Archives de catégorie : Q60 – abab a’b’b’a’

Au piano elle est assise et la sonate — 1887 (12)

Albert Saint-Paul in Ecrits pour l’art

Sonate

Au piano elle est assise et la sonate
–       Un océan dont les accords seraient les flots –
D’abord clapote et vient, câline, unie, en natte
Aux grèves vers mon rêve – ô les flots aux falots !

Et mon âme se pâme au sourd roulis des lames
En la Nuit qui s’enfuit où clament mille voix ;
Et les cordes, qu’accorde une voix de hautbois,
Chantent l’Avril, l’Idylle et les Epithalames.

Et nous voguons ! et nous tanguons, la Nuit s’enfuit.
Très loin l’horizon sans maisons – l’horizon luit.

Plaque encor des accords sur ton Erard d’ébène.
Laisse tes doigts à la caresse du clavier.

Oh ! notre âme emmaillée en l’immense épervier
De la kabbale, à l’aube opale pâle à peine.

Q60  T15  disp (Tercets en distiques) – rimes intérieures

Dors: ce lit est le tien … Tu n’iras plus au nôtre. — 1873 (31)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Sonnet posthume

Dors: ce lit est le tien … Tu n’iras plus au nôtre.
– Qui dort dîne. – À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors: on t’aimera bien –  L’aimé c’est toujours l’
Autre….
Rêve: La plus aimée est toujours la plus loin…


Dors: on t’appellera beau décrocheur d’étoiles!
Chevaucheur de rayons! … quand il fera bien noir;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
– Espoir – sur ton front vide ira filer ses toiles.


Museleur de voilette! un baiser sous le voile
T’attend … on ne sait où: ferme les yeux pour voir.
Ris: les premiers honneurs t’attendent sous le poële.


On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,
Doux fumet! … pour la trogne en fleur, pleine de moelle
D’un sacristain très-bien, avec son éteignoir.

Q60 – T20 – y =x (d=b)

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête — 1872 (1)

Rimbaud

Vénus anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates;

L’échine est un peu rouge; et le tout sent un goût
Horrible étrangement; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe …

Les reins portent deux mots gravés: CLARA VENUS;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Q60 – T14

L’air était au bonheur et soufflait à la joue — 1863 (6)

– Léon Valade & Albert Mérat Avril, Mai, Juin

Un artiste

L’air était au bonheur et soufflait à la joue
Des effluves de paix, d’espérance et d’amour.
Par ces soleils féconds où le printemps se joue
On est heureux d’ouvrir les yeux, de voir le jour.

La vie est une amante au sang riche, au teint rose :
On se pend à son col avec enivrement.
Le sombre essaim des maux s’envole en un moment
Loin des gouffres de l’âme où le passé repose.

Par un de ces beaux jours de joie et de lueur
J’allais heureux, avec des clartés plein de cœur ;
J’aperçus chancelant, le dos contre une borne,

Un vieillard abruti de faim, front bas, l’oeil morne.
Un monsieur qui passait, d’un air indifférent
Et d’un ton très-poli, me dit : « Quel beau Rembrandt ! »

Q60  T13

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire, — 1808 (2)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur l’espérance

Toi qui parais toujours sous les traits qu’on désire,
Devant qui semblent fuir la crainte et la douleur,
Douce Espérance! viens; viens, et que ton sourire
Eclaircisse la nuit qui règne dans mon coeur;

Parle à ce coeur, dis-lui (ta voix a tant de charmes!)
Qu’il peut germer encor pour lui quelque plaisir,
Que, pour tromper la peine, ou du moins l’adoucir,
L’esprit a sa magie, et l’amitié ses larmes;

Mais ne ramène point ces fantômes brillans
Qui devant moi semaient, aux jours de mon printems,
Des fleurs qu’à leur éclat je croyais immortelles:

Mon esprit, abattu sous le poids de ses maux,
N’oserait contempler des images si belles;
Ce n’est point le bonheur qu’il veut, mais le repos.

Q60 – T14

Les tercets sont organisés selon le deuxième des modèles principaux du sonnet français du 16ème et 17ème (pour le premier voir le n°1): un distique à rimes plates, suivi d’un quatrain à rimes alternées.