Archives de catégorie : Q16 – abba baab

La mer joue à son miroir — 1913 (6)

Léon Deubel in Oeuvres

La fleur terminale

La mer joue à son miroir
Que les innombrables plumes
Des eiders de l’aube embrument
Effrayante et belle à voir.

Oh! glissez, vous que j’exhume
Formes d’un vain désespoir ,
Dans la tombe au linceul noir
Que la mer ouvre et parfume.

Mais, de grille, sans merci
N’entraînez pas le souci
Qui me point et me consume

Quand je tente de gravir
L’Alpe du flot, pour cueillir
L’edelweiss de son écume.

Q16 – T15 – y=x :d=b – 7s –

Musique aux lèvres de l’épouse: — 1909 (4)

Léon Deubel L’arbre et la rose

Eté

Musique aux lèvres de l’épouse:
Les mots tremblent de volupté.
Fin de Juillet! la nymphe Eté
Râle d’amour sur les pelouses.

Oh! dans mes mains, mes mains jalouses,
Mes doigts par ses doigts invités,
Sentir avec suavité
Ses seins ériger leurs arbouses.

Sentir nos chairs évanouies,
Jointes, parmi les inouïes
Clameurs d’un enfer épié,

S’abîmer, quand le ciel dispose
– Coussin frangé d’or à nos pieds –
Un soir enluminé de roses.

Q15 – T14 – octo

Rosoyante et galbeuse, au contour génial, — 1903 (9)

Alphonse Gallais Venus fleurie (d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)

La cuisse

Rosoyante et galbeuse, au contour génial,
La cuisse de la femme est l’étau du miracle,
Dont chaque serrement, au sein du tabernacle,
Pousse à son paoxysme un frisson idéal !

Elle est d’une souplesse étrange, et quand l’oracle
A la péroraison se meurt – au point final –
Sa brûlure au rein souple étend, phénoménal,
Le spasme aigu qui brise entier l’iconolâtre…

A la douceur joignant la force merveilleuse,
Ses pressements soudains, au seuil du frisson cher,
Font vibrer tous les nerfs en la danse joyeuse …

Et c’est, sous des cris vifs que les baisers étouffent,
L’ Hymen sacré qui fait se croiser chaque touffe :
Triomphal exclamé vers les cieux par la chair.

Q16  T25

Ce marbre élevé que, hautain, — 1897 (1)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris


A Stéphane Mallarmé

Ce marbre élevé que, hautain,
Tu voiles de nuit à long plis,
Nous garde en rythmes assouplis
Beauté sereine et fier dédain.

Nocturne aux rêves anoblis
De mystère, ta voix soudain
Eveille un idéal jardin
De reflets et d’échos pâlis.

Et je t’offre, moi – non pareilles
Aux fruits si vermeils vers les treilles
Que sont les lueurs du matin,

Ces rimes-ci vol immodeste
Devers ton oeuvre (adamantin
Malgré l’ombre) haut de ton geste.

Q16 – T14 – octo

La chasuble des Apostoles, — 1894 (6)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

II
Virgo Fellatrix (d’après Laurent Tailhade)

La chasuble des Apostoles,
Dans le cristal incendié
Flamboie – Un coeur supplicié
Attend, vierge, que tu l’extolles.

D’or fin, la Lune, sous ton pié:
Aux accents des luths, des citoles,
L’Ange ‘Saint des saintes étoles »
Chante l’amour. O filiae!

Canonique! mystique! unique!
Hors du triptyque, ta tunique
Verse l’âme des Paradis.

Toi, la Pudibonde, sans nulle
Macule, j’ouvre la lunule
Des ostensoirs où tu splendis.

Q15 – T15 – octo

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable viscère. — 1893 (6)

Romain Coolus in Revue Blanche

En Amour, régime de sonnets

I
Le fol amant est en très mauvais termes avec son hélice de coeur

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable  viscère.
Peut-être aurais-tu droit à ma reconnaissance
Si tu bornais à des sursauts de jouissance
Ton mécanique émoi de soufflet nécessaire!

Tu te devrais m’être un bureau de bienfaisance
Et conviendrais, si tu voulais être sincère,
Que dans la capacité stricte de ton aire,
Tu pourrais être une entreprise de plaisance.

Mais non; ton cartilage est plus ambitieux,
Prétend aimer, joue au monsieur séditieux
Me veut geignant, plaintif et superstitieux

Tord ses fibres, les noue en cordons de souffrance,
Sonne le deuil, sonne le spleen, sonne la transe
Et me ligote au sentimentalisme rance.

Q16 – T5

« Vierge impudique, aux flancs d’airain — 1892 (2)

Antoine SabatierSonnets en bige

Donna Juana

« Vierge impudique, aux flancs d’airain
Striés de blondeurs et de hâles,
Parmi les hommages des mâles,
J’ai passé, monstre vipérin.

Parmi les désirs et les râles,
Je fus le lac, perfide écrin
De mirage où le pèlerin
Veut rafraîchir ses lèvres pâles.

Au prix du sang, au prix des ors.
Et fus la jeteuse de sorts,
Prêtresse de Mélancolie.

Oh! de leur commune folie
Combien des meilleurs et des forts
Etreignant mes genoux sont morts!

Q16 – T9 – octo

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur, — 1891 (19)

Le concours de La Plume
(concours, troisième prix)

Sonnet pour Isabeau la gente Bachelette

Près de vous, très gente, ay laissé mon cueur,
Or vous l’avez prins, et votre ongle rose
Vistement lui fict sy terrible chose
Que femmes de Thrace au divin chanteur

Et, depuis ce temps, je vis tout morose,
Et le plus doux miel, la plus belle fleur
Me semblent sans goust, comme sans couleur,
Et de tout cela, cruelle, estes cause.

Mais, si le voulez, mignonne, oyez-moi:
Venez mettre un terme à mon grand émoy
Et bien-tost verray que seray tout aultre.

Belle, vous avez mon cueur déchiré;
Il me faut un cueur, où je périrai:
Or donc, pour le mien, donnez-moy le vôtre.

Jules Laloue

Q16 – T15 – on voit, à cet exemple burlesque (involontairement) à quel point il est difficile de ‘faire médiéval’ (un des plus beaux exemples est le ‘Jehan’ à deux syllabes, de l’abominable Rictus)

Elle tombe aussi finement — 1890 (6)

Alfred MigrenneLes moissons dorées

En voyant tomber la pluie

Elle tombe aussi finement
Que si c’était de la rosée,
Et la terre presque épuisée
S’en désaltère avidement.

De ma serre tout irisée
Des fleurs qui s’ouvrent par moments,
Le jasmin s’élève hardiment
Pour apparaître à ma croisée.

Demain les épis jauniront
Et gaîment des faucheurs iront
Les couper, puis les mettre en gerbe.

Car la pluie est à la moisson,
Ce que l’air est à la chanson
Et l’or du soleil à la gerbe.

Q16 – T15 – octo  – bi

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir, — 1888 (31)

Alfred Jarry Ontogénie

Misère de l’homme, I

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir,
Asservissant le sol aux moissons réfractaire,
Diriger la charrue et cultiver la terre,
Sinon, le pain lui manque, et l’homme doit mourir.

Il ensemence un champ, et le blé salutaire
Germe dans les sillons qu’il commence à couvrir.
Mais le soleil ardent fane et fait se flétrir
Chaque épi mûrissant, qui se courbe et s’altère.

Ou la grêle s’abat et fauche la moisson;
Ou la gelée arrive, et suspend un glaçon
A chaque grain de blé qui tremble au bout du chaume.

Tout est perdu, tout est anéanti. Mais l’homme,
S’il ne meurt de la faim, trouve la mort auprès
Des fauves monstrueux qui hantent les forêts.

Q16 – T13