Archives de catégorie : Formule de rimes

Dame sans trop d’ardeur à la fois enflammant — 1896 (1)

Mallarmé in Le Figaro, lundi 10 février

A la fin de son article sur l’élection de Mallarmé comme Prince des Poètes, André Maurel écrit: « Le grand public connaît peu M. Mallarmé. Afin de donner aux lecteurs du Figaro une conception assez nette du choix des jeunes poètes, j’ai demandé au nouveau Prince de vouloir bien m’envoyer quelques vers inédits que je pourrais publier ici.
Très gracieusement, M. Mallarmé a répondu à ma demande, en y joignant cette réserve:
 » sur votre demande gracieuse de tout à l’heure, voici un rien, sonnet « causé », qui ne peut, je crois détonner, malgré que, selon moi, les vers et le journal se font tort réciproquement »


Dame
sans trop d’ardeur à la fois enflammant
La rose qui cruelle ou déchirée, et lasse
Même du blanc habit de pourpre, le délace
Pour ouïr dans sa chair pleurer le diamant

Oui, sans ces crises de rosée et gentiment
Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe
Jalouse d’apporter je ne sais quel espace
Au simple jour le jour très vrai du sentiment

Ne te semble-t-il pas, disons, que chaque année
Dont sur ton front renaît la grâce spontanée
Suffise selon quelque apparence et pour moi

Comme un éventail frais dans la chambre s’étonne
A raviver du peu qu’il faut ici d’émoi
Toute notre native amitié monotone.

Q15 – T14 – banv

Je ne suis pas de ceux que de vains mots on paie ; — 1895 (17)

Alexis Chavanne Murmures

?
Sonnet de monosyllabes

Je ne suis pas de ceux que de vains mots on paie ;
Je me plais d’y voir clair en tout ; mais, bien que j’aie
L’œil sain, quand je le tends soit en haut soit en bas,
Le vrai sens de la vie en traits nets n’y luit pas.

Or, quel que soit le cours que mon bon sens me fraye,
S0us ce ciel gris que nul arc-en-ciel gai ne raie,
Pas plus que d’où je viens je ne sais où je vas.
Le faux jour que je suis me fait choir en faux pas

C’est en un cul-de-sac que je me meus ; la voie
Est sans huis : et de près, un sphinx sûr de sa proie
Me suit … Je sais mon sort, & j’y vais franc de peur.

Ô mort ! est-ce en ton sein que le sens de la vie
Se tient clos ? c’est à toi qu’à la fin je me fie.
O mort ! dis-moi le mot ? – Le mot est dans ton cœur.

Q1  T15

La vie est de mourir et mourir c’est naître — 1895 (16)

Verlaine in ed.Pléiade


Pour le Nouvel An
A Saint-Georges de Bouhélier

La vie est de mourir et mourir c’est naître
Psychologiquement tout comme autrement
Et l’année ainsi fait, jour, heure, moment,
Condition sine qua non, cause d’être.

L’autre année est morte, et voici la nouvelle
Qui sort d’elle comme un enfant du corps mort
D’une mère mal accouchée, et n’en sort
Qu’aux fins de bientôt mourir mère comme elle.

Pour naître mourons ainsi que l’autre année ;
Pour naître, où cela ? Quelle terre ou quels cieux
Verront aborder notre envol radieux ?

Comme la nouvelle année, en Dieu, parbleu !
Soit sous la figure éternelle incarnée,
Soit en qualité d’ange blanc dans le bleu.

Q63  T34   11s

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom, — 1895 (15)

Alban Roubaud Pour l’idole

XXXVIII

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom,
A l’heure où le couchant invite à la prière,
Si le pardon pénètre en ton âme si fière,
Et si ton cœur dit « oui » quand ta bouche dit « non »

Souviens-toi que ma peine est égale à ta peine
Et que je souffre autant que ce qu’on peut souffrir.
Sache qu’il est une douleur qui fait mourir,
Et que cette pensée abolisse ta haine.

Le mal que je t’ai fait, je l’ai fait malgré moi,
Il fallait une larme aux voluptés anciennes,
Et Dieu n’a pas compris notre ineffable émoi.

Mais vois, les jours bénis ne s’oublieront jamais !
Et songe que je t’aime encor, toi que j’aimais,
Si tu pleures parfois, et que tu te souviennes …

Q63  T25

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux, — 1895 (14)

Alban Roubaud Pour l’idole

L’étang

Emmi l’esseulement des joncs et des roseaux,
L’étang vient d’endormir les frissons de sa moire
Où flottaient mes désirs, voguant vers la nuit noire,
Et le lune surgit et se mire en les eaux.

Bonheurs enfuis, frêles oiseaux,
Volez du fond de ma mémoire,
Le nuit où mes espoirs vont boire
Est  là qui vos tend ses réseaux …

Alors dans mon âme damnée,
C’est comme une tourbe effrénée
De regrets, de remords anciens …

Et dans le paysage triste,
Où j’erre seul, où rien n’existe,
Je me souviens, je me souviens ! …

Q15  T15  2m (octo : Q2 T1 T2)

Ce soir là, nous étions assis devant la mer, — 1895 (13)

Alban Roubaud Pour l’idole

Pressentiment

Ce soir là, nous étions assis devant la mer,
Emus par je ne sais quelle tendresse vague
Muets, nous regardions déferler chaque vague
Et le vent dans nos cœurs mettait son souffle amer.

Ta lèvre s’était close et tes mains dans les miennes
Frissonnaient, par moments, tels des oiseaux frileux.
Ton regard se perdait à l’horizon houleux,
Et tu semblais revoir des choses très anciennes.

Soudain, j’eus dans le cœur comme un pressentiment
Et je ne sais quel cri lointain donna l’alarme,
Mais je sentis mon cœur s’en aller lentement …

Le silence est parfois plus cruel que les mots !
J’interrogeai tes yeux où tremblait une larme :
Et c’est de ce soir là que datent tous mes maux.

Q63  T24

Est-ce pour toi que ma voix pleure — 1895 (12)

Alban Roubaud Pour l’idole

Désir

Est-ce pour toi que ma voix pleure
Et se fait douce infiniment ?
Est-ce toi qui fait mon tourment,
Est-ce ton regard qui me leurre ?

Si ma bouche jamais n’effleure
Ni ne clôt ta bouche qui ment,
Est-ce pour toi que ma voix pleure
Et se fait douce infiniment ?

Quel charme exquis se subtilise
En lequel mon âme s’enlise
Et se meurt d’attendrissement ?

Mon désir grandi avec l’heure,
Et je suis à tes pieds, vraiment …
Car c’est pour toi que ma voix pleure.

Q14  T14  octo  y=x (d=b & e=a)  v.refrains : 1-2

Près d’un tapis de lotus et d’iris, — 1895 (11)

CIPA(Godebski ?) in La Renaissance idéaliste


Rêve d’âme
Au Sar Péladan

Près d’un tapis de lotus et d’iris,
Sur le ciel tout irisé du couchant,
Passe l’ombre bleuâtre de l’ibis
Blanc, qui s’envole d’un vol calme et lent …

… Pleine d’infini, d’amour et de Rêves,
Bercée en des illusions éphémères,
Mon âme, que cette folie élève
Va, portée en l’aile de sa chimère,

En des pays lointains et inconnus,
Où les hommes ne sont encore venus
Apportant leurs abjectes vilenies !

Et ainsi créer un monde nouveau
Sur les ruines des antiques tombeaux…
Va, mon Ame, fière de ta folie !

Q59  T15  vers de dix syllabes non césurés  hiatus aux vers 9 et 11

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices — 1895 (10)

Richard Cantinelli Le rouet d’Omphale

Vicvânitra et Minaka

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices
Des songes se fondaient en la splendeur rosée
De l’aurore aux cheveux couronnés de narcisses,
Qui s’éveillait avec des langueurs d’épousée.

Vicvânitra priait et songeait. Les figuiers
Sous le soleil levant noircissaient enlacés:
Tels des êtres en qui montent les flots pressés
Du sang, sous le contact de lumineux baisers.

Tandis que, du lac bleu bordé d’iris très pâles,
Monte une femme au long collier semé d’opales,
Qui pose son pied blanc sur l’herbe du rivage.

Son vêtement mouillé sur ses formes se moule,
Et, lentement, sa main de ses cheveux dégage
Son visage où l’eau claire et scintillante coule.

abab a’a’a’a’ – T14