Archives de catégorie : T13 – cc dd ee

Ils sont si monstrueux ces démons de bataille, — 1916 (1)

Jean Aicard in Les sonnets de la guerre (ed. Marie-Rose Michaud- Lapeyre)

Allemagne au-dessus de tout

Ils sont si monstrueux ces démons de bataille,
Leur orgueil dans la honte est si démesuré,
Leur génie criminel est si bien démontré,
Que l’on ne trouve pas d’épithète à leur taille!

Tous les noms flétrisseurs vont bien, vaille que vaille,
Au uhlan le plus vil comme à son chef titré,
Mais on n’a pas encor de terme consacré,
Qui marque au front ce peuple affreux, on y travaille.

Filou, voleur, bandit, lâche, assassin hideux,
Pour juger le soldat du fier Guillaume II,
C’est pauvre et l’on n’y voit que pâles synonymes,

Eh bien, pour évoquer l’horreur des plus grands crimes,
Ne cherchez pas très loin un mot plus infamant
Que celui-ci, le plus simple: « crime allemand ».

Q15 – T13

Sur un soir transparent comme une porcelaine — 1914 (5)

Vincent Muselli Les travaux et les jeux

Paysage

Sur un soir transparent comme une porcelaine
L’artiste a dessiné cigognes et pigeons;
Entre quatre arbres droits il a tendu la plaine,
Et dans l’émail des lacs incrusté l’or des joncs.

Des roseaux minces et frêles: un scarabée
Y grimpe; un bourdon ronge une feuille à l’avant,
Et, fier du fin contour qu’accuse encor le vent,
Persiste un oiseau bleu sur la tige courbé.

La nuit tombe: sa cendre a défait l’Orient;
Elle remplit l’eau claire et l’azur souriant,
Et les formes du jour succombent une à une.

Mais; blanche, illuminant l’espace essentiel,
Au-dessus des marais s’épanouit la lune
Comme un nénuphar peint sur l’écran noir du ciel.

Q60 – T14

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement — 1913 (14)

Charles d’Olonne Nouvelles heures chantantes

L’alexandrin du sonnet

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement
Du Pérou, du Far-West ou du sud de l’Afrique,
Le lourd alexandrin, d’un rythme magnifique,
Apporte des lointains un royal chargement.

Ce trésor, ce n’est pas les six pieds seulement,
La césure correcte et la rime classique;
C’est que chaque syllabe ait un bruit de musique,
Le mot une couleur, la phrase un mouvement.

Quand la fin d’un sonnet régulier est bien faite,
L’alexandrin vibrant ralentit, puis s’arrête.
Ainsi suspend ses feux, pavoise et rentre au port

Le navire vainqueur, tandis que sur le bord
Du môle qui s’allonge en un grand promontaire
La foule acclame en lui la puissance et la gloire.

Q15 – T13 – s sur s

L’ennui tombe sur moi comme un lourd crépuscule. — 1911 (9)

Léonce Cubelier de Bagnac La naissance du verbe

La lampe

L’ennui tombe sur moi comme un lourd crépuscule.
Ma chambre est pleine d’ombre & mon cœur est désert.
Espoirs, regrets, désirs, tout est mort ! et dans l’air,
Je ne sais quoi de morne et de glacé circule.

Mon âme, où tout le deuil des choses s’accumule,
Tremble, devant le soir, d’un grand frisson amer.
L’horizon a sombré dans la brume d’hiver …
On dirait que la vie, incertaine, recule.

Je vais mettre très haut ma lampe & ma pensée,
Pour que, si quelque ami, passant sur la chaussée,
Vers mon humble logis vient à lever les yeux ;

Ou bien, si quelque rêve égaré dans les cieux
Cherche, pour s’y poser, un âme triste et tendre,
L’ami songe à monter, et le rêve à descendre.

Mon front trop lourd s’incline – et je suis las d’attendre.
Voici que le jour point, ma lampe va mourir …
Ils ne sont pas venus, ceux qui devaient venir.

Q15  T13  + eff  17v

Tes yeux vagues se font, à présent, si lointaine — 1911 (8)

Léonce Cubelier de Bagnac La naissance du verbe

Tes yeux vagues

Tes yeux vagues se font, à présent, si lointaine
Que, pèlerin errant aux routes du bonheur,
Mon désir amoureux va mourir de langueur,
Avant d’atteindre l’ombre à la claire fontaine

De ta bouche, oasis de baisers déjà pleine …
Pourquoi cet air indifférent, cette pâleur …
Est-ce dédain, colère ou caprice boudeur ?
Reviens à toi. Que t’ai-je fait ? J’ai de la peine !

Tu pleures ? J’ai blessé, peut-être, sans savoir,
Quelque rose d’extase ou quelque lys d’espoir
Nouvellement éclos au jardin de ton âme ? …

– Ami, l’ombre est plus lourde où se meurt une flamme.
Mon amour va s’éteindre. Il fait noir dans mon cœur :
Et je suis une enfant à qui la Nuit fait peur …

Q15  T13

Le soleil, par degrés, de la brume émergeant, — 1901 (8)

Albert Samain Le chariot d’or

Matin sur le port

Le soleil, par degrés, de la brume émergeant,
Dore la vieille tour et le haut des mâtures;
Et, jetant son filet sur les vagues obscures,
Fait scintiller la mer dans ses mailles d’argent.

Voici surgir, touchés par un rayon lointain,
Des portiques de marbre et des architectures;
Et le vent épicé fait rêver d’aventures
Dans la clarté limpide et fine du matin.

L’étendard déployé sur l’Arsenal palpite;
Et de petits enfants, qu’un jeu frivole excite,
Font sonner en courant les anneaux du vieux mur.

Pendant qu’un beau vaisseau, peint de pourpre et d’azur,
Bondissant et léger sur l’écume sonore,
S’en va, tout frissonnant de voiles, dans l’aurore.

Q49 – T13

Le ‘dernier cri » lancé dans la haute élégance, — 1901 (7)

Eléonore de MérinvalHontes humaines – sonnets satiriques et réalistes –

Les Lions

Le ‘dernier cri » lancé dans la haute élégance,
Les Arts, les écrits neufs, la fourbe ‘manigance’
Que crée un ‘grand courant’ politique et mondain
Est l’œuvre des Lions au pointilleux dédain.

Ils se montrent grassets, superbes d’arrogance;
Portent de ‘l’inédit’ avec extravagance;
Vivent intransigeants sur le choix des parfums,
Des gants et des chapeaux, des souliers peu communs.

Les créateurs du goût, ‘faiseurs’ d’arrêts de mode,
De morale égoïste et critique du code
Retardent le progrès par leurs pensers trop vieux.

Il faut avoir pitié des lions ‘camaïeux’,
Légers, changeants, vantards, intolérants, sceptiques,
Aux accents composés, futiles, ‘drolatiques’.
envoi
« Ces gais coqs du bel air’, du bon ton, du grand ‘chic’,
Accueilleurs ‘du toc neuf’, du rare et vilain ‘tic’
Amincis, névrosés, et « phosphorescents », hâles, `
Cheminent incompris, méconnus pour beaux pâles.

Q1  T13+ ffgg – Tous les sonnets du livre sont, ainsi, suivis d’un ‘envoi’, quatrain à rimes plates.

Combien le créateur est bon! Nous dit en chaire — 1897 (15)

H. Raphaël Lejoindre Versifications nouvelles

Sonnet

Combien le créateur est bon! Nous dit en chaire
Le théologien; l’impie ose au-dessous
Objecter qu’il permet mille maux et la guerre,
Que s’il créa les fleurs, il créa les jaloux,

Et que pour chaque sainte il créa bien des fous,
Des brutaux, des tueurs, des tigres et des loups,
Et, qu’outre les volcans, les trombes, le tonnerre
Trop d’animaux cruels désolent notre terre

Pour qu’on soit confortable, à moins d’avoir la foi
Qui peut tout endurer sans demander pourquoi;
Mais cette vertu-là nous est bien difficile:

Toutefois espérons, malgré l’esprit hostile,
Que pour le juste enfin il est un paradis,
Et que l’enfer attend sûrement les maudits.

Q12 – T13

Il faut que vous ayez bien regardé les cieux — 1896 (15)

Lafon in  L’année des poètes

L’aveu

Il faut que vous ayez bien regardé les cieux
Pour que leur tendre azur ait déteint dans vos yeux ;
Il faut que vous ayez bien embrassé des roses
Pour qu’elles aient saigné sur vos lèvres mi-closes.

Combien de blonds genêts, quand vous passiez près d’eux,
On offert leur pollen pour dorer vos cheveux,
Et combien de flocons de vierges avalanches
Ont doucement neigé sur vos épaules blanches ?

Les ruisseaux dont l’avril emmurmure les bois
Ont donné leurs appels de rêve à votre voix ;
Jaloux, les rossignols en gémissent encore.

Le ciel a pris pour vous des teintes à l’Aurore …
Mais moi, que le destin a fait naître rêveur,
Je ne puis vous offrir qu’une chose, mon cœur !

Q19  T13