Archives de catégorie : Formule de rimes

Leurs noms, presque connus, s’homonyminisaient. — 1879 (18)

L’Hydropathe

Cabriol

Sonnet de la dernière heure

Leurs noms, presque connus, s’homonyminisaient.
C’était vers l’an mil huit cent soixante et dix-neuf
Leurs rêves de savants se volatilisaient
Dans un essor puissant vers un monde plus neuf.

Ils s’appelaient tous Cros, sur le parchemin veuf
Les tons de l’arc-en-ciel, un beau jour, s’irisaient.
L’air ouvrait ses chemins. Par leurs efforts de boeuf
Sur le verre les mots se phonographisaient

Par eux, buveurs de bière et fumeurs de cigares
Coquelin faisait rire en monologuisant
Le Coffret de Santal rayonnait, séduisant.

Le bonheur s’étendait jusques au fond des gares,
La voix des sourds-muets sortait de son linceul,
Et tous ceux-là ……. n’était qu’un seul.

Q17  T30 v.14 lacunaire

Ka-ka-doi, mandarin militaire, et Ku-ku — 1879 (17)

Emile Goudeau in L’Hydropathe

Sonnet japoniste

Ka-ka-doi, mandarin militaire, et Ku-ku
Auteur d’un million et quelques hémistiches
Causent en javanais sur le bord des potiches,
Monosyllabiquant d’un air très-convaincu.

Vers l’an cent mille et trois ces magots ont vêcu
A Nangasaki Ki vend des cheveux postiches –
C’étaient d’honnêtes gens qui portaient des fétiches
Sérieux, mais hélas ! chacun d’eux fut cocu.

Comment leur supposer des âmes frénétiques ?
Et quel sujet poussa ces poussahs lymphatiques,
A se mettre en colère un soir, je ne sais pas !

Mais un duel s’ensuit ! – ô rages insensées !
Car ils se sont ouvert le ventre avec fracas –
Voilà pourquoi mes deux potiches sont cassées.

Q15  T14 – Banv

L’aérostat est une bulle — 1879 (16)

Félicien Champsaur in L’Hydropathe

Voyage dans les airs

L’aérostat est une bulle
Et, lent, monte vers le soleil.
La brise d’avril, en éveil,
Au-dessous, dans la nue, ondule.

Il va, le ballon minuscule,
Monte dans le matin vermeil,
Rose, bleu, violet, pareil
A l’aile d’une libellule.

Le filet est tracé de fils
De la vierge, ténus, subtils.
Une étoile encore étincelle.

Il va, soutenant avec art
Un myosotis pour nacelle,
Et puis, dedans, Sarah Bernhardt.

Q15  T14 – banv –  octo Allusion au voyage en ballon de l’actrice, dont le récit avait été publié à l’occasion nouvel an par l’éditeur de Flaubert, Charpentier, à la place d’un des Trois Contes (St Julien l’hospitalier) initialement prévu. Flaubert s’en plaint dans une lettre à Tourgueniev.

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère, — 1879 (15)

Grenot-Dancourt in L’Hydropathe

Portrait d’Emile Goudeau

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère,
Son nez est ordinaire et son œil est hagard,
Il a l’esprit alerte et prompt comme un pétard,
L’hydropathe le craint, mais se tait, et vénère.

Il est bavard comme un portier de monastère,
Mais n’aime pas le bruit des autres, et sait l’art
D’apaiser la tempête avec un bolivard
Dont il couvre à propos son crâne âpre et sévère.

Il tient un peu de l’ours et du bâton noueux,
Oh ! c’est qu’un imbécile et moi, cela fait deux,
Dit-il, et devant lui l’hydropathe frissonne.

Il fait des vers qui sont beaux, si beaux que personne
Ne comprend. Il est dur mais noble, zinc, et beau.
Sur nos lèvres son nom vole. Hein ? oui …. c’est Goudeau.

Q15  T13

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes, — 1879 (14)

Jules Jouy in l’Hydropathe

Sonnet-programme

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes,
Niniche et toi, bourgeois vide et prétentieux,
Profitant du lorgnon que le vin sur tes yeux
Pose, viens avec moi t’asseoir aux Hydropathes.

Pourtant, avant d’entrer, un mot: que tu t’épates
Ou non, garde-toi bien de mots sentencieux
Devant ce défilé de profils curieux:
L’endroit est sans façons, on n’y fait point d’épate.

Certes, ne t’attends pas à trouver un goût d’eau
Au parlement criard que préside Goudeau,
Laisse à ton nez poilu monter l’encens des pipes;

Et – moins sot que Louis, aux canons bien égaux
Foudroyant les Teniers et leurs drôles de types –
Du cercle ‘Hydropathesque’ admire les magots.

Q15  T14 – banv

Précédé de son ventre et suivi de son chien, — 1879 (13)

Clément Privé in La Lune rousse

Sonnet circulaire

Précédé de son ventre et suivi de son chien,
L’oeil émerilloné, la narine pourprée,
Et le front couronné de bêtise inspirée,
Un bourgeois cheminait à l’entour de son bien.

Il était gras et rose et se portait fort bien.
Il avait bien dîné, la panse était sacrée;
Je ne vous dirai pas qu’il ne pensait à rien.
La terre s’endormait, par le couchant dorée.

Il marchait lentement par le sentier sablé,
Et, calme, il contemplait, le long des oseraies,
Les escargots ventrus, ces prudhommes des haies;

Mais sentant le soleil par les branches voilé,
Il s’arrêta tout court, et dit au chien docile:
« Nous sommes assez loin de notre domicile. »

Il fit un demi-tour, puis vers son domicile
Il revint à pas lents, suivi du chien docile:
Le soleil descendait par les branches voilé,

Les oiseaux se taisaient dans la cime des haies,
Les vent du soir passait au sein des oseraies,
Et l’ombre s’étalait sur le sentier sablé.

Mille doux bruits chantaient à travers la soirée.
Le bourgeois souriant, qui ne pensait à rien,
En s’appuyant sur sa canne à pomme dorée,
Promenait doucement ses gros yeux sur son bien.

Entre temps, son épouse avait trouvé moyen
De le faire cocu; c’était chose ignorée
De monsieur, qui rentra près de son adorée,
Précédé de son ventre et suivi de son chien.

Q14 – T30 + s.rev: eec ddc baba abba –quasi-palindromique vers à vers

Sur cinq pieds je suis oiseau — 1879 (12)

L’union littéraire et le Sonnetiste réunis

Arsène Thevenot

Anagramme-Logogriphe

Sur cinq pieds je suis oiseau
D’une grande renommée,
Ou bien du poisson dans l’eau
La qualité présumée.

Puis sur quatre, de nouveau
Je redeviens emplumée
Mais quand j’affecte la peau
Je suis assez mal famée

Sur trois au sein de la mer
On me voit grande ou petite,
Et plus d’un peuple m’habite.

Ou je suis breuvage amer
Que l’on verse à la taverne:
Vois, lecteur, si je te berne.

Q8 – T30 – 7s

Solution d’Alain Chevrier:

Sur cinq pieds je suis oiseau = AIGLE
D’une grande renommée,
Ou bien du poisson dans l’eau
La qualité présumée. = AGILE
Puis sur quatre, de nouveau
Je redeviens emplumée = AILE
Mais quand j’affecte la peau
Je suis assez mal famée = GALE
Sur trois au sein de la mer
On me voit grande ou petite,
Et plus d’un peuple m’habite. = ILE
Ou je suis breuvage amer
Que l’on verse à la taverne: = ALE
Vois, lecteur, si je te berne.

En résumé :

Aigle, agile, aile, gale, île, ale.

Enfant, il se plaisait à torturer les chats — 1879 (11)

L’union littéraire et le Sonnetiste réunis

Maurice Rollinat

Le mouchard

Enfant, il se plaisait à torturer les chats
Et leur tirait les yeux avec ses ongles sales;
Il bafouait son père et couvrait de crachats
Sa mère ayant pour lui des bontés colossales.

Jeune homme, au lupanar, artiste en entrechats,
Il faisait le pantin dans les ignobles salles;
La débauche et le vin formaient tous ses achats;
Son oeil avait déjà des lueurs transversales.

Homme, il s’est marié pour exercer son poing,
Et tandis que sa femme, hélas!, ne mangeait point,
Lui, se gorgeait sans honte avec des catins saoûles.

On le voit aujourd’hui moins fréquemment pochard.
Il passe cauteleux dans l’ombre et dans les foules:
C’est que l’affreux ivrogne est devenu mouchard.

Q8 – T14

Des bavards je suis revenu; — 1879 (10)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Profession de foi

Des bavards je suis revenu;
C’est pourquoi de ma république
Je bannis tout poëte épique.
Pour Voltaire, c’est convenu;

Et lui-même, le grand classique,
Homère m’a toujours déplu,
J’en fais l’aveu très ingénu,
Par sa longueur kilométrique.

Parlez-moi de quatorze vers,
Fussent-ils forgés de travers;
Etre sobre est ma loi suprême;

Et m’est avis que mon sonnet
Bien que clochant un tantinet,
Ennuira moins qu’un long poëme.

de Berluc-Perussis

Q16 – T15 – octo – s sur s

A Pistoie, en m’éveillant — 1879 (9)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Italiam! Italiam!

A Pistoie, en m’éveillant
Un prurit soudain m’offusque;
Certain insecte grouillant
Vint-il pas se poser jusque

Où mon cou est plus saillant.
Je le saisis d’un air brusque!
Mais je dis en souriant:
« Hé! C’est la punaise étrusque!!

Petit insecte rageur,
Je ne suis qu’un voyageur,
Cherche ailleurs, cherche ta voie! »

Je dis, et posai sans bruit
Dessus la table de nuit
La punaise de Pistoie!

Charles Monselet

Q8 – T15 -7s