Archives de catégorie : Formule de rimes

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle. — 1869 (27)

Edouard Pailleron Amours et haines

L’hirondelle

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle.
Madame, regardez là-haut cette hirondelle:
Pour la grâce du vol, c’est un oiseau sans pair.
N’est-elle pas jolie, alors que d’un coup d’aile,

Dans les rayures d’ombre et dans le soleil clair,
Elle passe en criant, vive comme l’éclair,
La faucheuse d’azur? et dirait-on pas d’elle
La navette de jais d’un tisserand de l’air?

Votre oeil aime à la suivre où son vol s’évertue;
Vous croyez qu’elle joue? Hélas! non, elle tue!
Sa souplesse et un charme et son charme un moyen;

Dieu la fit pour séduire et pour tuer ensemble…
Sauriez-vous d’aventure à qui l’oiseau ressemble?
Moi, je ne le sais pas, si vous n’en savez rien.

aaba bbab – T15

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus, — 1869 (26)

Albert MératL’idole

Avant-dernier sonnet

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus,
Inscrivaient Callipyge au socle de la pierre,
Ils aimaient, par amour de la grande matière,
La vérité des corps harmonieux et nus.

Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.

C’est pourquoi je vous loue, ô blancheurs, ô merveilles,
A ces autres beautés égales et pareilles,
Que l’art même, hésitant, tremble de composer;

Superbes dans le cadre indigne de la chambre,
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre.

Q15 – T14 – banv

La vie est un sonnet triste et funambulesque — 1869 (25)

Gabriel Marc Soleils d’octobre

La vie humaine

La vie est un sonnet triste et funambulesque
Dont le premier quatrain est seul d’or & d’azur.
Jusqu’à vingt ans, les bois sont verts, le ciel est pur,
Et l’on marche à travers un pays romanesque.

Puis, la scène devient froide, brumeuse et presque
Funèbre. Il faut lutter dans un dédale obscur,
Et jouer, pour manger un pain amer & dur,
Des farces d’histrions sous un masque grotesque.

Au milieu des soucis, des remords, des douleurs,
Noirs récifs dans la mer insondable des pleurs,
L’homme navigue ainsi jusqu’à son dernier lustre.

Et le sonnet soumis à l’inflexible sort,
Qu’on soit prince, bandit, pâtre ou poète illustre,
S’achève par ce mot épouvantable: Mort.

Q15 – T14 – banv

Quand on revient de Rome où le grave libraire, — 1869 (24)

Louis Veuillot

Les Salis

Quand on revient de Rome où le grave libraire,
Dans son réduit tout plein d’augustes vétustés,
Tient en si grand mépris l’article Nouveautés,
Paris étonne fort en sa mode contraire.

Comme masques hardis, vêtus de couleur claire,
Les volumes du jour grouillent de tous côtés ;
Et la vitre et le mur, et les journaux crottés
Invitent le public à les écouter braire.

Quel affreux carnaval d’histrions avilis !
Quels titres ! quel français ! La majesté romaine
Croirait, les approuvant, approuver des délits.

Nous l’entendons, pour nous, de façon plus humaine :
Sans nul tourment d’esprit, nous voyons sur la scène,
Ignoble et vomissant, le chœur de ces Salis.

Q15 – T21 – Veuillot a la réputation, méritée, d’avoir été un féroce réactionnaire, defenseur du catholicisme le plus rétrograde. Mais c’est, je pense, un remarquable praticien du sonnet.

Pour le sonnet, huit ou dix pieds ! — 1869 (23)

Louis Veuillot Les couleuvres

Le Sonnet

Pour le sonnet, huit ou dix pieds !
A douze, il prend des ampleurs lourdes ;
Le remplissage y met ses bourdes,
Vain bâton des estropiés.

Que de fléaux multipliés !
Les longueurs, les emphases sourdes,
Les adjectifs creux comme gourdes,
Chargent les vers humiliés.

Les douze pieds, c’est la charrette.
Pégase regimbe, il s’arrête,
Voyant qu’il faut prendre le pas.

Libre de cette peur fatale,
Sur huit pieds, fringant, il détale,
Et s’il crève, il ne traîne pas.

Q15 – T15 – octo – s sur s

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s

Quand Flora Du Rantin, la fille — 1869 (21)

Louis Veuillot Les couleuvres

Fille à marier

Quand Flora Du Rantin, la fille
De monsieur Du Rantin, rentier,
J’en suis d’accord : dans le sentier
De l’honneur parfait, elle brille.

La mère Du Rantin pointille :
Tel est le droit de l’églantier.
Mais Flora, la fleur, est gentille.
Elle a Rotschild pour papetier.

Elle est folâtre, elle est touchante,
Elle est pianiste, elle chante,
Et lit les auteurs en renom.

Bref, rien ne t’empêche de prendre
Cet ange très-bouffant, sinon
Que tu balances à te pendre.

Q14 – T14 – octo

La chevelure au vent, la jupe retroussée, — 1869 (20)

Louis Veuillot

Arabella

La chevelure au vent, la jupe retroussée,
Montrant ses dents d’une aune et ses pieds d’un empan,
Miss Arabella Ship, voguant, roulant, grimpant,
Arpente l’univers d’une course pressée.

Que cherche-t-elle enfin, et quelle est sa pensée ?
Miss est-elle  biblique, – ou dévote au dieu Pan ?
On dit qu’elle a frôlé maint et maint chenapan,
Qu’un roi nègre une fois sur son cœur l’a pressée.

Qu’en sait-on ? Moi, je  crois que miss Arabella,
Téméraire brebis, impunément bêla,
Et que les loups d’accord ont manqué la fortune.

Je lis – fort mal peut-être – en son air ahuri,
Que sa longue innocence à la fin s’importune,
Et se sait trop peu gré de n’avoir point péri.

Q15 – T14 – banv

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas, — 1869 (19)

Louis Veuillot Les couleuvres

Sévéra

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas,
Elle maintient ses droits au rang de vierge sage :
Pour le monde et pour Dieu, son âme et son  corsage,
Tout est réglé comme au compas.

Elle est aussi fort bien tenue en ses repas ;
Autant que ses discours, austère est son potage.
Pas plus d’amour au cœur que de fard au visage !
On la dit chrétienne. – Non pas !

De tout point elle est rèche, elle est stricte, elle est chiche ;
En fait de poésie, elle aime l’acrostiche ;
En fait d’art, les fleurs en papier.

A peindre un tel objet la couleur s’embarrasse :
Il faudrait des vers froids et nets comme la glace,
Durs et coupants comme l’acier.

Q15 – T15 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ; — 1869 (18)

Louis Veuillot Les couleuvres


Mary

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ;
L’un plein de majesté, l’autre de grognerie.
Celui-ci regardait, non sans quelque furie,
Un époux enrhumé qui semblait bon garçon.

Un teint blanc, – toutefois assez poudré de son ;
Un costume élégant, – mêlé de friperie ;
Sur le peplum d’azur, de la verroterie ;
Les cheveux insultés d’un bout de paillasson.

Pour se désennuyer, dans un sac des plus riches
Elle mit et remit vingt affiquets godiches ;
Puis elle lut Dickens, comme on lirait Platon.

L’oeil grec semblait de marbre, et le saxon de braise.
Avais-je devant moi Diane ou Margoton ?
Etait-ce la pairesse ou la coureuse anglaise ?

Q15 – T14 – banv