Archives de catégorie : Formule de rimes

A vous, Madame, qui voulûtes — 1937 (5)

Albert Mockel dans une  lettre

Sonnet
à Madame Boissière née Thérèse Roumanille

A vous, Madame, qui voulûtes
Ce matin ivre de soleil,
Ouïr sur mes fragiles flûtes
Un écho du chant non pareil,

J’apporte une légère page
Qui tremble encor au vent amer,
Flocon d’écume sur la plage
Déserte des voix de la mer.

Le songe est l’éternel empire
Où par le verbe qu’il expire
Règne Stéphane Mallarmé

Mais à vous les roses de Mai,
A vous dont le si jeune rire
Surprit le poète charmé .

Q59 – T10 – octo

Soit une multiplicité vectorielle, — 1937 (4)

André Weil

Sonnet de Chançay

Soit une multiplicité vectorielle,
Un corps opère seul, abstrait, commutatif.
Le dual reste loin, solitaire et plaintif,
Cherchant l’isomorphie et la trouvant rebelle.

Soudain bilinéaire a jailli l’étincelle
D’où naît l’opérateur deux fois distributif.
Dans les rets du produit tous les vecteurs captifs
Vont célébrer sans fin la structure plus belle.

Mais la base a troublé cet hymne aérien :
Les vecteurs éperdus ont des coordonnées.
Cartan ne sait que faire et n’y comprend plus rien.

Et c’est la fin. Opérateurs, vecteurs, foutus.
Une matrice immonde expire. Le corps nu
Fuit en lui-même au sein des lois qu’il s’est données.

Q15 – T25 – Admirable effort du pape de Bourbaki

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

Capter dans l’univers des invisibles ondes — 1936 (5)

Igor Astrov Sonnets

L’artiste

Capter dans l’univers des invisibles ondes
Pouvant faire frémir notre être tout entier,
Lancer jusqu’au tréfonds de l’abîme une sonde,
Suivre jusqu’à l’abîme un abrupte sentier;

En lenteur imiter l’auteur de la Joconde,
En perfectionnant constamment son métier,
Apprendre à marier une étude féconde
Et l’intuition d’un art primesautier .

– C’est la vocation d’artiste véritable.
A l’heure où le destin sans pitié m’accable
Mon âme se raidit puissante comme un câble

Capable de lier les Deux Mondes entre eux,
Pour transmettre ici-bas des sons mystérieux:
Musique intérieure et parole ineffable.

Q8 – T4

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne, — 1936 (4)

Jacques Langlois Les sonnets amoureux de Pétrarque

1

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne,
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première et juvénile erreur,
Lorsque j’étais alors tout une autre personne,

Sous le style divers où sanglote et raisonne
Ma bien vaine espérance et ma vaine douleur,
Que votre expérience, en lisant mon ardeur,
M’accorde une pitié qui comprenne et pardonne.

Mais, je vois aujourd’hui combien longtemps je fus
La fable de la foule; et j’en suis tout confus
Vis-À-Vis de moi-même et rempli de vergogne.

Honte est fruit de folie; et j’apprends clairement,
Par repentir tardif de si folle besogne,
Qu’ici-bas ce qui plaît est songe d’un moment.

Q15 – T14 -banv –  tr (rvf 1)

Autour du soleil vertical de la pensée — 1936 (3)

Michel SeuphorL’ardente paix

De la personne

Autour du soleil vertical de la pensée
Horizontalement tournoient les quatre vents
Dont trois passions de l’âme et un tempérament:
Les appétits de feu; l’intelligence née

Pour recevoir le jour et voir la Vérité,
A l’eau souple pareille, reine des éléments;
La force d’habitude comme un soubassement
De terre lente où tout s’appuie et qui de blé

Se couvre ou bien d’ivraie, selon les circonstances;
La manière d’être, enfin, accumulant l’ambiance
Qui enveloppe tout d’un air mouvant d’un tel

Et non tel autre. Ainsi notre univers est plein
De rythmes, et si l’ensemble est noble et naturel,
Le personnel concret n’en cède à Couperin.

Q15 – T14 – quelques vers métriquement îrréguliers (césures épiques, par exemple)

Joli pays, riant de toutes ses minuscules, — 1936 (2)

Michel SeuphorL’ardente paix

Joli pays, I

Joli pays, riant de toutes ses minuscules,
De toutes ses mille et mille minuscules fleurs,
Ses mille blanches et mauves et jaunes réflecteurs
De la lumière inaltérable. Particules

De l’être, de l’Amour émouvantes émules:
Si vraiment humbles, artistes, si vraiment de ferveur
Illuminées, nous irradiant de la candeur
De leur ardente paix, leur oraison que nulle

Erreur n’infirme, que le péché originel
N’entame pas: le mal est extérieur et tel
Qu’il tempère l’Amour à la fragilité

Et qu’il accroît la lune pour le soleil en berne.
Pays qui par tout temps nous parle de clarté,
Pays si bien instruit de Celui qui gouverne.

Q15 – T14 – banv – quelques vers métriquement îrréguliers

Sonnet, ô sonnerie amie, ô soûlerie — 1936 (1)

Michel SeuphorL’ardente paix

Sonnet

Sonnet, ô sonnerie amie, ô soûlerie
De sons jolis, ô bal joyeux des lettres belles,
Ô fête très polie. Pensive pastourelle,
Quel est le doux joueur de vielle ou le génie,

Caché de nous, qui découvrit ton harmonie,
Ta forme claire, heureuse et à jamais nouvelle?
En as-tu mis sous ta tutelle, de ta dentelle
Liés, depuis le Dante et les académies

Chantantes de Provence! Moi, j’aime ta leçon:
Que le plus noble pas de danse est en fonction
D’une science de l’immobilité. C’est la contrainte

Qui donne la liberté, stimule, inspire, et l’art
Déjà triomphe, aborde la discipline sans crainte:
Au corps à corps paisible il reconnaît sa part.

Q15 – T14 – banv –  quelques vers métriquement îrréguliers – s sur s

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

Le jeune homme moderne — 1935 (1)

Francis Jammes De tout temps à jamais

Dans les combles

Le jeune homme moderne
Essaye en son grenier
Qu’éclaire une lanterne
L’habit d’un chevalier.

Je ne sais s’il nous berne,
Mais son aspect altier
Semble bien le lier
Au temps de la poterne.

Cependant, il est chic.
Dans l’œil, un léger tic
Semble dire à sa femme,

Folle de lui d’ailleurs:
Que pensez-vous, Madame,
De mon ancien tailleur?

Q9 – T14 – 6s