Archives de catégorie : Formule de rimes

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme — 1876 (1)

Auguste CreisselsLes Tendresses Viriles – Sonnets –

Le Sonnet

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme
Aime, en vrai huguenot, le Sonnet dédaigné;
Car son double quatrain, droit, sévère, aligné,
Accepte pour son bien la rigueur de la forme.

Soumis aux mêmes lois, le tercet uniforme
Reste grave et solide au poste désigné;
On dirait des soldats d’Agrippa d’Aubigné
Maintenus au cordeau par Philibert Delorme.

Si des quatorze vers un seul quittait le rang,
L’esprit des francs-routiers, sur l’heure y pénétrant,
Ferait de ces héros des coureurs d’aventure;

La force du Sonnet exige un mouvement,
Discipliné, conduit comme un vieux régiment,
Sur un plan rigoureux de haute architecture.

Q15 – T15 – s sur s

C’était le soir , battant ses rives désolées, — 1875 (12)

Ernest Périgaud Exaltations

Le torrent

C’était le soir , battant ses rives désolées,
Avec un bruit plaintif imitant les sanglots,
Le torrent s’enfuyait ; des lueurs étoilées
Voltigeaient en tremblant à la cîme des flots.

L’écume jaillissante étendait sur les eaux
Son écharpe d’argent ; ainsi que des troupeaux
Que l’épouvante chasse en bandes affolées,
Les vagues en fureur couraient échevelées.

Pensif et recueilli, je contemplais cette onde
En courrous ; j’écoutais cette clameur profonde,
Y cherchant une image, un écho d’ici-bas :

Humanité ! grand fleuve à l’orageuse houle,
Lamentable concert des mortels, pauvre foule,
Pêle-mêle, au hasard, précipitant ses pas !

Q12  T15

C’est toi, mon doux trésor, c’est toi, ma bien-aimée, — 1875 (11)

Ernest Périgaud Exaltations

Toi

C’est toi, mon doux trésor, c’est toi, ma bien-aimée,
Plus fraîche qu’un matin, plus belle qu’un beau jour,
Toi le ravissement de mon âme charmée,
Toi mon souci constant et mon plus cher espoir.

Ta taille est svaelte à rendre envieuse une almée,
Ta joue est une fleur, ta lèvre parfumée
Semble un vivant corail, et ton œil, pur miroir,
Brille comme un éclair de feu dans le ciel noir.

Loin de toi c’est la nuit sombre, l’âme oppressée,
Le doute affreux, l’angoisse et la morne pensée ;
C’est le foyer en deuil où plane la douleur.

Tu parais, ô splendeur ! tu souris, ô merveille !
En mon cœur réjoui tout chante et tout s’éveille.
Voici le jour, voici la joie et le bonheur !

Q7  T15

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ? — 1875 (10)

Eugène Roulleaux in Revue … de l’Ain

Sonnet sur le sonnet

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ?
Si, pour quelque chef-d’œuvre, un beau cadre me plaît,
Je n’étreindrai jamais, sur l’étroit chevalet,
Comme un vil criminel, ma muse embarrassée.

Ce qu’il faut, une fois la rime égalisée,
Comme des ailes d’aigle – ou bien de roitelet,
Ce n’est pas qu’elle courbe, obséquieux valet,
Devant un fouet brutal sa grâce cadencée.

Son destin est le vol, libre, capricieux.
Qu’elle rase les eaux ! qu’elle aille au fond des cieux !
Qu’elle brise tout frein ! L’espace est son domaine.

L’univers est à toi ! Songe que c’est meilleur
Qu’un sonnet – vrai carcan – Poésie, ô ma reine,
Et ne va pas ramper aux pieds d’un rimailleur.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ; — 1875 (9)

Bernard Bonafoux Les nouveaux sonnets de Provence

Sonnet & chanson

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ;
J’en suis très-satisfait, et ce serait louable
Si comme nos aïeux on essayait, à table,
De le faire mousser à la fin du menu !

Il voulut déserter, – ce fut très-regrettable :
De se perpétuer il n’était pas tenu,
Mais puisqu’il nous revient comme un hôte connu,
Tachons que son succès soit à jamais durable.

La Chanson n’a pas craint de faire comme lui :
Elle nous a quitté, à bon droit elle a fui
Nos cœurs trop asservis à la vile matière.

Reviendra-t-elle un jour ? Ne désespérons pas
D’entendre nos enfants joindre, dans leurs ébats,
Le Sonnet amoureux à la Chanson guerrière.

Q16 T15  s sur s

Sonnet, c’est un sonnet pour Roma Ratazzi. — 1875 (8)

Arsène Houssaye in L’Artiste


Sonnet à rimes redoublées crayonnés à la table à la fête de Roma Ratazzi

Sonnet, c’est un sonnet pour Roma Ratazzi.
Je vais le lui rimer en toute courtoisie.
Comment n’aurais-je pas des fleurs de poésie
A jeter à ses pieds comme on jette un lazzi ?

Mon Pégase est rétif, mais je l’ai ressaisi
Et j’y monte gaiement avec ma fantaisie.
Le coup de l’étrier, est-ce du Malvoisie,
Du Mumm, du Roederer, du Cliquot, du Bouzy ?

Quelle mère pourrait la voir sans jalousie
Cette enfant adorable entre toutes choisie ?
Buvons à sa santé, jusqu’au revenez-y.

Si pour chanter l’enfant ma muse s’extasie,
La mère a son mérite, on peut sans hérésie,
Dire qu’elle a bien fait sa Roma Ratazzi.

Q15  T6  y=x (c=b & d=a) (b=a*: zi/zie)

Ma chère, quand nos cœurs n’auront plus de pensées, — 1875 (7)

Adolphe Froger Les amours profondes

Ma chère, quand nos cœurs n’auront plus de pensées,
Nos yeux plus de regards, et nos voix plus de chants,
Quand nous ne seront plus que deux âmes glacées
Nous viendrons l’un vers l’autre avec des airs touchants

Nous nous reposerons dessous les lueurs vives
Des étoiles sans nombre et des soleils couchants
Et comme deux rosiers aux ailes maladives
Nous entremêlerons nos parfums attachants.

Portant en nous le feu des anciennes aurores,
Nous brilleront au loin ; et nos âmes sonores,
Pleines des visions qui reviennent toujours,

Ainsi qu’un vol d’oiseaux langoureux et fidèles,
Feront, en s’élevant, retentir autour d’elles,
Les accords douloureux des anciennes amours

Q38 – T15

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite. — 1875 (6)

Gaston Schefer Premières poésies

A Mademoiselle X***

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite.
Je vais vous en cuire un dans notre dernier goût,
Et je veux, en surplus, vous donner la recette
Pour toujours réussir ce précieux ragoût.

On prend pour un sonnet: un blanc rayon de lune,
L’aile d’un papillon, le pistil d’une fleur,
Un coquillage rose échoué sur la dune,
Et le brouillard léger d’une pâle vapeur.

Puis on mêle à cela, mais avec abondance,
Quelques larmes d’amour et de désespérance,
Un mot philosophique, un soupir de regret.

On parsème le tout de rimes flamboyantes,
On mélange avec art ces choses étonnantes,
Puis on ajoute un vers, et le sonnet est fait.

Q59 – T15 – s sur s

L’image me poursuit du fleuve qui sépare — 1875 (5)

Armand Silvestre Poésies

Sonnets païens, XVII

L’image me poursuit du fleuve qui sépare
Nos terrestres pays du grand pays des morts.
– Pourquoi boire l’oubli! J’ai vécu sans remords.
Le Léthé seul m’effraye aux portes du Ténare.

J’aurais, sculpteur avide, épuisé le Carrare;
A l’airain le plus pur, à l’onyx le plus rare,
Rosa, j’aurai ravi la forme de ton corps,
Pour la voir se briser en touchant à ses bords …

Non! Non! les Dieux sauront me sauver ta mémoire!
Car, pour charmer les morts, je leur dirai la gloire
De ton col qui se plie, ondulant et nerveux

Comme le col d’un cygne, et de tes longs cheveux,
Dont le flot s’amollit, en baisant tes épaules,
Comme au toucher de l’eau les pleurs vivants des saules!

Q13 – T14

Sur l’étang bleu que vient rider le vent des soirs — 1875 (4)

Claudius PopelinUn livre de sonnets

Au clair de la lune

Sur l’étang bleu que vient rider le vent des soirs
Séléné penche, avec amour, sa face blonde,
Et sa clarté, qui se reflète au ras de l’onde,
Met un point d’or au front mouvant des roseaux noirs.

Déjà la flore a refermé ses encensoirs ,
L’oiseau se tait et le sommeil étreint le monde:
Ecoute bien tu n’entendras rien à la ronde
Que palpiter mon coeur gonflé d’ardent espoir.

Dans une main je tiens ta main mignonne et blanche,
Mon bras te ceint, mon autre bras est sur ta hanche,
Je sens ton corps, ton corps charmant, tout contre moi.

Ta lèvre s’ouvre, un mot divin sur elle expire,
Mais ton regard qui laisse voir ton doux émoi,
Avant ta lèvre à mon regard a su le dire.

Q15 – T14 – banv  – Les vers sont des trimètres (4+4+4), plus ou moins à double césure. Je ne connais pas d’exemple autre de ce traitement du vers de douze syllabes en trois morceaux, comme règle valable pour la totalité d’un poème (ce que ne fait jamais, il me semble, Hugo)

(a.ch) « et ce ne sont pas seulement des trimètres hugoliens, ils comportent des vers qui ne peuvent pas, comme ceux-ci, se césurer secondairement à l’hémistiche : passons sur « qui se / reflète », mais impossible pour « se re / fermer », « mon autr / e bras », « qui laiss/ e voir ». La contrainte qui l’emporte est bien 4 / 4 / 4….Je ne connais pas non plus de poème en vers exclusivement 4 / 4 / 4. Cette composition m’évoque une potiche en cloisonné. «