Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Près émaillés de fleurs, champs qu’arrose le Tage, — 1828 (5)

Pierquin de Gembloux Poésies nouvelles

Adieux du Camoëns

Près émaillés de fleurs, champs qu’arrose le Tage,
En répandant partout la vie et les plaisirs,
Ne vous verrai-je plus que dans mes souvenirs,
Bois charmans, frais gazons, témoins de mon jeune âge!

J’ignore si long-temps la fortune volage
Loin de vos heureux bords retiendra mes soupirs,
Quand vous serez rendus à mes brûlans désirs,
Et quand je reverrai ce paternel rivage!

Mais puisqu’ainsi l’ordonne un destin trop jaloux,
En éternels soucis je vais changer mes goûts;
A ce coeur qui vous aime il faut mettre des chaînes;

La voile est prête: on part: adieu, sol des héros!
Sur de nouveaux autels je vais porter mes peines,
Et mes larmes sans prix vont troubler d’autres eaux!

Q15 – T14 – banv

Depuis longtemps je suis entre deux ennemis; — 1828 (3)

Antoni Deschamps in Album d’Emile Deschamps

Depuis longtemps je suis entre deux ennemis;
L’un s’appelle la mort & l’autre la folie;
L’un m’a pris ma raison, l’autre prendra ma vie;
Et moi, sans murmurer, je suis calme et soumis.

Cependant, quand je songe à tous mes chers amis,
Quand je vois à trente ans ma jeunesse flétrie,
Comme un torrent d’été ma fontaine tarie,
J’entr’ouvre mon linceul et sur moi je gémis.

– Il repose pourtant, disent entre eux les hommes,
Et, debout comme nous sur la terre où nous sommes,
Nous survivra peut-être encor plus d’un hiver.

– Oui, comme le polype aux poissons de la mer,
Ou comme une statue, en sa pierre immortelle,
Survit à ceux de chair qui passent devant elle.

Q15 – T14 – banv

Exilé des combats dans une paix profonde, — 1824 (5)

Hippolyte Thomas
Sonnets

Napoléon.

Exilé des combats dans une paix profonde,
Le héros qui vingt ans a su vaincre et punir,
Consolé de sa gloire et plaignant l’avenir,
Finit sur un rocher sa course vagabonde.

Tous ces rois courtisans dont il peuplait le monde
Partout de ses bienfaits taisent le souvenir.
Je gémis sur sa tombe, et suis seul à gémir!
Le bruit de mes regrets vient expirer sur l’onde.

Ainsi sur le passé courbant de longs rameaux,
Quand le saule pieux pleure ces noms célèbres
Dont la cloche lugubre a sonné le repos,

A la pâle lueur de ces lampes funèbres,
Le remords inquiet mesure les ténèbres
Et recule effrayé du calme du tombeau.

Q15 – T21

Tercets sur deux rimes, de type cdc  ddc (avec une faiblesse: ‘rameaux’ (pluriel), rime avec tombeau (singulier), ce qui est interdit classiquement).

– (gef) les 3 rimes en »-ô » sont – pauvres- (malgré la proximité sonore de p/b et de m/b).

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre — 1824 (3)

Hippolyte Thomas Sonnets

Napoléon

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre
Envîra tes débris, et consacrant tes fers,
Et ton courage encor plus grand que tes revers,
Des pleurs de l’héroïsme ira baigner ta cendre.

O cygne harmonieux des rives du Méandre!
Renais de ton génie et vole au sein des mers,
Où ta valeur absente effrayait l’univers.
Quelle gloire à chanter! quelles pleurs à répandre!

A ses affreux destins rien n’a pu l’arracher!
Trop serré dans l’Europe il meurt sur un rocher.
Ce siècle à Vaterlo s’arrête avec sa gloire.

Des passions en feu l’apôtre et le martyr,
Sur tes vastes débris consommant ta victoire,
C’était à Vaterlo que tu devais mourir.

Q15 – T14 – banv

Monsieur Thomas joint ‘pleurs’ à ‘amours, délices et orgues’. Cela est courant encore à l’époque.

De la gloire du Christ a grandi l’horizon. — 1824 (1)

Hippolyte Thomas Sonnets

C’est le premier exemple que j’ai trouvé, au dix-neuvième siècle, d’un livre de poésies, publié à Paris, ayant Sonnets pour titre et constitué entièrement et uniquement de sonnets. Il y en a 42, divisés en deux livres (20+22). De ce Thomas là, je ne sais rien et ne suis parvenu à rien savoir. Cinq ans avant le coup d’éclat tant vanté de Sainte-Beuve, il mérite de figurer ici, indépendamment de son talent, maigre.

Fénelon – A un jeune abbé.

De la gloire du Christ a grandi l’horizon.
Que j’aime Fènelon, ce prélat doux, facile,
Qui rajeunit l’Eglise au lait de l’Evangile,
Et console le coeur sans blesser la raison.

Il apprit l’Elysée à ma jeune saison:
Oui, l’homme est sans patrie où Dieu n’a plus asile;
Il meurt sans avenir, et la vertu fragile
Reduit au joug des lois sa stérile moisson.

En vain de ce bon prêtre on proscrit l’éloquence:
Il parle, et naît des Dieux l’infaillible espérance,
Où régnait du chaos le silence éternel.

Des secrets du chrétien sage dépositaire,
Il ramène la paix sur un front adultère,
Et l’athée à sa voix s’avoûrait immortel.

Q15 – T15

La fille du soleil, sur un char de lumière, — 1821 (1)

Louis Bonnet (aîné) Poésies

La Bergère sur le point d’aimer. Sonnet.

La fille du soleil, sur un char de lumière,
Rougissait de ses feux les portes du matin:
L’étang réfléchissait un ciel pur et serein,
Et la reine des nuits achevait sa carrière:

Abandonnant déjà l’étable hospitalière,
Io des prés connus reprenait le chemin:
Déjà l’agneau paissant le cytise et le thym
Le long des clairs ruisseaux errait sur la bruyère:

Quand j’entendis ces mots  » D’où viennent mes douleurs?
D’où vient qu’au nom d’Hilas je sens naître mes pleurs?
Pourquoi suis-je sans lui triste, sombre et rêveuse?  »

Ainsi sans voir Hilas, ainsi parlait Iris.
« Aime, ma douce amie, et tu seras heureuse »,
Lui répond le berger  caché dans un taillis.

Q15 – T14 – banv

L’homme probe aime à voir en tout la Providence: — 1820 (6)

Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA PROVIDENCE

L’homme probe aime à voir en tout la Providence:
Il a besoin de croire; elle allège ses maux:
Il y trouve la paix, le prix de ses travaux;
Ses consolations, la vertu, l’espérance.

Tout s’explique à ses yeux par cette intelligence:
Tout n’a-t-il pas son but? Qui fit les cieux si beaux?
Qui régla les saisons? Qui nourrit les oiseaux?
Qui plaça le remords dans notre conscience?

C’est une vérité toute de sentiment:
On l’affaiblit toujours par le raisonnement:
L’esprit le plus borné comprend l’Etre suprême.

Mais malheur au pervers, qui dépeint l’Eternel
Comme un tyran farouche; et du Dieu qu’il blasphème,
Fait un maître perfide, implacable et cruel.

Q15 – T14 – banv

Le spectacle des cieux m’élève et me console, — 1820 (4)

–  Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LE SPECTACLE DE LA NATURE

Le spectacle des cieux m’élève et me console,
Il affranchit mon coeur de ces prestiges vains
Dont le fracas du monde éblouit les humains,
Et dégage mes sens d’une pompe frivole.

Que le reste est petit! quelle sublime école,
Pour l’orgueil insensé qui cause nos chagrins!
Que sont des monumens, ouvrages de nos mains,
Ces titres, cet éclat, dont on fait une idole!

Nous vivons un instant dans une éternité;
Nous occupons un point dans une immensité:
Pourquoi tant de soucis sur ce grain de poussière?

O mortels! contemplons l’ordre majestueux,
Suivant lequel sont mus ces globes de lumière:
C’est là que tout est grand et digne de nos voeux.

Q15 – T14 – banv

Les Grâces, les Amours, les Vertus, les Talens, — 1820 (2)

–  M. Le chevalier Coupé de Saint-Donat in L’almanach des Muses

Les adieux du jeune Paulin

Les Grâces, les Amours, les Vertus, les Talens,
Rien des traits de la Mort, rien ne l’a pu défendre.
Sous sa faulx, la Cruelle, hélas! vient de l’étendre
Comme un arbuste en fleur arraché par les vents.

Tel on dit que le cygne au douloureux accens,
Célèbre son trépas aux rives du Méandre,
Tel au banquet des morts étant près de descendre,
PAULIN, tu modulais ces adieux déchirans:

« Faut-il, si jeune hélas, quitter ma tendre mère! `
Faut-il à dix-sept ans te quitter ô mon père!
Mais, le destin le veut … embrassez votre fils.

ADIEU VOUS DIS!  » Sa main, sur le clavier sonore,
Touche le chant funèbre; et sa voix dit encore:
« Embrassez votre enfant. Je meurs. ADIEU VOUS DIS. »

Q15 – T15

Les derniers mots sont expliqués en note: « A ses derniers moments il voulut exécuter sur le piano une romance dont le refrain est: ADIEU VOUS DIS. »

Le désir insensé d’éterniser son nom — 1818 (4)

M. Le Chevalier Coupé de Saint-Donat in L’almanach des Muses

Sonnet

Le désir insensé d’éterniser son nom
Impose un joug de fer aux mortels qu’il enivre.
Tel consume son temps à pâlir sur un livre,
Tel autre à tous propos affronte le canon.

On se croit un Voltaire, on se croit un Crillon;
C’est la gloire, dit-on, la gloire qu’il faut suivre!
Eh bien donc suivez-la! moi, gaîment je veux vivre.

Pourrais-je après ma mort jouir de mon renom?
Il est plus d’une épine au rosier de la vie.
Mourir pour vivre un jour me semble une folie.

Remplissons nos devoirs, honorons les vertus:
Le bruit tant recherché qui fait la renommée,
Pendant que nous vivons, n’est qu’un peu de fumée,
Et c’est bien moins encor quand nous ne vivons plus.

Q15 – T15 – QTTQ – disp 4+3+3+4

(a.ch) C’est un sonnet-sandwich dont je ne connaissais pas l’existence, bien avant l’auguste Brizeux puis Baudelaire. Son schéma de rimes abba abb acc deed, effectivement « ordinaire », est discrépant par rapport à la répartition en quatrains et tercets QTTQ. Là aussi, ça me paraît une trace de la versification en vers à rimes mêlées des discours narratifs du XVIIIe. Les poètes ultérieurs en tiendront compte en revanche.