Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Je ne suis pas de ceux qui te jettent la pierre — 1954 (3)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

A Stéphane Mallarmé
« Egaux de Prométhée à qui manque un vautour » (Le guignon)

Je ne suis pas de ceux qui te jettent la pierre
Et comme ça t’écartent d’un revers de main.
Je connais ta grandeur, et ce côté gamin
Je le comprends: c’est la pudeur d’une âme fière.

Les bourgeois triomphaient. Leur jactance grossière
T’épouvantait, toi qui gagnais bien mal ton pain
En besognant. Humain, trop faiblement humain,
Tu n’as su que les fuir pour hanter les lisières

De l’idéal comme tu dis et ton tourment
C’était de faire avec l’absence un monument
Où viendraient seulement quelques esprits insignes.

– Egal de Prométhée à qui manque un vautour –
Mais le vautour est là qui t’assiège et te guigne
Et la Commune l’atteignit et pour toujours.

Q15 – T14 – banv

De Paris à Nancy, trois cent huit kilomètres, — 1954 (2)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

de la préface d’Aragon:  » J’avais apprécié chez Eluard déjà … à la veille de sa disparition, une tentative de liquidation de l’individualisme formel en poésie, … l’appel fait, par les formes traditionnelles de la poésie, à la réalité nationale, l’ouverture d’une fenêtre sur le panorama national de notre poésie (confirmant la passion apportée par Paul Eluard, aux dernières années, pour les anthologies)  »
 » Le I de Affaires a paru dans l’Express, dans la rubrique du Courrier des lecteurs ».

Sonnet dans le goût ancien

De Paris à Nancy, trois cent huit kilomètres,
La route est assez bonne et quand il fait beau temps
J’y prends bien du plaisir. Je me conte en partant
Les paysages qui bientôt vont m’apparaître.

D’abord, la Brie. Et je sais que pour la connaître
Il faut l’aimer. Elle est un équilibre ardent.
La lumière y est belle et fait durer l’instant.
Et c’est la Champagne pouilleuse où je vois naître

Un horizon limpide, un sol à travailler.
Puis la voiture va vers le pays mouillé
Sur les hauteurs de Meuse, au seuil de la Lorraine.

C’est ici que tout change et la honte me prend.
Je vois partout camper l’armée américaine
Et c’est intolérable, France, et déchirant.

Q15 – T14 – banv

Il semble qu’autrefois la nature indolente, — 1954 (1)

Edgar DegasLes sonnets

Il semble qu’autrefois la nature indolente,
Sûre de la beauté de son repos, dormait,
Trop lourde, si toujours la danse ne venait,
L’éveiller de sa voix heureuse et haletante;

Et puis, en lui battant la mesure engageante,
Avec le mouvement de ses mains qui parlaient
Et l’entrecroisement de ses pieds qui brûlaient,
La forcer à sauter devant elle, contente.

Partez, sans le secours inutile du beau,
Mignonnes, avec le populacier museau,
Sautez effrontément, prêtresses de la grâce.

En vous la danse a mis quelque chose d’à part,
Héroïque et lointain. On sait de votre place
Que les reines se font de distance et de fard.

Q15 – T14 – banv –   Pris dans une nouvelle édition de ces sonnets, fort anciens.

Prisonnier du bélier du vent chargeant le seuil, — 1953 (5)

AudibertiRempart

Le poète

Prisonnier du bélier du vent chargeant le seuil,
Je remplace l’amour par l’amour et le songe
Hors d’état de briser la chaîne qui s’allonge
Des mortels et des morts suivant le même deuil,

Je suis, en même temps et tour à tour le treuil
Qui siffle, ainsi l’oiseau, que cessât le mensonge,
Et des astres chacun dans mon cœur dès qu’il plonge,
Et le clou de ma chair qui tracassa l’orgueil.

Parachevé plaintif sur des plans que sépare
L’insondable sommeil de la bête barbare,
De l’absence africaine où le fil blanc se perd,

J’aromate ma vie avec ma survivance.
Oui, j’écoute, des fois, dans le cri de la mer,
Aboyer, me nommant, le dieu qui me devance.

Q15 – T14 – banv

Le rouge est ma couleur et mon fer le métal, — 1953 (4)

AudibertiRempart

Le poète

Le rouge est ma couleur et mon fer le métal,
ma pierre l’améthyste et la pierre ma femme.
Votre route est ma route et mon âme votre âme.
Je marche seul, partout, tel que le bouc fatal.

Ciel, je te nomme ciel. J’attire, surnatal,
j’attire l’éternel dans le dactylogramme
et festonne, à l’entour, l’eau d’azur, pour que brame
de désir le désert du rêveur de cristal.

Qui m’attribue, énorme, qui, l’ouvrage vaste?
Apprenez, vous, contrits par le strident contraste
de l’azur dans sa masse et du fil qui vibrât

que j’habite, château né du sang de ma sonde,
alphabet caverneux, rudiment de Mithra,
le gant de sel du doigt du créditeur du monde.

Q15 – T14 – banv

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne — 1953 (3)

Luc EtienneTriptykhon


III – IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS
Méditation du Maître de Forges devant un pont suspendu

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne
Il est plus raide encor qu’un pied de tabouret
Qu’une verge d’évêque ou qu’un long minaret
Sa poignante laideur comme un dard nous harponne

Tout couvert d’un dépôt de suie et de carbone
Il n’a ni la blancheur aimable du furet
Ni la sombre grandeur du fatal couperet
Ni l’alerte gaieté d’un solo de trombone

Mais il est TOUT EN FER, ainsi que l’urinoir
L’obus, le goupillon, le sabre, ou l’entonnoir
Ou le busc du corset de la vieille bigote

Et c’est là l’important!  » d’un geste fourrageur
Le Roi du fer gaiement sort sous sa redingote
Un cigare trop gros pour être un voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Notes – I, 9 Cette périphrase modeste ne doit rien à l’abbé Delille
I, 11 il ne s’agit donc pas d’eau bénite
I, 12 La baguette du chef d’orchestre
III, 2 La crosse épiscopale: virga episcopalis .
III, 14 On sait que le cigare est, avec le gibus, l’attribut constant du magnat de l’industrie lourde.

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne — 1953 (2)

Luc EtienneTriptykhon

II – APOLOGIE DE LA GENDARMERIE
Beautés morales et physiques du Gendarme

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne
De la fille de bar sur son grand tabouret
Mais son cœur est plus blanc que le blanc minaret
L’Aiguillon du Devoir sans cesse le harponne

Son œil intelligent a l’éclat du carbone
Son nez est plus subtil que le nez du furet
Grâce à lui nul bandit n’échappe au couperet
Et le son de sa voix semble un mâle trombone

Il garde la Vertu, surveille l’urinoir
Où l’ignoble voyou, tirant son entonnoir
Cherche à jeter le trouble au cœur de la bigote

La Pucelle l’admire et d’un doigt fourrageur
Soulevant prestement son ample redingote
Jette sur sa culotte un regard voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne — 1953 (1)

Luc EtienneTriptykhon

 » Avertissement – Il ne s’agit pas ici de poésie, mais de science. Les sonnets qu’on va lire ont pour unique objet de démontrer la proposition suivante.
Théorème: Quatorze rimes absolument quelconques étant données à l’avance dans un ordre déterminé, il est toujours possible d’écrire sur ces rimes un sonnet cohérent, respectant les règles de la métrique et traitant un sujet également donné à l’avance.
Mais à quoi sert cette démonstration? Elle ne sert à rien, et cette inutilité qui en fait la valeur scientifique: la vraie science est désintéressée.
Nous ne sommes pas de ceux qui rompent des lances en faveur de la Liberté de l’Art. Et simplement parce qu’on ne saurait en pareil exercice imposer trop de conditions aux paramètres du problème, nous pensons qu’il est élégant de s’astreindre à traiter le sujet donné, surtout s’il ne s’y prête pas, dans un esprit de discrète obscénité.
C’est du moins ce que nous avons cru devoir faire, dans l’innocence de notre cœur.
Rimes données: friponne, tabouret, minaret, harponne, carbone, furet, couperet, trombone, urinoir, entonnoir, bigote, fourrageur, redingote, voltigeur
Sujets donnés: I le PLAISIR II APOLOGIE DE LA GENDARMERIE III IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS

I – Le plaisir
Le chef d’orchestre à la fille de bar

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne
Veuillez descendre un peu de ce haut tabouret
Afin que mon engin, plus droit qu’un minaret
Tisonnant votre chair, vous fouille et vous harponne

Comme un pic de mineur creuse dans le carbone
Comme dans le terrier se glisse le furet
Ou comme dans la nuque entre le couperet
Ma coulisse entrera dans ton petit trombone

A pleins bords, mon superbe instrument d’urinoir
Saura te déverser, généreux entonnoir
La brûlante liqueur qui fait fuir la bigote

Cependant qu’au tempo du bâton fourrageur
Pour scander ton plaisir, mon pan de redingote
Sur mes fesses battra, papillon voltigeur

Q15 – T14  – banv – bouts-rimés

Deux quatrains, deux tercets, jamais plus, jamais moins. — 1952 (2)

Jean-Victor Pellerin Les aveux – LXIV sonnets –

L

Deux quatrains, deux tercets, jamais plus, jamais moins.
– D’aucuns alors de me traiter de maniaque,
D’autres d’aller jeter ce volume au cloaque,
Tous de prendre l’Olympe et Pégase à témoin!

Certains même, au grand cœur, de pleurer dans un coin,
Craignant que l’âpre tâche à laquelle je vaque
Ne m’épuise assez vite et qu’hélas je ne claque
Plus tôt que décemment il n’en serait besoin.

Allez, trop bons amis, bannissez toute crainte:
J’obéis dans la douleur aux sévères contraintes
Qu’impose à ses tenants la forme du sonnet.

Et point n’ai-je regret de me couvrir de honte
En osant rendre hommage à la muse d’Oronte,
– Et si je m’en repens, ce n’est qu’un tantinet.

Q15 – T15 – s sur s

Innover à tout prix, sans trêve, à chaque instant, — 1952 (1)

Jean-Victor Pellerin Les aveux – LXIV sonnets –


III

Innover à tout prix, sans trêve, à chaque instant,
Bousculer la métrique ainsi que la grammaire,
Condamner le durable au nom de l’éphémère,
C’est là suivre une mode – et c’est perdre son temps.

A quoi bon s’encombrer d’un nouvel instrument
Quand celui sur lequel ont excellé nos pères
N’attend que notre amour et notre savoir-faire
Pour vibrer de nouveau mélodieusement?

Le vieil alexandrin à la stricte césure
Peut aussi bien chanter que tel vers sans mesure
L’angoisse et la douleur des hommes d’aujourd’hui;

A nous de l’accorder au ton de nos poèmes,
A nous de l’inspirer, à nous d’être nous-mêmes
Et de l’aimer assez pour nous fier à lui.

Q15 – T15 fières paroles, mais fait rimer le singulier avec le pluriel ce qui aurait sans aucun doute horrifié ‘nos pères’