Archives de catégorie : Formule de rimes

En quelque lieu qu’il aille, ou sur mer ou sur terre, — 1866 (25)

Le Parnasse contemporain

Le couvercle

En quelque lieu qu’il aille, ou sur mer ou sur terre,
Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,
Serviteur de Jésus, courtisan de Cythère,
Mendiant ténébreux ou Crésus rutilant,

Citadin, campagnard, vagabond, sédentaire,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
Partout l’homme subit la terreur du mystère,
Et ne regarde en haut qu’avec un oeil tremblant.

En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l’étouffe,
Plafond illuminé par un opéra bouffe
Où chaque histrion foule un sol ensanglanté;

Terreur du citadin, espoir du fol ermite:
Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite
Où bout l’imperceptible et vaste Humanité.

Charles Baudelaire

Q8 – T15

C’est une chambre où tout languit et s’effémine; — 1866 (24)

Le Parnasse contemporain

L’absente

C’est une chambre où tout languit et s’effémine;
L’or blême et chaud du soir, qu’émousse la persienne,
D’un ton de vieil ivoire ou de guimpe ancienne
Apaise l’éclat dur d’un blanc tapis d’hermine.

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.

Sous des rideaux imbus d’odeurs fades et moites,
De pesants bracelets hors du satin des boîtes
Se répandent le long d’un chevet sans haleine.

Devant la glace, auprès d’une veilleuse éteinte,
Bat le pouls d’une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit quand l’heure tinte.
Catulle Mendès

Q16 – T14 Rimes toutes féminines

Hors du coffret de laque aux clous d’argent, parmi — 1866 (23)

Le Parnasse contemporain

Le lys

Hors du coffret de laque aux clous d’argent, parmi
Les fleurs du tapis jaune aux nuances calmées,
Le lourd collier massif qu’agrafent deux camées
Ruisselle et se répand sur la table à demi.

Un oblique rayon l’atteint. L’or a frémi.
L’étincelle s’attache aux perles parsemées,
Et midi darde moins de flèches enflammées
Sur le dos somptueux d’un reptile endormi.

Cette splendeur rayonne et fait pâlir des bagues
Eparses où l’onyx a mis ses reflets vagues,
Et le froid diamant sa claire goutte d’eau.

Et comme dédaigneux du contraste et du groupe,
Plus loin, et sous la pourpre ombreuse du rideau,
Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.

François Coppée

Q15 – T14 – banv

Je sais que toute joie est une illusion, — 1866 (22)

Le Parnasse contemporain

Ennui

Je sais que toute joie est une illusion,
Il faut que tout se paie et que tout se compense,
Et je devrais bénir la dure providence
Que m’impose l’épreuve ou l’expiation.

Les stériles regrets, la menteuse espérance
N’atteignent pas la pure et calme région
Où le sage s’endort, libre de passion,
Dans la sereine paix de son intelligence,

Je le sais; mais je garde au coeur le souvenir
D’un rêve éblouissant, qui ne peut revenir
Ni dans ce monde-ci, ni dans l’autre: personne,

Ange, Démon ou Dieu, n’y peut rien; j’ai perdu
Un bonheur bien plus grand que ceux que le ciel donne,
Et ce bonheur jamais ne me sera rendu.
Louis Ménard

Q16 – T14

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux — 1866 (21)

Le Parnasse contemporain

L’Ecclésiaste

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux
Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.

Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d’un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d’ivoire.

Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,
L’irrévocable mort est un mensonge aussi,
Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle!

Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,
Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle

Q8 – T15

Le quadrige divin, en de hardis élans, — 1866 (20)

Le Parnasse contemporain

La chasse

Le quadrige divin, en de hardis élans,
Monte au faîte du ciel, et les chaudes haleines
Ont fait onduler l’or bariolé des plaines.
La Terre sent le feu circuler dans ses flancs.

La lumière filtrant sous les feuillages lents,
Dans l’ombre où rit le timbre argentin des fontaines,
Fait trembler à travers les cimes incertaines,
Au caprice du vent, ses jeux étincelants.

C’est l’heure flamboyante, où, par les hautes herbes,
Bondissant au milieu des molosses superbes,
Dans les clameurs de mort, le sang et les abois,

Faisant voler les traits de la corde tendue,
Les cheveux dénoués, haletante, éperdue,
Invincible, Artémis épouvante les bois!

José-Maria de Heredia

Q15 – T15

La reine Nicosis, portant des pierreries, — 1866 (19)

Le Parnasse contemporain

La Reine de Saba

La reine Nicosis, portant des pierreries,
A pour parure un calme et merveilleux concert
D’étoffes, ou l’éclair d’un flot d’astres se perd
Dans les lacs de lumière et les flammes fleuries.

Son vêtement tremblant chargé d’orfèvreries
Est fait d’un tissu rare et sur la pourpre ouvert,
Où l’or éblouissant, tour à tour rouge et vert,
Sert de fond méprisable aux riches broderies.

Elle a de lourds pendants d’oreilles, copiés
Sur les feux des soleils du ciel, et sur ses pieds
Mille escarboucles font pâlir le jour livide.

Et fière sous l’éclat vermeil de ses habits,
Sur les genoux du roi Salomon elle vide
Un vase de saphir d’où tombent des rubis.
Théodore de Banville

Q15 – T14 – banv

Parfois une Vénus, de notre sol barbare — 1866 (18)

Parnasse contemporain


Parfois une Vénus, de notre sol barbare
Jaillit, marbre divin, des siècles respecté,
Pur, comme s’il sortait, dans sa jeune beauté,
De nos veines de neige, ô Paros! ô Carrare!

Parfois, quand le feuillage à propos se sépare,
En la source des bois luit un dos argenté,
De sa blancheur subite et de sa nudité
Diane éblouit l’oeil du chasseur qui s’égare.

Dans Stamboul la jalouse, un voile bien fermé
Parfois s’ouvre, et trahit sous l’ombre diaphane
L’odalisque aux long yeux que brunit le surmé.

Mais toi, le même soir, sur ton lit parfumé,
Tu m’as fait voir Vénus, Zoraïde et Diane,
Corps de déesse grec à tête de sultane.

Théophile Gautier

Q15 – T18

Une nuit grise emplit le morne firmament. — 1866 (17)

Le Parnasse ContemporainRecueil de vers nouveaux – (première livraison) –

Sonnet estrambote

Une nuit grise emplit le morne firmament.
Comme un troupeau de loups, errant à l’aventure
Dans la nuit, et rôdant autour de leur pâture,
Le vent funèbre hurle épouvantablement.

Le brouillard, que blanchit un tourbillonnement
Neigeux, se déchirant ainsi qu’une tenture,
On voit, parfois, au fond d’une sombre ouverture,
Le soleil rouge et froid qui luit obscurément.

Mais, tous deux, ayant clos les rideaux des fenêtres,
Mollement enlacés et mêlant nos deux êtres
Dans un fauteuil profond devant un feu bien clair:

Nous nous aimons. Nos yeux parlent avec nos lèvres
Frémissantes. Et nous sentons dans notre chair
Courir le frisson chaud des amoureuses fièvres.

Tu peux durer longtemps encore, ô sombre hiver.
Car, réchauffés toujours au feu de leurs pensées,
Nos coeurs ne craignent pas tes ténèbres glacées.
Louis-Xavier de Ricard

Q15 – T14 +eff (trois tercets) – banv

Il existe en Ecosse un bien antique usage — 1866 (16)

Charles Joliet in L’Artiste

La Saint-Valentin

Il existe en Ecosse un bien antique usage
Qui s’appelle le jour de la Saint-Valentin ;
Devançant le signal des coqs du voisinage,
L’amoureux vient siffler un air de grand matin.

Au seuil de sa maison le père l’entourage :
Ca, garçon, as-tu peur ? Vide ce pot d’étain »
Alors, à la croisée ouverte, un frais visage
Se montre en souriant avec un air mutin.

‘ Veux-tu, dit l’amoureux, être ma Valentine ? ‘
Je le veux, dit la fille à la voix argentine,
Et son bras nu lui jette un long baiser joyeux.

Escaladant l’appui de la fenêtre basse,
Le Valentin la prend sur son cœur et l’embrasse
Si fort, qu’il fait monter les larmes plein des yeux.

Q8  T15  Charles d’orléans est bien oublié !