Archives de catégorie : T13 – cc dd ee

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne, — 1894 (13)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A ***

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne,
Très sobre de paroles dures vraiment
Et votre verbe est un pur liniment
Tout en voyelles sans la moindre consonne.

C’est la cause pourquoi je vous pardonne
Quelque vivacité dite éventuellement
Et sûrement dans le juste moment
Où je la mérite, et parlant à ma personne.

Car vous êtes franche et ce m’est doux,
Dans ce monde vil et surtout jaloux
De ramper autour de quelqu’un pour le tromper

Et c’est très bien ça, ma si chère amie,
Et je vous en estime (et je ne mens mie)
Et je t’en aime mieux encore de ne pas me tromper.

Q15 – T15 – m.irr – même mot à la rime aux vers 11 et 14

Pourvu que tu me sois docile et ponctuel, — 1893 (7)

Romain Coolus in Revue Blanche

V
Le précédent sonnet agit comme un révulsif. L’Aimée ne confisque plus ses adorables  pieds. Elle a de vagues consentements disséminés un peu partout sur elle. Mais ses yeux sont significatifs et imposent de strictes conditions, les ordinaires. Ce qu’ils ukasent:

Pourvu que tu me sois docile et ponctuel,
Qu’à m’aimer ton coeur neuf dûment s’hypertrophie,
Que ton verbe se mielle et se saccharifie
A déchiffrer près moi l’amoureux rituel,

Pourvu que tu me sois mes bonheurs virtuels
Et qu’à mon plaisir bon ton orgueil sacrifie
Sans regrets, vouloirs, rêves et philosophie
Et lise l’univers en mon oeil textuel,

Pourvu qu’à mes désirs ton âme s’asservisse,
Bêle mon idéal ou roucoule mon vice
Et cible son essor au creux de mon nombril,

Je te compenserai ces ennuis, bon viril:
Avant d’aller ronfler au terreau du Lachaise,
Tu pourras saccager mon corps tout à ton aise.

Q15 – T13

Rasant les murs du port, passent trois matelots. — 1889 (10)

Marcel Schwob Oeuvres de Jeunesse

Singeries, ***

Rasant les murs du port, passent trois matelots.
Le loustic de la bande a dans une bataille
Attrapé sur le nez une profonde entaille,
Il rit et bat à coups de poings les volets clos.

Sous l’obscure lueur sanglante des falots,
Une hôtesse ventrue à mine de futaille
Leur fait signe et tous trois, la prenant par la taille,
Se poussent au comptoir derrière les hublots.

Les mathurins béats, accoudés sur la table,
Avalent éblouis un velours délectable
Versé par le patron dans leurs quarts de fer-blanc.

A côté d’un gabier qui va dégringolant,
De l’escalier graisseux et vermoulu du bouge
Une fille en cheveux descend, la trogne rouge.

Q15 – T13

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir, — 1888 (31)

Alfred Jarry Ontogénie

Misère de l’homme, I

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir,
Asservissant le sol aux moissons réfractaire,
Diriger la charrue et cultiver la terre,
Sinon, le pain lui manque, et l’homme doit mourir.

Il ensemence un champ, et le blé salutaire
Germe dans les sillons qu’il commence à couvrir.
Mais le soleil ardent fane et fait se flétrir
Chaque épi mûrissant, qui se courbe et s’altère.

Ou la grêle s’abat et fauche la moisson;
Ou la gelée arrive, et suspend un glaçon
A chaque grain de blé qui tremble au bout du chaume.

Tout est perdu, tout est anéanti. Mais l’homme,
S’il ne meurt de la faim, trouve la mort auprès
Des fauves monstrueux qui hantent les forêts.

Q16 – T13

Le noir effondrement des ténèbres premières — 1888 (19)

Charles CrosLe Collier de griffes

(L’évocation des endormis)

Il faisait chaud à tomber, dans le salon.  Au milieu, devant la table et sous la lampe, une petite blonde contrefaite et phtysique écrit au crayon sur un cahier. Un monsieur, cheveux poivre et sel, rouge sur sa cravate blonde, tête à passions (pas en faire, mais en avoir – de mauvaises), se tient derrière le frêle médium. Il annonce:
– Nous commençons par m. X. Marmier, l’illustre voyageur, membre de l’Institut, qui se couche de bonne heure!
– Un tas de gens extatiques tendent le cou pour voir ce que la blonde va écrire.
– La blonde se tortille, casse trois crayons  et écrit …

………..

« Nous allons terminer la séance par le bouquet habituel: M. Victor Hugo!
La blonde pâlit et écrivit, avec la rapidité de l’éclair, ceci:


La chute

Le noir effondrement des ténèbres premières
S’accomplit. Et Satan, amoureux des lumières
Du punch, du vice impur et de l’orgie en rut,
Tomba du haut du ciel comme tombe un roc brut.

Il tomba si longtemps que les âges immenses
Sonnèrent tour à tour aux cloches des démences
Que Dieu mit çà et là dans l’espace sans bord.
Et plus bas que la vie, et plus bas que la mort,

Plus bas que le néant l’inaccessible cible,
Et plus bas que l’absurde et que l’inadmissible
Il tomba, ricanant de n’aller pas plus bas.

Il disait: C’est la fin des glorieux combats;
Il faut être vainqueur ou vaincu, mais bien l’être;
L’esprit veut me tuer? Je vivrai par la lettre!

Q55 – T13 – Entièrement en couplets plats.

C’est un écran jaune pipi — 1886 (7)

Charles VignierCenton

Ecran

C’est un écran jaune pipi
Où dans le ciel de pure olive
Le soleil qui fort l’enjolive
Arrondit sa pomme d’api.

Sur un éléphant archi-rose
Juché, le mandarin poussah
Du bout de son rotin poussa
Tel rideau tissu d’argyrose.

Jonque frêle d’où quelques fleurs
Piquent des yeux écornifleurs
Vers le très cossu dignitaire.

Le thé Sou-chong jonche la terre,
Mais les cochons bleus peu douillets
Mangent des enfants grassouillets.

Q63 – T13 – octo

Cette fois, je ne puis vous écouter sans rire. — 1883 (23)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Une fille à un vieux

Cette fois, je ne puis vous écouter sans rire.
Continuez, très cher, vous avez de l’esprit
Qui dans votre cerveau de soixante ans fleurit
Comme au sein d’un poète éclorait une lyre.

Vous m’appelez sirène, et vous osez me dire,
Vous, vieillard impuissant, usé, blasé, flétri,
Fruit rongé par les vers ainsi qu’un fruit pourri,
Que pour mes yeux, ce qui vous sert de cœur soupire.

C’est vraiment à se tordre ! et vous pensez que moi,
Jeune, jolie encor, dans Paris faisant loi,
Ayant toutes mes dents pour croquer les fortunes,

J’irai vous adorer …. – Ah ! tais-toi donc, mon vieux,
Si je couche avec toi, ce n’est pas pour des prunes,
C’est que tu passes pour un miché sérieux.

Q45 ? (‘esprit’ ne rime pas avec ‘flétri’) T14

Le homard, compliqué comme une cathédrale, — 1880 (21)

Charles Monselet Poésies complêtes

Le homard

Le homard, compliqué comme une cathédrale,
Sur un lit de persil, monstre rouge, apparaît.
En le voyant ainsi, Janin triompherait,
Car il a revêtu la pourpre cardinale!

Et c’est le Borgia des mers. Il a l’attrait
Des scélérats déçus dans leur ruse infernale.
Héraut des grands festins, avec pompe il étale
Son cadavre éventré dans l’office en secret.

Jamais plus fier vaincu n’eut plus beau flanc d’albâtre!
Décoratif et noble, il git sur un théâtre.
Jusques après la mort refusant d’abdiquer,

Il se cramponne aux doigts qui veulent l’attaquer.
Et si quelque imprudent  cherche à briser sa pince:
 » Prends garde! lui dit-il, je suis encore un prince! »

Q16 – T13

Dans le bois mystérieux que le doux zéphyr morcelle, — 1880 (16)

Narzale Jobert Klimax

XV ter
Césure après la 7ème syllabe
La tourterelle

Dans le bois mystérieux que le doux zéphyr morcelle,
En suivant les verts sentiers parsemés d’odorantes fleurs,
Vous plaît-il d’ouïr le chant, le chant tout composé de pleurs
Qu’au fond du fourré voisin roucoule une humble tourterelle?

Peut-être m’a-t-on ravi mon cher compagnon, vous dit-elle;
Qu’est-il devenu? Je crains, je crains pour lui quelque malheur.
S’il était captif, bientôt je mourrais, sentant ses douleurs;
Mais il reviendra, j’y compte, à notre nid toujours fidèle.

Rêve trompeur! Le jour passe, et nul retour dans le bosquet,
La tourterelle au taillis glisse de bouquet en bouquet,
Appelant de cris plaintif l’Achate de la solitude.

Sur la branche aux yeux cachée, objet de leur sollicitude,
Las! Nul gosier ne répond … les oiseleurs trouvent, un soir,
La pauvrette infortunée expirante – de désespoir.

Q15 – T13 – 15s (7+8) il manque une syllabe au vers 1.

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues — 1880 (15)

Narzale Jobert Klimax

XIV ter
Césure après la 8ème syllabe
Les grues

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues
Qui vont traversant le brouillard en un tige acéré
Afin de mieux pertuiser l’air qui n’est plus azuré
Car les lumières du soleil pour lors ont disparu.

Elles palpitent au-dessus des toits, et de nos rues
Et poussent un long cri qui semble un appel timoré
A leurs compagnons dont le vol se serait arriéré.
Si quelqu’une allait faire brèche en leurs lignes si drues! …

Et cette infortune survient, hélas, plus d’une fois.
Bien souvent un chasseur rodant dans les champs, dans les bois,
Elève son arme, un coup part, et tombe une émigrante.

Soudain glisse parmi les rangs un frisson d’épouvante …
Abandonnez, ô villageois, ce trop barbare jeu,
Et laisser en paix les oiseaux gagner le ciel bleu

Q15 – T13 – 14s (8+6) (HN) pertuiser: percer (terme vieilli)