Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal — 1951 (3)

Henri Durup in Gums

Les errants

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal
Fatigués de traîner leurs guêtres dans la plaine
De la place Maubert, Gumiers une soixantaine
Partaient ivres de raids héroïques et fatals

Ils allaient conquérir le farouche animal
Que Caucasse nourrit sur ses cimes hautaines
Et les dahus fuyaient de leur marche incertaine
Aux flancs mystérieux du monde occidental

Chaque soir attendant la bête satanique
Le voile opalescent de la Lune ironique
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré

Et ponctuant un schuss d’une chute cruelle
Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de la poudreuse des étoiles nouvelles. »

Q15  T14  pastiche Alexandrins bien incertains

Or dans quelle ombre, à peine ouverte, — 1951 (2)

Henri de Lescoët Dix sonnets occultes

Nuit du 2 août 1947

Or dans quelle ombre, à peine ouverte,
Pointe un oiseau, s’engage un vers?
Le ciel mélange un cri pervers
Aux fils défaits des mains inertes.

Une vague qui pousse, perd
Ici la raison d’être verte.
Plus bas du vent qui déconcerte,
Au bord de l’oeil, plus près des chairs,

Comme le sang pensé, le rêve
Le temps altère aux divers coeurs
Les gestes vrais, la seule ardeur.

Quel vieux soupçon cependant crève
A travers le mot nu de froid
D’un jour, cent fois maudit, pourquoi?

Q16 – T30 – octo

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes — 1951 (1)

Armen Lubin Sainte patience

Nougats et fumées

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes
L’attente au bord de la route bêtement chaste,
L’attente aux oreilles diaphanes devant ces terres pelées
Que le temps ne débite pas, n’ayant pas su les morceler.

Nul signe de vie, aucune visite, rien de rien!
Ma cigarette qui fume dans la direction bleutée
Prouve que le ciel cède toujours d’un seul côté
Il cède du côté des rêves anciens.

Ah! que l’affaire des chevau-légers vienne sur le tapis.
Que l’affaire des roues de rechange vienne sur le tapis,
Et celle des barreaux de prison devenus nougats,

Sous l’action chaleureuse d’un feu de joie,
Qui n’est plus que le désir incandescent du prisonnier,
Le surplus de temps se déverse dans mon cendrier.

Q57 – T13 – m.irr

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris — 1950 (3)

Henri Thomas Nul désordre

Hammersmith, hiver

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris
Vers Ealing, et Soho dérisoire et magique,
(Notre beau chat, qu’est-il devenu? Famélique,
Il doit roder là-bas dans les jardins transis).

Le brouillard éclairé par la fenêtre basse,
La cendre amoncelée à la fin des veillées …
Il me semble, ce soir, que nos fantômes passent
Là-bas, en ce moment, dans la rue embrumée.

Ils parlent de la vie à venir, de l’été,
De la mer; le brouillard est semé de clartés;
Je suis heureux d’avoir ton bras contre le mien.

Ce roulement profond, c’est Londres dans la nuit.
Descendons les quelques marches – tu te souviens?
– Voici déjà bientôt dix ans qu’ils sont partis.

Q62 – T14

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise, — 1950 (2)

Henri Thomas Nul désordre

Victoria

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise,
Je suis monté dans un compartiment désert
(Ce Grec enfin lâché) du train qui roule vers
Londres. Fumons en paix la dernière Gauloise.

Celui qui reste pur, attentif, énergique,
D’une ville à venir sera le géomètre,
Elle vient, la voici, c’est la cité de briques
Eparse dans le noir pendant vingt kilomètres.

Gares disparaissant avant d’avoir un nom,
Visages éclairés par des feux de charbon,
Entrepôts interminables en contrebas,

Un bus! Il m’a peut-être garé l’an dernier;
Des éclairages verts. Voici mon ici-bas,
Spiritualisons-le, quartier par quartier.

Q62- T14

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne — 1947 (11)

Armand Godoy Sonnets pour l’aube

VII

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne
Dans celui qu’aujourd’hui va remplacer l’hiver,
Et je revois soudain la chère mer bretonne
Qui sut prendre mon cœur mieux que nulle autre mer.

A-t-elle reflété ces yeux dont m’abandonne
Parfois le souvenir ? et de quel univers
Seraient-ils revenus, par ce soir monotone,
Me dire s’ils étaient jadis bleus, noirs ou verts ?

Là-bas, l’arbre transi dépose sa couronne,
L’hirondelle est partie, et le gazon frissonne.
D’autres ailes, ailleurs, frôlent le ciel couvert.

Le lierre pâlissant s’accroche à la colonne
D’un vieux temple détruit, et l’Angélus résonne
Tendrement … Etaient-ils, ces yeux, bleus, noirs ou verts ?

Q8  T15  y=x :c=a & d=b

Ma petite chérie est en tous points exquise. — 1947 (10)

Raoul Ponchon La Muse gaillarde

Sonnet de la petite chérie

Ma petite chérie est en tous points exquise.
Je n’imagine rien qui puisse en approcher.
Sa bouche, en s’y posant, ferait vivre un rocher,
Ses yeux dégèleraient la plus âpre banquise.

Elle parle, et voilà l’humanité conquise …
Mais ce n’est rien encore, il faut la voir marcher.
Elle marche, et la Grâce alors va se coucher;
Qu’elle aille se coucher, ou s’asseoir, à sa guise!

Le galbe de son corps, ai-je besoin, Messieurs,
De vous dire qu’il n’est rien d’autre, sous les cieux,
Qu’à Venus elle-même elle en pourrait revendre? …

Enfin, je ne sais pas, ô mes lecteurs dévots,
Si je me fais ici suffisamment comprendre:
Auprès d’Elle toutes les femmes sont des veaux.

Q15 – T14 – banv

Pour ne pas être seul durant l’éternité — 1947 (9)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire


Sonnet
à Pilar

Pour ne pas être seul durant l’éternité
Je cherche au près de toi future compagnie
Pour quand, larmes aux yeux, nous jouerons à la vie
Et voudrons y loger notre fidélité.

Pour ne plus aspirer à l’hiver et l’été,
Ni mourir à nouveau de tant de nostalgie,
Il faut dès à présent labourer l’autre vie,
Y pousser nos grands bœufs enclins à s’arrêter,

Voir comment l’on pourrait remplacer les amis,
La France, le soleil, les enfants et les fruits,
Et se faire un beau jour d’une nuit coriace,

Regarder sans regard et toucher sans les doigts,
Se parler sans avoir de paroles ni voix,
Immobiles, changer un petit peu de place.

Q15 – T15

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire, 1947 (8)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,
Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées?
Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire
Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai?

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été
Toi qui me changes tout quand tu me l’as gâté?
Soit, ne me les rends point tels que je te les donne
Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

Que modèlent les jours ta lumière et tes mains,
Refais par-dessus moi les voies du lendemain,
Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute de sa tige.
Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire …
Qui avait soif. Quelqu’un ne voulait-il pas boire?

Q34 – T13 – disp: 4+4+4+2

Les objets ont l’immortelle tranquillité — 1949 (5)

Pierre-Jean JouveDiadème

Choses, I

Les objets ont l’immortelle tranquillité
Et l’immortel amour quand les relient les nombres
Entre l’antique ton la belle majesté
Du temps et le lieu pur l’espace en clair et sombre

Quand les formes sont nues ainsi la pleine chair
Consentante aux frissons, quand ressortent les songes
Des ornements secrets, quand un rayon d’éclair
Pressant chaque mémoire entre eux les fait répondre

Quand leur calme sortant pareil à l’oraison
Ils donnent au cœur d’homme avant qu’il ne les perde
Tout à coup sécurité consolation

Chacun est au plus haut dans les êtres qui sont
L’achèvement de leur mariage est leur superbe
Où Dieu pose la main sur la condition.

Q59 – T17