Archives de catégorie : Q10 – abab baab

Dans un lilas en fleurs, au pied de ma maison — 1869 (2)

– Theodoric Geslain (ed.) – Sonnets provinciaux

2-4 Une anthologie de lutte des sonnettistes anti-parisiens – Le compilateur se présente comme « Membre de la Société des travaux littéraires de Paris. De la Société académique de St Quentin, de la Société d’agriculture, sciences et arts de Poligny; de la Société littéraire d’Apt; membre fondateur du Journal Littéraire: Le Concours des Muses  »

Son but? : La majeure partie des volumes collectifs sont publiés en vue de la décentralisation; mais la décentralisation littéraire, telle que la comprend la province, est-elle possible? C’est là la grande question.


Le nid de chardonneret

Dans un lilas en fleurs, au pied de ma maison,
Il venait de bâtir sa couche circulaire;
Comme des doux oiseaux renaissait la saison,
Il avait accueilli l’amour, – il savait plaire.

Ses oeufs sentaient déjà sa chaleur tutélaire;
L’espoir d’une famille égayait sa prison,
Et, sans peur d’éveiller aucune trahison,
Il donnait au poète un chant gai pour salaire.

Mais du logis de l’homme on réparait le toit! …
Une tuile, au hasard, – lourd débris séculaire, –
S’échappe, roule, tombe au bord du nid étroit ….

Et, ce soir, il est vide, ouvert par la secousse,
Laissant pendre le brin, le duvet et la mousse,
Montrant ses oeufs brisés au sol qui les reçoit.

Louis Goujon

Q10 – cbc ddc

Les rythmes d’or et les voix pures — 1868 (20)

Antoine Cros in Catulle Mendés : La maison de la vieille (ed. Jean-Jacques Lefrère …)

A Madame Nina de Callias

Les rythmes d’or et les voix pures
Du claveçin obéissant
Sortent en suaves mesures
Sous vos doigts au charme puissant.

Oh ! l’émoi que chacun ressent ! –
Les éloges se font murmures.
Pareils au bruit, dans les ramures,
Du vent d’automne caressant.

Vous groupez les être qu’on aime
Comme les chants d’un beau poëme.
Vous répandez autour de vous

Une sympathique atmosphère
Où votre jeu savant sait faire
Vibrer l’esprit superbe et doux

Paris, 30 VIIbre 1868

Q10  T15 – octo

Un sonnet est bien peu de chose: — 1855 (1)

Marc du Velay (Auguste Blanchot) Les Vélaviennes


Le Sonnet

Un sonnet est bien peu de chose:
Un souffle qui s’envole, un soupir, un accord;
Une larme de pluie aux feuilles d’une rose;
Un vacillant rubis que suspend un fil d’or.

C’est un cadre de nacre ouvragé jusqu’au bord
Serrant d’une Péri la figurine rose.
Dans l’urne de cristal, que d’eau tiède on arrose,
C’est d’une fleur d’Alep le fragile trésor.

C’est moins que tout cela; c’est une folle rime,
Quatorze papillons qu’à saisir on s’escrime:
C’est un tour de souplesse et rien de plus ma foi!

Cependant, jeune fille, en ces heures d’extase,
Où l’âme s’affranchit du rythme et de la phrase,
J’ai rimé des sonnets pour toi.

Q10 – T15 – 2m (octo: v.1 &14) – s sur s

Souvent je me promène aspirant dans mon âme, — 1849 (1)

Charles PotvinPoésies politiques et élégiaques


La lecture

Souvent je me promène aspirant dans mon âme,
– Vive évocation pleine d’un doux émoi,
Le génie exalté d’un barde au coeur de flamme
Qui revit, palpitant et s’inspirant pour moi;

Je le comprends, lui parle, il répond, je le voi,
Et nous nous échangeons, comme un noble dictame,
Lui, les célestes feux dont sa muse s’enflamme,
Moi, mes rêves d’amour, mon idéal, ma foi.

Je lui parle de vous… rayonnante de grâce,
Vous vous levez ainsi qu’un astre; et tout s’efface,
Le livre est oublié, je ne vois plus que vous;

Je n’ai qu’une pensée, un but qui m’extasie:
Courir en votre coeur puiser ma poésie,
Vous redire un aveu plus ardent et plus doux.

Q10 – T15

Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage — 1843 (17)

– Alfred de Musset

A la même

Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
Jette au hasard un cri dans un chemin perdu,
Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
Le rossignol pensif a parfois répondu.

Ainsi fut mon appel de votre âme entendu,
Et vous me répondez dans notre cher langage.
Ce charme triste et doux, tant aimé d’un autre âge,
Ce pur toucher du cœur, vous me l’avez rendu.

Etait-ce donc bien vous ? si bonne et si jolie,
Vous parlez de regrets et de mélancolie.

–       Et moi peut-être aussi j’avais un cœur blessé.

Aimer n’importe quoi, c’est un peu de folie,
Qui nous rapportera le bouquet d’Ophélie
De la rive inconnue où les flots l’ont laissé ?

Q10  T6  suite au n°16

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée, — 1839 (14)

Louis de Ronchaud Premiers chants

A Laure

Ma Laure au doux regard, ô ma sœur bien-aimée,
Douce fleur qui fleuris sous des abris secrets,
Gente fleur, au matin, de grâce parfumée,
Ta jeunesse est encor l’image de la paix.

Ta jeunesse innocente est encor sans regrets,
Ton âme est une source aux feux du jour fermée,
Qui s’épand doucement sur l’herbe ranimée,
Et de ta mère seule a reflété les traits.

Un jour viendra, ma sœur, que l’époux de ton âme,
Celui qui t’apprendra les pensers d’une femme,
De fleurs, pour t’accueillir, couronnera son seuil.

Alors un toit nouveau d’une nouvelle hôtesse,
Se verra réjoui, tandis que la tristesse,
Viendra prendre sa place à nos foyers en deuil.

Q10  T15

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère: — 1833 (1)

Félix ArversMes heures perdues

Sonnet imité de l’italien

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère:
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, & pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas;

A l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle:
« Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

Le fameux ‘sonnet d’Arvers’ commence ici sa carrière. Il a bien failli passer inaperçu, le pauvre. Personne ne le remarque à l’époque. Une bonne vingtaine d’années ont été nécessaires pour qu’il s’impose comme un des sonnets (et même poèmes) les plus souvent cités du dix-neuvième siècle (du vingtième finissant même: une recherche sur le net débusque d’innombrables références en un grand nombre de langues; la plupart n’étant dues, à vrai dire, qu’au fait de sa mise en chanson par Serge Gainsbourg).

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet, (1897), cite Banville (1878): ‘ce petit poème exquis, achevé, que citent toutes les Anthologies, qui est dans toutes les mémoires, qui pour vivre n’avait pas besoin de l’imprimerie, et qui a été appelé excellement, par un usage qui a prévalu: le Sonnet d’Arvers. « . Il évoque ensuite la question posée à l’époque de la redécouverte du sonnet. « On s’est demandé s’il était vraiment ‘imité de l’italien’ « . On n’a pas trouvé le modèle italien prétendu. Alors?  » Arvers a voulu, dans le milieu où était né le sonnet, dissimuler sa passion, écarter les soupçons, et éviter de compromettre une jeune femme récemment mariée. C’était mettre le comble à une délicatesse de sentiment dont le sonnet lui-même est la preuve irrécusable.  » Une seconde question se pose:  » .. le point de savoir si le sonnet d’Arvers est l’expression d’un amour réellement ressenti. Mais le doute est-il possible? En le lisant n’entend-on pas s’exhaler la plainte de l’amant méconnu? N’entend-on pas un cri de douleur sortir de son coeur déchiré? Et c’est à ces accents si vrais qu’est dû tout le succès du petit poème ».

Il ne reste plus qu’à découvrir la femme.  » Les chercheurs ont prononcé deux noms: madame Victor Hugo, et Mademoiselle Marie Nodier; devenue madame Mennessier (auteur du sonnet 4 ci-dessous)… On est allé jusqu’à prétendre que le sonnet, signé d’Arvers, était sorti de la plume de Sainte-Beuve, le grand critique follement épris de la femme du grand poète. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit de l’autre  » . (Monsieur Aigoin aurait eu des témoins).

Que j’aime le premier frisson d’hiver! le chaume, — 1829 (7)

Alfred de Musset Contes d’Espagne et d’Italie

Sonnet

Que j’aime le premier frisson d’hiver! le chaume,
Sous le pied du chasseur, refusant de ployer!
Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,
Au fond du vieux château s’éveille le foyer;

C’est le temps de la ville. – Oh! Lorsque l’an dernier,
J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
(J’entends encore au vent les postillons crier),

Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine
Sous ses mille falots assise en souveraine!
J’allais revoir l’hiver. – Et toi, ma vie, et toi!

Oh! dans tes longs regards j’allais tremper mon âme;
Je saluais tes murs. – Car, qui m’eût dit, madame,
Que votre coeur si tôt avait changé pour moi?

Q10 – T15