Archives de catégorie : Q16 – abba baab

Comme un amant penché sur la vierge qui dort, — 1886 (16)

Ephraïm Mikhaël – in Oeuvres complètes I

Fatalisme

Comme un amant penché sur la vierge qui dort,
Dieu regarde au lointain rouler le monde immense.
Et sous ses pieds, il a la mer qui se balance,
Et sur son front, le ciel comme un dais brodé d’or!

Incliné vers la Terre en son morne silence,
Il lit, grave et serein, le vieux livre du sort,
Et, parfois, se dressant, il appelle la Mort
Qui danse dans la nuit sa fantastique danse.

Il lit au livre obscur le nom des condamnés,
Et la pâle faucheuse avec son rouge glaive,
Pousse aux limbes grondants sa moisson de damnés!

Il lit! Mais c’est un vent dont le ciel se soulève,
Qui tourne les feuillets du grand livre qu’il tient;
Et Dieu n’a jamais su d’où cette brise vient!

Q16 – T23

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise) — 1886 (15)

Albert Aurier in Le Décadent

Le rire triste

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise)
Depuis cette nuitée, un trains de patachons:
La folle tant traîna de bouchons en bouchons,
Tant but de bocks qu’Elle est immodérément grise;

Lâchant, à tout propos, maints verbes folichons,
Elle éclate et se tord, comme dans une crise
D’hystérie. Etiam submejit sa chemise,
Et se tortille ainsi qu’un grand tire-bouchons! …

Mais, tandis que, tenant son ventre des deux mains,
Elle se spiralise et va par les chemins,
Titubant dans son rire et dans sa griserie,

Je reste triste, car tout cela, je le sais,
Cache, au fond, les sanglots de vieux amours blessés:
La Gaîté de ma Muse est une hypocrisie?

Q16 – T15

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne, — 1885 (15)

Edouard Dubus in Le scapin

A cœur perdu, VI

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne,
Dans l’océan d’oubli votre amour a sombré ;
Moi je vous veux quand même et vous possèderai
Sans qu’un éclair hautain sous vos longs cils rayonne.

Au temps où vous serez un cadavre marbré
Qu’une bataillon de vers de morsures sillonne,
Un corps décomposé qui craque et qui bouillonne
Entre les ais disjoints d’un cercueil éventré.

Des plantes germeront dans votre pourriture ;
Leurs racines viendront y puiser la pâture
Pour leurs parfums subtils et leurs fraîches couleurs.

Et quand vos chairs seront des roses au teint pâle,
Des pervenches, des lys aux doux reflets d’opale,
Vous serez tout à moi ressuscitée en fleurs !

Q16  T15

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge — 1885 (12)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

III

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge
Disait: « O descendant crotté des Colletets,
J’ai ri de tes sonnets d’hier où tu montais
Jusqu’à la blonde Eglé, fille de ton concierge.

 » Eglé fait – j’en pourrais jaser mais je me tais –
Des rêves de velours sous des rideaux de serge.
Tu perds ton temps. Maigris, fais des vers, brûle un cierge,
Chante-la, ce sera comme si tu chantais.

Un galant sans argent est un oiseau sans aile.
Elle est trop haut pour toi. Les poètes sont fous.
Jamais tu n’atteindras jusqu’à cette donzelle.  » –

Et je dis à l’étoile, à l’étoile aux yeux doux:
– Mais vous avez cent fois raison, mademoiselle!
Et je ferais bien mieux d’être amoureux de vous.

Q16 – T20

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ? — 1881 (18)

Ernest Lafond Sonnets aux étoiles

Publier vos sonnets ! quelle mouche vous pique ?
C’est un genre ennuyeux, je vous le dis tout net.
— Permettez, permettez, cher monsieur, le sonnet
Est un cadre mignon, une médaille antique,

Un coffret ciselé. — Dites donc un cornet. —
Ils sont courts. — Mais nombreux ; leur race est prolifique,
Et j’aimerais mieux lire un long poème épique.
Quand il est isolé, c’est un fat en corset.

Puis le trait de la fin… Toujours la même chute ;
Dans le même fossé c’est la même culbute ;
Ce que Molière en dit, vous vous en souvenez ?

Il va parler encor… Je vous passe le reste ;
Mais n’allez pas, lecteur, souhaiter, comme Alceste,
Que je fasse une chute à me casser le nez.

Q16  T15  s sur s

Du sein des riches fleurs d’Asie — 1881 (1)

Arthur BretonLe Garde-forestier. sonnets –

Le Sonnet

Du sein des riches fleurs d’Asie
Le parfum sort plus pénétrant
Et l’or du Palerne enivrant
S’épure en l’amphore choisie.

Le Sonnet d’émail transparent
Ainsi fait luire, ô poésie,
Ta quintessence d’ambroisie
Dans son beau calice odorant;

Et, lorsqu’on penche cette coupe,
Qu’à vives facettes découpe
La pointe du vers raffiné,

L’idée au travers étincelle,
Et plus poétique ruisselle
Du Vase avec art buriné.

Q16 – T15 – octo – s sur s

Le homard, compliqué comme une cathédrale, — 1880 (21)

Charles Monselet Poésies complêtes

Le homard

Le homard, compliqué comme une cathédrale,
Sur un lit de persil, monstre rouge, apparaît.
En le voyant ainsi, Janin triompherait,
Car il a revêtu la pourpre cardinale!

Et c’est le Borgia des mers. Il a l’attrait
Des scélérats déçus dans leur ruse infernale.
Héraut des grands festins, avec pompe il étale
Son cadavre éventré dans l’office en secret.

Jamais plus fier vaincu n’eut plus beau flanc d’albâtre!
Décoratif et noble, il git sur un théâtre.
Jusques après la mort refusant d’abdiquer,

Il se cramponne aux doigts qui veulent l’attaquer.
Et si quelque imprudent  cherche à briser sa pince:
 » Prends garde! lui dit-il, je suis encore un prince! »

Q16 – T13

Elle te retient par un fil. — 1879 (19)

L’Hydropathe

Cabriol

Sonnet captif
à Sarah Bernhardt

Elle te retient par un fil.
Et, tournoyant tout autour d’elle
Tu vas, tu vas, battant de l’aile,
Admirant trois-quarts et profil.

Elle te guette et sa prunelle
T’envoie un doux rayon d’avril.
Jettera-t-elle un grain de mil
La charmeresse demoiselle ?

Vole, vole, gazouille et chante ta chanson,
Ton vol passant dans l’air comme un léger frisson
Prend sa part d’auréole, et peut-être la flatte.

Ta cage est dans l’azur, plus que la liberté
Ce lien peut sourire à ton humilité,
Pauvre petit sonnet attaché par la patte.

Q16  T15  2m (v.1-8 : octo)

Des bavards je suis revenu; — 1879 (10)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Profession de foi

Des bavards je suis revenu;
C’est pourquoi de ma république
Je bannis tout poëte épique.
Pour Voltaire, c’est convenu;

Et lui-même, le grand classique,
Homère m’a toujours déplu,
J’en fais l’aveu très ingénu,
Par sa longueur kilométrique.

Parlez-moi de quatorze vers,
Fussent-ils forgés de travers;
Etre sobre est ma loi suprême;

Et m’est avis que mon sonnet
Bien que clochant un tantinet,
Ennuira moins qu’un long poëme.

de Berluc-Perussis

Q16 – T15 – octo – s sur s

Puisque le feu sacré dans mon coeur se réveille, — 1878 (5)

F. Cousin (de la Bassée) Dans la charmille

UN SONNET.

Puisque le feu sacré dans mon coeur se réveille,
Muse, à l’oeuvre, je veux trouver sous mon bonnet…
Trouver, devinez quoi?… quel caprice! un sonnet,
Dussé-je prolonger jusqu’au matin ma veille !

Notre grand maître à tous, Boileau, qui s’y connaît,
Nous dit que deux quatrains de mesure pareille,
Où la rime à deux sons frappe huit fois l’oreille,
Suivis de deux tercets distincts, font le sonnet.

Il faut que ces tercets, ajoute-t-il encore ,
Séparés par le sens, aient un rhythme sonore,
Avec un vers final, piquant, inattendu.

Voilà presqu’un sonnet ; c’en est un, sans nul doute,
Du Parnasse, ma foi, je reconnais la route
Que parcourait jadis l’auteur du Temps perdu (*).

(*) Titre d’un volume de poésies de l’auteur.

Q16  T15  s sur s