxime en secret est suivie
Et sa raison native on ne peut l’étouffer.

En vain voudrait-on voir sous sa haute fenêtre,
Comme un rêve, passer la vie à l’horizon ;
Véridique ou menteuse, au cœur de la raison,
Une pressante voix nous impose un Doit Etre.

Même pour s’abstenir il faut avoir choisi,
Et c’est choisir encor que suivre une coutume.
Le glorieux calice au parfum d’amertume
Brille et tremble aux mortelles mains qui l’ont saisi.

Les jours entre mes doigts coulent comme du sable ;
Il est temps de vider la coupe inéluctable.

Q63  T30 = shmall* disp 4+4+4+2

Le temps morne a fermé l’oeil clair des pierreries — 1891 (15)

Le concours de La Plume

(concours n° 143)

Sonnetin

Le temps morne a fermé l’oeil clair des pierreries
Sa poussière a terni le bois d’ébène et l’or
Et le riche brocard des lourdes draperies.
Le temps respectueux n’osa jamais encor

Faner ce frais visage et ces lèvres fleuries
Sur le lit centenaire où  la Princesse dort.
O rose fleur, parmi les tresses décoiffées

L’éphèbe émerveillé la baisa doucement.
Voilà comme, un matin, le Prince élu des Fées
Tira de son sommeil la Belle au Bois dormant.

aba bab cd cd – Le ‘sonnetin’ est une sorte de ‘sonnet court’, de répartition 3+3+3+2. Je ne lui connais pas de descendance.

Trêve — 1887 (15)

Georges Proteau Les cent sonnets d’un fumiste

L’AMIE NOYÉE
Echantillon de style nègre à l’usage des poètes décadents

Trêve
Au
Beau
Rêve.

L’eau
Crève
Peau
D’Eve.

Pleurs,
Fleurs,
Piste.

Port
Triste
Mort.

« L’amant se désole sur la mort de sa maîtresse. Tout d’abord il avait cru à l’abandon mais des fleurs qu’il connait bien le mettent sur la piste. Arrivé sur le port il trouve le cadavre de son amie gonflé par l’eau. Alors, fou de douleur, il déplore le trépas qui déforme aussi prosaïque-ment le beau corps de l’adorée.
N. B.—Ces quelques mots d’explication’étaient pas superflus pourla compréhension de ce vilain charabia. »

Q17  T14  sns mono

Au piano elle est assise et la sonate — 1887 (12)

Albert Saint-Paul in Ecrits pour l’art

Sonate

Au piano elle est assise et la sonate
–       Un océan dont les accords seraient les flots –
D’abord clapote et vient, câline, unie, en natte
Aux grèves vers mon rêve – ô les flots aux falots !

Et mon âme se pâme au sourd roulis des lames
En la Nuit qui s’enfuit où clament mille voix ;
Et les cordes, qu’accorde une voix de hautbois,
Chantent l’Avril, l’Idylle et les Epithalames.

Et nous voguons ! et nous tanguons, la Nuit s’enfuit.
Très loin l’horizon sans maisons – l’horizon luit.

Plaque encor des accords sur ton Erard d’ébène.
Laisse tes doigts à la caresse du clavier.

Oh ! notre âme emmaillée en l’immense épervier
De la kabbale, à l’aube opale pâle à peine.

Q60  T15  disp (Tercets en distiques) – rimes intérieures