Archives de catégorie : Q62 – abba a’b’a’b’

Comme ces bûcherons qui abattent les chênes — 1909 (5)

Pierre Lièvre Jeux de mots

La bûcheronne

Comme ces bûcherons qui abattent les chênes
Et qui demeurent sourds aux grands gémissements
Que l’on entend répondre à tout coup qu’ils assènent
Sur le cœur douloureux de ces arbres puissants,

Méchante bûcheronne aux yeux froids et pervers
Sous tes coups meurtriers et sournois, tour à tour,
Sans prendre garde aux cris dont ils frappent les airs,
Tu as cruellement fait gémir mon amour.

Souffrant et mutilé s’il reste encor debout
S’offrant toujours aux chocs où tu le mets en butte,
C’est qu’en un cœur profond il plonge ses racines.

Redoute cependant ta fureur assassine,
Crains que l’arbre à la fin ne croule sous tes coups
Car il t’écraserait peut-être de sa chute.

Q62 – T40

Il part très atteint et sans mot dire ; — 1903 (7)

Dr Abdullah-Djevdet-Bey in La jeune Champagne

D’un amour répudié

Il part très atteint et sans mot dire ;
Ses douleurs et ses aveux d’amant
Il les garde comme un diamant
Dans son cœur qui n’a pas su maudire.

Un silence rogue l’accompagne :
Il va tuer son rebelle espoir.
Il s’éloigne à travers la campagne
Où se déploie un triste soir.

Devant lui s’étire le chemin
Et se peuple d’images fatales
Soûles d’extases orientales.

Bref fut l’espoir, longue est l’agonie,
Et voici que le rêve d’hymen
Nimbe la funèbre symphonie.

Q62  T34  9 syll (v.8 : octo !)

Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car — 1898 (6)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Invitation
sonnet olorime

Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car
A l’ombre, à Vaux, l’on gèle. Arrive. Oh ! la campagne !
Allons – bravo ! – longer la rive au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l’écart.

Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L’attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombre, thé des poires et des pêches,
Là, très puissant, un homme l’est tôt. L’art nourrit.

Et, le verre à la main, – t’es-tu décidé ? Roule –
Elle verra, là mainte étude s’y déroule,
Ta muse étudiera les bêtes et les gens !

Comme aux dieux devisant, Hébé (c’est ma compagne)…
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m’accompagne…
Amusé tu diras :  » L’Hébé te soûle, hé ! Jean !  »

Q62 – T15

Sous les rideaux discrets, au fond du vieil hospice, — 1882 (10)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Dermatologie

Sous les rideaux discrets, au fond du vieil hospice,
Les sylphes de Saint-Louis, chantés par Frascator,
Donnent à leurs amants, qui sommeillent encor,
Des baisers dont la trace est une cicatrice.

La rougissante Acnè, l’agaçante Eczéma,
Chéloïs au front pur, Syphilis au cœur tendre,
Purpura, Sycosis, Ephélis, Ecthyma,
Sur la peau des mortels préférés vont s’étendre.

Le jour luit. Une horde envahit les dortoirs,
Portant tabliers blancs avec paletots noirs ;
Ce sont les ennemis des virus et des lymphes.

Ils vont, et devant eux marche le professeur,
Comme un faune jaloux qui s’avance, grondeur,
Pour troubler vos ébats amoureux, belles nymphes.

Q62  T15 (TLF) ecthyma : Affection cutanée, caractérisée par une éruption pustuleuse et ulcéreuse, dont le principal agent est le streptocoque sycosis folliculite staphylococcique suppurée et profonde de la barbe et de la moustache. – ephelis (d’après des dictionaires médicaux en anglais !) corte de tache de rousseur – cheloïs ( ?) aujourd’hui désigne une maladie de la vigne

Lorsqu’il fallut dîner dans cette auberge atroce, — 1880 (20)

Charles Monselet Poésies complêtes

Marivaux à la barrière

Lorsqu’il fallut dîner dans cette auberge atroce,
Le front de mon ami se rembrunit soudain,
On mit notre couvert dans le fond du jardin
Près d’un jeu de tonneau débloqué. Quelle noce!

Le potage manqua totalement d’attrait:
Un lac d’une blondeur terne. – Rempli d’alarmes,
Mon ami s’écria: « Quel bouillon! Il faudrait,
Pour lui percer les yeux un fameux maître d’armes!

Je ne l’écoutais pas; mon caprice suivait
La fillette au jupon rayé qui nous servait;
Opulente beauté, – seize ans, et du corsage! –

Et j’allais, répétant: « vois donc quels yeux, mon cher!  »
Lui, tout à son idée, et d’un accent amer:
 » Que n’a-t-elle jeté ses yeux dans le potage! »

Q62 – T15

Dans la bière disjointe un ver put se glisser, — 1878 (6)

P(aul) Darasse Laeta & moesta

Le ver

Dans la bière disjointe un ver put se glisser,
Et rampant sur le corps verdi de pourriture,
Il alla droit au cœur chercher sa nourriture :
Ce cœur était si sec qu’il dut y renoncer.

Camarade, lui dit un nécrophore immonde
Qui soupait tristement d’un reste de boyau,
Tu ne savais donc pas ce que fut dans le monde
Celui qui dort couché dans ce royal manteau ?

Cet homme a fait couler tant de sang et de larmes
Qu’on en aurait pu faire une mer, et ses armes
Jetaient au lieu de grain un cadavre au sillon :

La mort se reposait lui laissant la besogne ;
Car cet homme au cœur dur, c’était …. Napoléon !
Et le ver dégoûté quitta cette charogne.

Q62  T14  un ton trop rare pour parler de cet individu

Les traits heurtés, saillants, plutôt rudes que gros; — 1870 (2)

Charles LegrandLe Théâtre en sonnets

XXX –Taillade

Les traits heurtés, saillants, plutôt rudes que gros;
Les yeux fatigués, gris, enfoncés sous l’orbite
Cave – le débit sec, saccadé, qui s’irrite,
Très-nerveux, très-subit, très-chercheur et très-faux.

Usant du geste outré par amour du sublime,
Se tourmentant si fort d’étonner qu’il se perd;
Ridicule – là-même il mérite l’estime
Quelques éclairs heureux dans un ciel bien couvert.

Tout le déclamatoire et le pompeux, l’emphase
Le portent; il s’élève, – et le simple l’écrase.
Je le voudrais jouant quelque rôle effrayant,

Un Caliban, des fous, un monstre, un parricide,
Quelque chose inouï, de vraisemblance vide;
Malgré tout, un artiste étrange & saisissant.

Q62 – T15

Je passe chaque jour près de l’Assomption, — 1842 (2)

Alfred Philibert Les étincelles


Sonnet

Je passe chaque jour près de l’Assomption,
Et, chaque jour, à l’heure où, pour des funérailles,
Un drap noir à pleurs blancs en couvre les murailles,
Où quelque mort attend la bénédiction.

Toujours le même chiffre, et les mêmes couronnes;
Toujours mêmes discours, toujours même attirail;
Toujours de bruns cochers aux faces monotones
Traînant le même char vers le même portail.

O pompes du trépas, qu’on vous rend ridicules!
Faut-il que l’étiquette et que la vanité
Sur le bord de la tombe aient encor leurs scrupules?

Que tu vaux mieux cent fois, cloître des Camaldules*,
Où, se creusant leur fosse et dormant à côté,
Des moines sont toujours prêts pour l’éternité!

Q62 – T18 – quatrains abba  a’b’a’b’ mais (remarque gef: les rimes masculines du premier quatrain deviennent féminines au deuxième) (on pourrait noter: abba a*b*a*b*)

Membres d’un ordre religieux qui eut pour origine la fondation d’un ermitage à Camaldoli, dans la haute vallée de l’Arno, en Toscane, vers 1023, et qui constitue une des plus durables réalisations, avec la Chartreuse et Grandmont, du puissant courant érémitique dont les manifestations furent nombreuses au XIe etau XIIe siècle.

Quand la pêche a rempli sa hotte et ses filets, — 1832 (4)

Fulgence Girard Keepsake breton

Spleen

Quand la pêche a rempli sa hotte et ses filets,
Le mareyeur lassé regagne le rivage,
Fait sécher au soleil sa seine sur la plage,
Et puis, en attendant le soir, s’endort auprès.

Une fois qu’il arrive au terme de sa course,
Sans attendre en marchant la chute de la nuit,
Le voyageur s’arrête, et dans l’eau d’une source,
Délasse, en les lavant, ses pieds, … et tout est dit.

Je les imite moi: que m’importe si l’ombre
Sur ma tête inclinée étend son crêpe sombre,
Ou si dans son midi mon soleil luit aux cieux?

Comme eux, j’ai parcouru la traite de la vie,
J’ai souffert, j’ai pleuré: ma tâche est accomplie;
Mon salaire est gagné; je veux dormir comme eux.

Q62 – T 15

Les rimes du deuxième quatrain sont ici différentes de celles du premier, normalement embrassées: abba  a’b’a’b’ . Exemple de violation de ce que Gautier (par exemple) désigne comme ‘règle de la quadruple rime’ (chaque rime des quatrains doit y figurer quatre fois). Contrairement aux affirmations péremptoires de mr Graham Robb, ce n’est nullement Baudelaire qui a introduit le sonnet ‘libertin’ dans la poésie française du 19ème siècle

v.3 : ‘seine’ –Terme de pêche. Sorte de filet qu’on traîne sur les grèves. ; il a souvent un sac dans son milieu. (d’après HN : Héloïse Neefs : les disparus du Littré)