Archives de catégorie : Q10 – abab baab

Mon cher, vous m’amusez quand vous faites mystère 1897 (11)

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet.

Réponse de la femme ‘fin de siècle’

Mon cher, vous m’amusez quand vous faites mystère
De votre immense amour en un moment conçu
Vous êtes bien naïf d’avoir voulu le taire:
Avant qu’il ne fût né, je crois que je l’ai su.

Pouviez-vous, m’adorant, passer inaperçu,
Et, vivant près de moi vous sentir solitaire?
De vous il dépendait d’être heureux sur la terre:
Il fallait demander et vous auriez reçu.

Apprenez qu’une femme au coeur épris et tendre
Souffre de suivre ainsi son chemin sans entendre
L’aveu qu’elle espérait trouver à chaque pas.

Forcément au devoir on reste, alas, fidèle!
– J’ai compris, vous voyez, ‘ces vers tout remplis d’elle »
C’est vous, mon pauvre ami, qui ne compreniez pas.

Q10 – T15 – arv

Ami, pourquoi nous dire, avec tant de mystère — 1897 (10)

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet.

Réponse de la femme ‘au devoir fidèle

Ami, pourquoi nous dire, avec tant de mystère
Que l’amour éternel en votre âme conçu
Est un mal sans espoir, un secret qu’il faut taire,
Et comment supposer qu’Elle n’en ait rien su?

Non, vous ne pouviez point passer inaperçu,
Et vous n’auriez pas dû vous croire solitaire
Parfois les plus aimés font leur temps sur la terre
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pourtant Dieu mit en nous un coeur sensible et tendre.
Toutes, dans le chemin, nous trouvons doux d’entendre
Le murmure d’amour élévé sur nos pas.

Celle qui veut rester à son devoir fidèle
S’est émue en lisant vos vers tout rempli d’elle:
Elle avait bien compris …. et ne le disait pas.

Q10 – T15 – arv

Je sais qu’un lis s’ouvrit à la saison lointaine: — 1897 (8)

Levet (Le Pavillon ou La Saison de Thomas W. Lance – petit poème cultique)


VI. Hiver
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide, où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi, plein de tristesse lâche
Un bâteau frêle comme un papillon de mai.

Arthur Rimbaud
La crémerie:

Je sais qu’un lis s’ouvrit à la saison lointaine:
– ô clair matin d’hiver baisez la crémerie
Comme l’agneau du saint approuve de sa laine
Le moine blanc qui pleure à l’autel de Marie.

En tes cheveux – l’ombre dès sa source est tarie! –
Le linceul de mon rêve où tes yeux porcelaine
Rayonnent le néant d’un calme de Germaine,
Neige que ne saurait troubler la laiterie!

Et c’est comme un repos sur des douleurs exquises!
(Ma bouche a murmuré la poudre des marquises
D’ « antan ») – halte future où la fumée émane

Le « Pâle Voyageur, qui, ses armes rongées,
Evoque les blondeurs crémeuses du barman
Sous les palmiers drapés d’antilopes vengées …

THOMAS W. LANCE A DIT.

Q10 – T14

Leurs yeux de giroflée ou de myosotis, — 1890 (16)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

VI

Leurs yeux de giroflée ou de myosotis,
A croire que s’y fige un idéal sirop,
Se mouillent, sous la laine aux blondités factices
Des cheveux que le Portugal imbibe trop.

L’hiatus du sourire offre d’un rang de crocs,
La nacre en des tissus éclatants de cerise,
Et leur joue apâlie (ils la poudrederizent)
Evoque une équivoque image de pierrot.

Leur mine elle est de Mime et s’effémine. Au torse,
Pas une soie, ainsi qu’il siérait à la Force
Ne veloute de brun le safran dans les creux.

Lascifs! Quand méditants d’énivrantes morsures
Les crocs négligemment laissent pendre sur eux
La langue où siègent des promesses de luxures.

Q10 – T14

– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte, — 1890 (14)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

I
– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte,
Elle y profile élégamment son nu de soie,
Sous la jupe, à chaque fois qu’elle tressaute,
Incontinent, le pli de l’aine s’aperçoit.

Les deux bras, dès qu’un geste opulent les déploie,
Une étoile apparaît d’un blond très doux d’épeautre,
Et sa toison dévolue à quels Argonautes.
Tant de bijoux la surchargent, qu’elle flamboie.

Elle a l’éclat, elle a la grâce d’une plume
Et sa robe n’est plus qu’une légère écume,
Au gré du flot qui court et saute, musical

C’est l’ouragan et c’est la trombe ! elle tournoie,
Puis dans les bras du Céladon qui la reçoit
Expire sur un cri triomphal de cymbales!

Q10 – T15 – Le fait que des vers riment sur des couples masc/ fem ne joue pas de rôle particulier dans la structure du sonnet, et marque seulement l’affaiblissement, qui s’accélère, de la notion classique de rime au profit de l’oralité (affaiblissement aussi de la notion de césure !)

J’ai balayé tout le pays — 1888 (7)

Charles CrosLe Collier de griffes

Conquérant

J’ai balayé tout le pays
En une fière cavalcade;
Partout les gens se sont soumis,
Ils viennent me chanter l’aubade.

Ce cérémonial est fade;
Aux murs mes ordres sont écrits.
Amenez-moi (mais pas de cris)
Des filles pour la rigolade.

L’une sanglote, l’autre a peur,
La troisième a le sein trompeur
Et l’autre s’habille en insecte.

Mais la plus belle ne dit rien;
Elle a le rire aérien
Et ne craint pas qu’on la respecte.

Q10 – T15 – octo

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir. — 1885 (3)

– (Alfred Delvau) – Les Sonneurs de Sonnets – 1540-1866 –

Aimer, c’est vivre un jour, mais un seul: puis mourir.
Combien d’un premier deuil l’absence se désole!
à des lettres pourtant l’on pourra recourir:
le papier confident, c’est presque la parole!

Et puis, ressource vaine ou promesse frivole,
bientôt on s’écrit moins. Ne vient-il pas s’offrir
maint obstacle à laisser l’occasion fléchir?
Puis Elle n’écrit plus: la tristesse s’envole.

O mobilité d’âme où le monde est soumis!
ceux qu’on a tant aimés cherchent d’autres amis.
Pour le premier jaloux quelle sombre amertume!

Puis à lui-même, un jour, arrive pas à pas
l’oubli. Sommeil du coeur vous êtes le trépas!
Le coeur est une terre où tout mort se consume.
A. Delatouche

Q10 – T15 –  » J’ai respecté cette manie de Delatouche qui consiste à ne mettre en capitales au commencement de chaque vers que lorsqu’il y avait lieu, c’est à dire lorsque le vers précédent finissait par un point. Mais c’est une manie bien agaçante pour le lecteur. Les vers sont des vers, que diable! ce n’est pas de la prose. « 

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire? — 1884 (7)

Joseph RoyDents de lait

Quatrain demandé

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire?
Puisque vous l’exigez, au jour de l’an prochain,
J’enfourcherai pour vous Pégase, c’est certain.
Que je le dompte alors ou qu’il me jette à terre,

N’importe, j’essaierai de rimer un Quatrain,
Pour tenir ma promesse et pour vous satisfaire.
Accoupler quatre vers, mon Dieu! la chose est claire
Et ne demande pas un effort surhumain.

Phoebus est de mauvaise humeur, à cette époque,
Où pour ses grands-parents chaque moutard l’invoque.
Ne l’importunons pas: soyons concis et net.

Voyons un peu, comptons nos vers: un, deux, trois quatre,
Cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Ah! je devrais me battre:
Je pars pour le Quatrain, et j’arrive au Sonnet.

Q10 – T15 – s sur s

Des nuits du blond et de la brune — 1882 (2)

Gardéniac?

Poison perdu

Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n’est resté
Pas une dentelle d’été,
Pas une cravate commune;

Et sur le balcon où le thé
Se prend aux heures de la lune
Il n’est resté de trace, aucune,
Pas un souvenir n’est resté.

Seule au coin d’un rideau piquée,
Brille une épingle à tête d’or
Comme un gros insecte qui dort.

Pointe d’un fin poison trempée,
Je te prends, sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort.

Q10 – T27 – octo Les rimes des tercets sont non classiques (or/ort et –ée sans appui) – Le mot ‘resté’ est deux fois à la rime

Ce beau sonnet, paru sous pseudonyme, est attribué soit à Rimbaud soit (plus généralement) à Germain Nouveau. Les critiques ont sans doute raison. On peut cependant lui reconnaître, dans le ton, plutôt une parenté avec Charles Cros (‘Et quelle morale? aucune ‘(Liberté)). Cependant l’irrégularité des rimes conduit plutôt à éliminer tous ces noms.

Ses yeux sont meurtriers. Sa bouche mignonnette — 1872 (45)

La ligue des poètes

La femme belle

Ses yeux sont meurtriers. Sa bouche mignonnette
Montre à demi ses dents blanches dans un souris,
Et laisse à chaque coin une double fossette,
Petit piège de chair où tous les cœurs sont pris.

Près d’elle, ô Mahomet !, pâlissent tes houris !
Il semble, jouissant de sa beauté parfaite,
Qu’elle ne veuille rien de plus, et s’inquiète
Seulement de payer la louange en mépris.

Qui pourrait espérer, d’une lèvre amoureuse,
Presser, vivifier cette gorge neigeuse,
Ces deux rouges boutons, deux fraises dans du lait ?

Qui saurait obtenir, bras souples et novices,
De vos enlacements les nerveuses prémices ? …
Qui ? – Quelque vieux richard, épuisé, sot et laid.

Hégésippe Cler

Q10  T15