Archives de catégorie : Formule de rimes

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait — 1991 (29)

–       Emmanuel Signoret in Le Saint-Graal

La pente des heures

Silencieusement, la Nuit qui s’épanchait
Etreignait d’ombre molle et croissante les choses,
La Nuit tombait des cieux telle une pluie de roses :
Comme se fane un pré, pâlissaient les objets.

Et c’étaient des soupirs sous les gazons qu’immerge
L’ombre inondante ainsi qu’un fleuve débordé –
La robe de la Nuit effleurait les archets
Qui luisent, endormis parmi les fleurs des berges !

Nos croisées s’entr’ouvraient comme des yeux, riant
Au paysage blanc couché sous nos croisées
Mais soudain tout le ciel d’étoiles palpita.

L’Aube en des lys ardents couchée à l’Orient
Tressaillit allumant sur les fleurs, les rosées –
Jeanne, qui dans ses yeux porte l’Aube, chanta !

Q52  T36

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

La nuit l’eau calme des bassins — 1991 (27)

Léon Blum in La Conque

Sonnet

La nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.

Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins …

… Des formes chétives et frêles
Des femmes et des sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons

Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.

Q15  T14 – banville –   octo Ce frêle sonnet octosyllabique n’annonce pas encore le Président du Conseil du Front Populaire, le lâche administrateur de la Non-Intervention, ni l’inventeur du ‘cycle infernal des salaires et des prix’

Sois belle purement comme un vase sacré, — 1991 (26)

Paul Valéry in L’ermitage

Splendor

Sois belle purement comme un vase sacré,
Telle un ciboire d’or encensé sous du dôme,
Et garde la splendeur comme un trésor secret
Très loin du baiser fauve et flétrisseur de l’homme !

Car, c’est Toi le vivant et le rare Cristal
Longtemps élaboré par les antiques races,
L’émeraude limpide et sainte, le Graal !
Que veillent les guerriers aux mystiques cuirasses !

Oh … sois de marbre ! sois d’un métal froid et clair,
Et, parmi la résine aromate brûlée,
Brille lointaine et pâle, o Reine Immaculée !

N’es-tu pas le Calice adorable de Chair
Où l’artiste-blanc prêtre à la magique phrase –
Boit à longs traits le vin suprême de l’Extase ?

Q59  T30

Ils peuvent s’enfuir les jours et les années — 1891 (25)

Georges Suzanne Premiers poèmes (avec une préface de Paul Verlaine)

Sonnet

Ils peuvent s’enfuir les jours et les années
Au vol fugitif, rapides s’écrouler
Comme à l’automne passent des fleurs fanées,
Comme l’oiseau sur la branche s’envoler,

Maintenant que j’ai, ô bonheur ineffable !
Aspiré de ton cœur le parfum divin,
Le Destin, ce noir vautour infatigable,
S’envolera sur ma destinée en vain.

Puisque ton âme a palpité sur mon âme,
Que mes lèvres ont baisé ton corps de femme,
Que m’importent l’Heur et le Malheur des Temps !

Qu’elle roule donc, cette vague, ma vie !
Parmi l’Océan de l’heure inassouvie
Mon coeur est bercé de souvenirs charmants !

Q59  – T15  – 11s

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres — 1891 (24)

La Conque

Maurice Quillot

La comédie de la mort
à Stéphane Mallarmé

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres
Où pousse des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes!
– Comme si l’on craignait que les âmes se perdent.

On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes:
Et dans l’ombre du soir, les parents vont tout blêmes,
Parce qu’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaînes,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes:

 » Que venez vous ici, ridicules trouble-fêtes;
Allez, ce grand calme est bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.

Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles;
Nous disons nos ‘Ave’ sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles! »

Q15 – T15 – 13s – Rimes approximatives (assonnances).

Vieil idéal manchot des mornes architectes — 1891 (23)

L’Ermitage

Georges Fourest

A la Vénus de Milo
‘Aux quinze-vingts le vieil Homère et toi cascade, Hortense, ma fille’ Jules Vallès

Vieil idéal manchot des mornes architectes
Sortis premiers de l’Ecole des Vilains-Arts;
Paros mal retrouvé par les benêts hasards,
Keulla-Reduction pour cracheurs de Pandectes

Plâtre durci sur la tronche pleine d’insectes
Des petits Italos, article de bazars,
Nulle en bizarre et bon nanan des vieux busards
Chez Balandard sur la pendule où tu t’objectes!

Paganisme des quincaillers! Bronze en toc! Zinc!
Sache que les adorateurs du marquis Tseng,
Ceux qu’un magot, poussah falot, séduit et botte,

O mijaurée, ont renversé ton piédestal
Et qu’ils ont mis dans un Panthéon de cristal
Ta Soeur négresse aux longs têtons: la Hottentote!

Q15 – T15

Les genêts luisent dans la lande désolée; — 1891 (21)

Francis Jammes Six sonnets

I
La fièvre

Les genêts luisent dans la lande désolée;
Sur l’ocre des côteaux la bruyère est de sang:
Mais tu ne peux guérir mon coeur triste où descend
Le souvenir de ma pauvre enfance en allée.

Viens: elle est d’émeraude et d’argent la vallée:
Douce comme ta voix, l’eau chuchote en passant,
Et clair comme ton rire est l’angélus croissant:
Fraîche comme ta bouche est la mousse mouillée.

J’ai la fièvre: Viens là, près de ces romarins,
Près de ce puits glacé que ronge l’herbe fraîche;
Viens, pleurons et mourons, fillette aux yeux sereins;

Nous sommes las: moi, las de sentir une brêche
En mon coeur mort d’amour lors de son mois de mai.
Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé.

Q15 – T23

Je voudrais être un très vieux saule plein de mouches — 1891 (20)

La Revue Blanche

Romain Coolus

Vers le repos

Je voudrais être un très vieux saule plein de mouches
Près d’une eau morte que reflèterait ma nuit.
Nous amalgamerions, elle et moi, notre ennui
Et ne tenterions point de vaines escarmouches.

Avec la passivité pesante des souches,
Je subirais le vent qui caresse et bruit
Et le mauvais orage dont le feu détruit
Et le soleil versant ses corrosives touches.

Je serais très heureux ainsi, point ne bougeant,
Trempant mes feuilles dans le pacifique argent,
Dans l’eau défunte où nul poisson n’irait nageant,

Loin de tout mouvement ridicule et stérile,
Dispensé de la vanité si puérile
D’agir et de vouloir être une âme virile.

Q15 – T5

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur, — 1891 (19)

Le concours de La Plume
(concours, troisième prix)

Sonnet pour Isabeau la gente Bachelette

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur,
Or vous l’avez prins, et votre ongle rose
Vistement lui fict sy terrible chose
Que femmes de Thrace au divin chanteur

Et, depuis ce temps, je vis tout morose,
Et le plus doux miel, la plus belle fleur
Me semblent sans goust, comme sans couleur,
Et de tout cela, cruelle, estes cause.

Mais, si le voulez, mignonne, oyez-moi:
Venez mettre un terme à mon grand émoy
Et bien-tost verray que seray tout aultre.

Belle, vous avez mon cueur déchiré;
Il me faut un cueur, où je périrai:
Or donc, pour le mien, donnez-moy le vôtre.

Jules Laloue

Q16 – T15 – on voit, à cet exemple burlesque (involontairement) à quel point il est difficile de ‘faire médiéval’ (un des plus beaux exemples est le ‘Jehan’ à deux syllabes, de l’abominable Rictus)