Archives de catégorie : Tercets

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, – — 1837 (1)

Théodore Guiard Luccioles

Sonnet XV

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, –
– La lune se levait derrière les Alleux,
Dans un ciel embrumé comme le ciel d’Irlande,
Nous regardions flotter un voile nébuleux.

Les étoiles pour nous, mieux que pour un Lalande,
Sous leur capuce brun découvraient leurs yeux bleus,
Cependant que Phoebé de ses reflets huileux
Durcit le vert gazon de la déserte lande. –

Et tous deux, frère et soeur, nous étions là, suivant
Les grisâtres vapeurs, que dispersait le vent,
Ou le pâle rayon, qui sur l’herbe tremblotte;

Et nos yeux, s’égaraient dans les champs de l’éther,
Et tu rêvais … et moi, je pensais à Werther
Chargeant l’arme fatale et priant pour Charlotte.

Q9 – T15

Au nom de Jésus Christ et de la Vierge Sainte, — 1836 (13)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

Don Julien:

Au nom de Jésus Christ et de la Vierge Sainte,
Et de tous les élus, don Juan, le résempteur
De notre nièce Anna, fille du Commandeur,
Peut avoir sa statue dans cette auguste enceinte.

Elle sera de marbre et d’une seule teinte,
Elle aura douze pieds de toute sa hauteur,
Le costume de moine est surtout de rigueur,
D’un bandeau de cheveux sa tête sera ceinte.

Que le style soit grave et digne de ce lieu,
Que Juan ait dans ses mains la croix du fils de Dieu
Ou la tête de mort de Sainte Madeleine.

Voilà. Nous conseillons de plus à l’ouvrier
De se mettre en état de grâce, et de prier
Chaque fois qu’il aura besoin de prendre haleine.

Q15  T15

Avouez que c’était un magnifique enjeu : — 1836 (12)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

PREMIÈRE STATUE
Avouez que c’était un magnifique enjeu :
Anna contre don Juan, la partie était belle,
Et long-temps a penché pour l’archange rebelle.
Elle est gagnée enfin et tout retourne à Dieu

DEUXIÈME STATUE
L’Enfer pleure et gémit, le ciel est calme et bleu,
La terre se réveille, et la troupe fidèle
Chante son hosannah ! Satan, à tire d’aile,
Regagne tout confus ses royaumes de feu.

TROISIÈME STATUE
Comme il va se venger sur sa triste famille !
Comme il va séparer la mère de la fille,
Le frère de la sœur, la femme de l’époux !

QUATRIÈME STATUE
Que d’âmes vont se fondre à pleurs intarissables !
CINQUIÈME STATUE
Oui, le joueur qui perd rend les siens responsables.
SIXIÈME STATUE
Compagnes de Satan, trois fois malheur à vous !

Q15  T15

Don Juan ! don Juan ! fais trève à ta rébellion. — 1836 (11)

Blaze de Bury Le souper chez le commandeur (in Revue des deux mondes)

Chœur des statues

Don Juan ! don Juan ! fais trève à ta rébellion.
Prête-nous aujourd’hui, prêtes-nous assistance,
Imite ce pécheur qui dans sa pénitence
Rugissait nuit et jour comme fait le lion.

Par grâce, charge-toi de l’expiation,
Rends Anna, notre fille, à l’heureuse existence,
Et les anges du ciel viendront avec constance
Recueillir tous les pleurs de la rédemption.

Et lorsque le matin répandra ses rosées
De larmes que tes yeux la nuit auront versées,
Ils iront inonder les esprits malheureux ;

Et comme le soleil prend les eaux des fontaines
Pour arroser la fleur qui sèche dans la plaine,
Les archanges prendront tous les pleurs de tes yeux.

Q15  T15

Hier, la rue aux Ours me vit, après neuf heures, — 1836 (10)

Adolphe Rolland Feuilles mortes

XLV

Hier, la rue aux Ours me vit, après neuf heures,
Gravir avec lenteur son paisible sentier,
Et sur le seuil ami des antiques demeures,
Un ange souriant semblait me convier.

Et j’entendais sa voix me dire : « Ingrat, tu pleures,
Et caches ta paupière à qui veut l’essuyer.
Des lointaines clartés dédaigne les vains leurres,
Assois ta vie errante à son premier foyer »

Et cheminant toujours je vis la porte ouverte
De mon ancien logis, et sa pelouse verte,
Le peuplier, la vigne et les pots de jasmin.

Le passé me reprit à son charme ineffable,
Et mon regard rêveur rencontra sur le sable
Un rameau de vanille échappé de vos mains.

Q8  T15

Le souffle pur et doux de cette heure bénie, — 1836 (9)

Michel Pallas Intimités

Sonnet

Le souffle pur et doux de cette heure bénie,
Qui ferme la paupière et chasse l’insomnie :
L’haleine de la fleur au vent d’été, le soir,
Qui balance sa tête ainsi qu’un encensoir ;

De deux jeunes regards l’amoureuse harmonie :
Les deux ailes d’oiseau d’une bienfaisant Génie
Qui semble sur nos fronts dans nos rêves s’asseoir ;
Après de longs regrets les charmes du revoir :

Tout cela ne vaut point ce que sa main brûlante,
Un seul mot de sa voix si moëlleuse et si lente,
L’autre jour, par hasard, m’ont donné de bonheur ;

Sa touffe de cheveux, comme un sylphe qui joue,
En même temps aussi vint ombrager ma joue,
Et j’y sentis monter tout le sang de mon cœur.

Q1  T15

Quand l’espoir consolant redit au souvenir — 1836 (8)

– ? Essai poétique

Quand l’espoir consolant redit au souvenir
Des instans de douceur loin du fracas du monde,
Que l’écho du passé rend au cœur un soupir,
Celui de l’espérance …. ivresse alors profonde !

Comme le cœur ému savoure avec plaisir
Ce songe de l’erreur ! … à cette terre féconde*
Il redit les accens de son plaintif désir ;
Sur l’avenir qu’il goûte avec joie il se fonde.

Et son âme enivrée au songe du bonheur,
Satisfaite du moins dans une douce erreur,
Vit pour le souvenir, sinon pour l’espérance.

Du passé qui renaît, chimériques soutiens,
De vous, sans le savoir, nous faisons les vrais biens :
Ainsi l’illusion forme la jouissance.

Q8  T15

* Dans ce sonnet particulièrement tarte d’un auteur anonyme se trouve un des rares vers faux qu’il m’a été donné de rencontrer.

Une femme est un être à l’allure indécise — 1836 (7)

Paul Delasalle Pierre Gringoire

Sonnet

Une femme est un être à l’allure indécise
Qui passe et meurt souvent sans s’être dévoilé,
Comète aux longs cheveux dans un ciel étoilé,
Que la terre maudit, et qui la fertilise.

C’est, sur le trépied d’or où nous l’avons assise,
La vierge prophétesse au grand front désolé,
Dont on meurtrit la bouche avant qu’elle ait parlé,
Arrachant par lambeaux sa pensée incomprise.

C’est un divin martyr de croyance et d’amour,
Dont la venue enchante et qu’on adore un jour,
En jetant sous ses pieds les fleurs et l’herbe verte ;

Mais bientôt il se trouve un faux frère, un Judas,
Qui pour trente deniers trafique de sa perte
Et la cloue à sa croix en lui tendant les bras.

Q15  T15

Esprit parisien! – Démon du Bas-Empire, — 1836 (6)

Alfred de Vigny in Oeuvres poétiques (ed. pléiade)

Pour le bal de la Mi-Carême, au bénéfice des pauvres

Esprit parisien! – Démon du Bas-Empire,
Vieux Sophiste épuisé qui bois, toutes les nuits,
Comme un vin dont l’ivresse engourdit les ennuis,
Les gloires du matin, la meilleure et la pire;

Froid niveleur, moulant, aussitôt qu’il expire,
Le plâtre d’un grand homme ou bien d’un assassin,
Leur mesurant le crâne, et, dans leur vaste sein,
Poussant jusques au coeur ta lèvre de vampire;

Tu ris! – ce mois joyeux t’a jeté, trois par trois,
Des fronts guillotinés sur la place publique.
– Ce soir, fais le chrétien, dis, bien haut, que tu crois.

A genoux! Roi du mal, comme les autres Rois,
Pour que la charité, de son doigt Angélique,
Sur ton front de Damné fasse un signe de croix.

Q45 – T17 – Trois rimes distinctes dans les quatrains: abba  ab’b’a.