Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre — 1928 (7)

Pierre AlbertyLe jardin d’Eros

Dollars

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre
Filtre sournoisement par les vitraux du bar
Et, peu à peu, voici que paraît plus blafard
L’éclairage diffus des plafonniers d’albâtre.

Dans la moiteur de l’air flotte une odeur douceâtre:
Alcools, poudres de riz, oeillets fanés, pommard!
Effluve féminine et relents de homard;
Le jazz, pour terminer, joue un fox-trot folâtre.

Nue, à même la nappe et les serviettes sales,
Une fille est couchée au milieu de la salle, `
Tandis qu’au gloussement joyeux de ses compagnes

Un américain glabre aux lunettes d’écaille,
Flegmatique, introduit dans l’impudique faille
Des dollars ruisselants péchés dans du champagne!

Q15 – T15

Il pèse sur tes épaules, il brûle ton cœur, — 1928 (3)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Epilogue étrange

Il pèse sur tes épaules, il brûle ton cœur,
Il met des trésors d’angoisse dans les jours joyeux,
Il te marque pour toi-même, sceau mystérieux,
– Il te marque pour toi seule: y a pas d’âme soeur.

Il peut enivrer ta vie, sauvage bonheur;
Il t’éblouit, il t’emporte, il ferme tes yeux,
Il te réveille, il te crée, t’emmène loin d’Eux
Et t’offre dans un silence l’éternelle fleur.

Le Meilleur Monde Impossible (Leibniz s’est trompé),
Trop sincère, trop splendide pour une entité,
Qui ne sera qu’en ton âme, ou ne sera pas.

« Tout un monde est lourde chose », songe Atlas-Psyché; –
Mieux vaut nous saigner ensemble d’un p’tit coutelas …  »
Il n’a été qu’en ton âme, mais n’a pas été.

1906 – C.P. note à la suite: « One more sigh’.

Q15 – T7 – 13s

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline — 1925 (1)

Alexandre de Virineau (= Fernand Fleuret)Douze sonnets lascifs … –

Léda incomprise

Hortense a soulevé sa jupe à crinoline
Et fait glisser en bas son pantalon léger,
Car elle voit au loin vers elle converger
Tous les grands cygnes blancs dont le bec dodeline.

Sur le bord du bassin, provocante et câline,
Elle s’offre au grand mâle, et pour l’encourager ,
Lui sourit, puis tressaille en voyant s’allonger
Le beau col souple et blanc, vivante javeline.

Sous l’étrange désir dont l’ardeur l’obséda,
Elle s’ouvre en pensée à l’amant de Léda
Et croit enfin sentir le dard dans sa nature;

Mais le grand cygne blanc lève un œil étonné
Vers la fente impubère à l’étroite ouverture
Et s’éloigne déjà sans avoir deviné.

Q15 – T14 – banv

Pélops, par l’épaule d’ivoire — 1924 (7)

Tristan Derème La verdure dorée

Pélops, par l’épaule d’ivoire
Qui tous les maux guérit,
M’arracheras-tu de l’esprit
La face de ta gloire?

Chaque aube annonce une victoire
Que l’autre aube flétrit.
Plus heureux celui qui n’écrit
Et ne pense qu’à boire.

Il est aux bois tièdes et verts
Des jeunes femmes, et tes vers
N’ont que toi pour les lire.

Et le vent dans un  peuplier
Quand il chante fait oublier
Les cordes de ta lyre.

Q15 – T15 – 2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v.11, v.14

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère — 1924 (6)

Emile Blémont Gloires de France

Envoi au ‘Tombeau de Verlaine »

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère
Où qu’il ne fût sincère qu’à demi,
Je l’admirais en poète, en ami,
Tout approuver était-il n’écessaire?

Ce rut païen après ce doux rosaire,
Ces yeux d’orgueil, ce coeur mal affermi,
Qui les a vus, et n’en a point gémi?
O le grand Saint, mais quel bon vieux corsaire!

Pour la logique
Grave embarras! – Puis, la mort a sculpté
En marbre blanc sa tête socratique.

Maints vers de lui sont étrangement beaux;
Et ce damné, dans son rêve extatique,
Ouvrit à l’Art des horizons nouveaux.

Q15 –  cxcdcd T.exc –  déca (v.9:4s.)

L’aurore a des pudeurs virginales, des voix — 1924 (1)

Francis Viélé-GriffinOeuvres

L’aurore a des pudeurs virginales, des voix
Qui font rêver le fol espoir d’aimer une autre,
En cette solitude, hélas! qui fut la nôtre,
Aux jours d’alors, et tout ce passé que tu vois;

L’Aurore a Tes pudeurs virginales, Ta voix,
Vibrante voix d’alors qui n’eut jamais une autre,
Mais cet amour très chaste et saint qui fut le nôtre
S’en est allé de ta chère âme, je le vois!

A pas très lents, par la charmille basse, où notre
Premier rêve a chanté le duo de nos voix,
Je vais parlant le rêve, il semblerait d’un autre;

Oh! mourons – que me font les choses que je vois
En cette solitude, hélas! qui fut la nôtre,
Aurore, et ta pudeur virginale, et tes voix!

Q15 – T20 – trois mots-rimes: ‘voix’, ‘autre’, ‘nôtre’

MAURICE BOUCHOR ET RAOUL PONCHON 1923 (11)

Jean Richepin Interludes

Sonnet acrostiche et mésostiche

MAURICE BOUCHOR ET RAOUL PONCHON
Avec vous j’ai fait Toutes mes retraites.
Un même plaisir Rassemblant nos crêtes,
Rougissait nos nez Au même cruchon.

Ivrognes sacrés, Oints du dieu Bouchon,
Celébrons sa messe, Usons ses burettes,
Et versons en nous les rouges aigrettes,
Bouchor, mon trésor, Ponchon, mon bichon !

On fait bien de rire ! On pleurera vite.
Un jour de bonheur N’est qu’un jour sans suite.
Celui-ci fut beau, Chers amis, tant mieux !

Hélas ! Quel cruel Hourvari nous presse !
On avait vingt ans ! … On s’éveille vieux ! …
Rien ! Plus rien ! Du vent !, Notre jeune ivresse !

Q15  T14 – banv –  tara  acrostiche

Manger le pianiste? Entrer dans le Pleyel? — 1923 (1)

Jean PellerinLe bouquet inutile

La Grosse Dame chante

Manger le pianiste? Entrer dans le Pleyel?
Que va faire la dame énorme? l’on murmure …
Elle racle sa gorge et bombe son armure:
La dame va chanter. Un œil fixant le ciel

L’autre suit le papier, secours artificiel –
Elle chante. Mais quoi? le printemps? la ramure?
Ses rancœurs d’incomprise et de femme trop mûre?
Qu’importe! c’est très beau, très long, substantiel.

La note de la fin monte, s’assied, s’impose.
Le buffet se prépare aux assauts de la pause.
« Après, le concerto. … » – Mais oui, deux clavecins »

Des applaudissements à la dame bien sage …
Et on n’entendra pas le bruit que font les seins
Clapotant dans la vasque immense du corsage.

Q15 – T14 – banv – un hiatus partculièrement odieux au vers 13

Parmi les brumes des lointains — 1922 (1)

Jean RichepinLes glas

Sonnet boustrophédon

Parmi les brumes des lointains
Vient de refleurir une flore
Multiforme et multicolore,
Aux tons naissants, peut-être éteints.

En sons d’angélus argentins
Est-ce que l’on chante, ou s’éplore?
Est-ce cette âme près d’éclore,
Celle des soirs ou des matins?

La nuit fonce et le jour éclaire
Ce doux instant crépusculaire
Qui n’est pas la nuit, ni le jour,

Et dont la splendeur vague et brève
Est pourtant l’éternel séjour
Où se plaît le mieux notre rêve;

Au papillon de notre rêve
Nul jardin n’est un bon séjour
Que celui dont la rose est brève.

Il faut à son amour d’un jour
La lumière crépusculaire
Douce, et qui pas trop n’éclaire. ?

Sinon, les flèches des matins
Le percent quand il vient d’éclore,
Et son glas dans nos cœurs s’éplore
En rosée aux pleurs argentins;

Car voici qu’à nos yeux éteints
Meurt son essor multicolore
Tandis que se fane la flore
Fleurie aux brumes des lointains.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc abba abba – octo – Palindromique par les rimes (et parfois le vers entier) – banv

Son aïeul adorait le livre libertin, — 1921 (12)

Gabriel Volland L’amour vainqueur

La jeune fille

Son aïeul adorait le livre libertin,
La gravure amouresue et la galante estampe,
Et le secret musée où l’artiste vous campe
Des couples plus ardents que ceux de l’Arétin.

Quelle trouvaille au fond du grenier ce matin :
Une oeuvre … Elle rougit et, la fièvre à la tempe,
Elle attend la veillée où, seule avec sa lampe,
Ses yeux connaîtront tout de ce pervers butin.

Chambre close, elle lit devant l’âtre qui fume …
Comme pour embraser davantage ses sens
La chaleur a rejoint sa main contre sa jambe.

Et de la bûche les lutins vifs et dansants
Savent seuls si l’ardeur dont tout son corps se pâme
Vient du désir en feu plutôt que de la flamme.

Q15  T . exc.