Archives de catégorie : Tercets

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire. — 1966 (8)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Sonnet attribué

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire.
Je m’en vais vers là où on va.
J’ai des soucis, comme la Loire,
J’ai des sourcils froncés très bas.

Je vais, triste et certain des fruits de ma Victoire.
Je suis Vainqueur. Je ne sais pas de Quoi.
Vous êtes de passage au plafond de ma Gloire.
Les Manèges de la Graisse ont fait de nous Trois.

Trois par un puis par quatre et l’air
Pousse dans son trombone une expression divine.
Ce qui est noir ici par là-bas d’illumine.

On dirait la clarté; on dirait cet œil clair,
Et ce Spectacle aussi que mon regard termine:
L’Ovale Vérolé du Visage d’Hermine.

Q32 – T29 – 2m : octo: v.2, v.3, v.4, v.9 ; déca:v.6

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre. — 1966 (7)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé

L’ère des cuisiniers

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre.
Je sais comme eux choisir la viande la moins tendre
et la laisser après molle comme un tampon.
Ce que moi je leur fais et de moi ce qu’ils font.

J’en ai la clef. La boîte et le couvercle! – Entendre
complète ce qui parle; on traverse le pont
comme le pont, sous lui, laisse un fleuve descendre;
On monte et l’escalier qui descendait répond.

L’étage, le palier, la famille, la pause,
l’effet qui met son pied dans la main de la cause,
l’enfant qui fait un ventre au couple désuni,

ce qu’il faut, c’est le bruit de ce muet qui cause;
c’est cette main de mort sur notre amour puni:
La nuit, pareille au jour et pareille à la nuit.

Q2 – T8

Je ne prends pas ce que je touche — 1966 (6)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Je ne prends pas ce que je touche

Je ne prends pas ce que je touche
Mais je suis touché par milliers.
Je parle sans manger. Ma bouche
a ses pélicans familiers.

Mon seul œil a les cils pliés.
J’ai deux soleils, mais pour qu’ils louchent:
l’un se lève, l’autre se couche:
je reste assis sur mes souliers.

Je ne sais pas ce que me veulent
père et mère, fille et filleule,
la pesanteur ni les besoins.

Je suis divisé par mes nombres
comme la nuit l’est par les ombres,
comme le dé l’est par ses points.

Q10 – T15 – octo

Demain, devant le premier pain, le premier lait, — 1966 (5)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Demain, devant le premier pain ….

Demain, devant le premier pain, le premier lait,
la première lumière et le premier moi-même,
devant ce qui n’est plus, devant ce que je sème,
comme la cause reste en face de l’effet,

Tu sortiras debout dans mes bras, mon problème,
la cause de ma mort, et je te referai,
Toi, soleil de mes yeux, miroir de mon reflet,
toi qui pèses du poids de tout ce qu’en moi j’aime,

Tu sortiras, tu resteras, comme le noir
reste au bord de ce blanc par quoi le rouge arrive.
Tu resteras le mieux, le pire, et ce qui prive
l’amour d’être l’amour, le matin d’être soir.

Tu resteras, tu reviendras, tu fermeras
le matin sur le soir et la mort sur les rats.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Plus que pour moi, la première ironie est là — 1966 (3)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Les peupliers

Plus que pour moi, la première ironie est là
pour le désespoir et pour une autre ironie
qui viendra la croiser et la finir, finie
comme la croix de l’os sur moi se finira:

Je finirai, fini et fermé comme un rat;
Tu te refermeras sur ma vie, et ma vie
sur toi se fermera et sur toi la Folie
abattra ses vautours et rabattra son drap.

Que serons-nous, moi-même et toi-même, étranglés?
Et que deviendrons-nous, nous la Terre, et les blés,
de ce noir, sauront-ils extraire la lumière?

Lumière! il faut pourtant soustraire à cette terre
un peu d’ombre, un peu de soleil, et par milliers
ravir la proie à l’ombre et l’ombre aux peupliers.

Q15 – T13

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître — 1966 (1)

Olivier LarrondeL’arbre à lettres

A ma plage

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître
Va léchant tes longs pieds en plage surhumaine.
La minuscule tête ouverte à la fenêtre,
Lui garde tout pour lui sauf des vagues amènes.

Il garde la distance, un monde à ses fenêtres,
Des madrépores morts sans tombeau que lui-même;
L’intérieure plaie des coraux se démène
Dans l’absence d’échos sous sa robe de prêtre.

S’en veut-il ignorer la douce pourriture
Qu’un coup d’air fait entrer sous de moins souples fronts,
Qu’un ciel compréhensif par ses ors les moins dures

Eût en douceur brûlé tel un baiser d’affront,
Qu’il vide ses bruits purs et garde son silence
Pour t’y garder de soi en toute vigilance.

Q9 – T23

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé, — 1964 (1)

Emile Roumer Rosaire (couronne de sonnets)

sonnet liminaire
Immaculée conception

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé,
Eve entre flore ingrat, caverne l’ours pour asile,
Flancs déchirés par enfantement main inhabile
A repousser la mort et serpent endiamé*

Lors Isaïe té dit, parole enflammé
Le Christ oun vierge t’a fe l’, cé fond même l’Evangile
De Pi à Jean XXIII – Min san t’a pi facile
Soti lan jardin clos ou lun tombeau fermé ?

La Genèse pas t’ manqué prédi gloire deuxième Eve
Et toute chrétiene connin la Vierge, à la relève
T’a crasé tête serpent pour trahison passé.

Lan salut genre humain Bon Dieu prend, bien suprême
Choisit ac dilection rameau tige a Jessé
Pour que fleur donnin fruit et rété fleur quand même !

Q15  T14  – banv – métrique irr.

Camarade Adamov, que nous avons changé — 1963 (8)

Henri Thomas Sous le lien du temps

L’heure nouvelle

Camarade Adamov, que nous avons changé
Depuis les jours et nuits de misère aux bordels,
Et les lueurs d’espoir, et ce matin glacé,
Noël ou Nouvel An, sur le pont Saint-Michel.

L’eau grise, les chalands immobiles, le gel,
Et cette brume familière à l’invité
De nulle part qui s’en retourne à son hôtel …
Rue Quincampoix les putains ont réveillonné.

Nous avons vu cela, du comptoir où s’assemblent
Les épaves très solitaires, bien qu’ensemble
Buvant le café noir de la vie inconnue.

Qu’est-ce que nous cherchions, quelle lettre de givre,
A déchiffrer sur le carreau désert des rues,
Quelle impossible et bouffonne raison de vivre?

Q11 – T14

Un pavillon dans un jardin à l’abandon, — 1963 (7)

Henri Thomas Sous le lien du temps

Les rêves de la fin

Un pavillon dans un jardin à l’abandon,
Je voudrais être fol et que l’on m’y laissât
Faire discrètement ce qui me semble bon,
Et que la mort m’y trouve absent de moi déjà.

Aussi brève la vie et d’aussi louche éclat
Que l’éclair blanchissant dans le carreau profond,
Moi, je lui tirerais l’infaillible harpon
Et je l’amènerais à la force du bras

Devant moi, sur mon seuil et dans le lit défait,
La vie, et je verrais son ventre stupéfait,
Son grouillement de feu, ses poils et ses replis,

Et je serais debout à côté de mon lit,
Survolant de très haut les flaques du rivage,
Distrait, sentant déjà venir une autre image.

Q10 – T13

Je sais bien quelques mots mais ne sais pas le sable — 1963 (6)

Jean QuevalLieux-dits


Si le poète écrit contre vents et marées

Je sais bien quelques mots mais ne sais pas le sable
Je ne sais pas le sable et je ne sais pas l’eau
Je ne sais pas le feu pourtant je fais ma fable
Je jette feu et flamme et souffle dans un seau

Ainsi passe le temps qui passerait quand même
Je siffle étant morose et pousse mon bétail
De l’oreille à l’oreille et dis c’est un poème
Je ne sais pas l’oiseau ni la clé d’un portail

Je ne sais pas le sable et je ne sais pas l’eau
Je prends n’importe quoi c’est là le matériau
Et puis dresse l’oreille et ce n’est que le vent

Je pourrai me plonger la tête dans le sable
Je n’y verrais pas plus ni saurai davantage
Puis j’écoute à nouveau serait-il toujours temps

Q59 – T15