Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Ce torse debout n’ose encore — 1922 (4)

Jean Cocteau Vocabulaire

Sonnet de la baigneuse

Ce torse debout n’ose encore
Etre, nu, ce dont il a l’air,
A savoir le haut d’un Centaure
Dont la croupe serait la mer.

D’une rose où cesse la chair
Que quelque frisure décore,
Commence le pelage vert;
Mais un même sang les colore.

Pauvre fille des demi-dieux,
Combien Vous aimeriez mieux
Pour une baigneuse être prise

Par trop, feignant d’avoir quitté
Notre terre et votre chemise,
Infidèle à l’Antiquité.

Q11 – T14 – octo

Dures grenades entr’ouvertes — 1922 (3)

Paul ValéryCharmes

Les grenades

Dures grenades entr’ouvertes
Cédant à l’excès de vos grains,
Je crois voir des fronts souverains
Eclatés de leurs découvertes!

Si le soleil par vous subis,
O grenades entre-bâillées,
Vous ont fait d’orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eus
De sa secrète architecture.

Q63 – T14 – octo

Parmi les brumes des lointains — 1922 (1)

Jean RichepinLes glas

Sonnet boustrophédon

Parmi les brumes des lointains
Vient de refleurir une flore
Multiforme et multicolore,
Aux tons naissants, peut-être éteints.

En sons d’angélus argentins
Est-ce que l’on chante, ou s’éplore?
Est-ce cette âme près d’éclore,
Celle des soirs ou des matins?

La nuit fonce et le jour éclaire
Ce doux instant crépusculaire
Qui n’est pas la nuit, ni le jour,

Et dont la splendeur vague et brève
Est pourtant l’éternel séjour
Où se plaît le mieux notre rêve;

Au papillon de notre rêve
Nul jardin n’est un bon séjour
Que celui dont la rose est brève.

Il faut à son amour d’un jour
La lumière crépusculaire
Douce, et qui pas trop n’éclaire. ?

Sinon, les flèches des matins
Le percent quand il vient d’éclore,
Et son glas dans nos cœurs s’éplore
En rosée aux pleurs argentins;

Car voici qu’à nos yeux éteints
Meurt son essor multicolore
Tandis que se fane la flore
Fleurie aux brumes des lointains.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc abba abba – octo – Palindromique par les rimes (et parfois le vers entier) – banv

Ouvre ton kimono parfumé d’ambre doux — 1921 (14)

Maurice Dekobra Strophes libertines du chevalier Naja ((d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)


Hors-d’œuvre

Ouvre ton kimono parfumé d’ambre doux
Et laisse-moi toûcher ta toison majuscule.
Mes doigt souples et vifs s’y donnent rendez-vous
Avant que midi sonne à ta chaste pendule.

Ils sauront, préparant le champ clos des ébats
Que nous prendrons ensemble au creux du lit tiède,
Et s’ils défont les nœuds qui retiennent tes bas,
C’est pour mieux préciser mon désir capripède.

Que ta cuisse s’écarte en accent circonflexe
Pour me faire entrevoir la lunule du sexe,
Parenthèse d’amour sous le point du nombril.

Déjà ta gorge sèche a des hoquets lubriques,
Et tes bras vont se tordre, ainsi que sur un gril,
Dans l’imminent espoir des culbutes bibliques.

Q59  T14

Jeune fille élevée au Couvent des Oiseaux, — 1921 (13)

Maurice Dekobra Strophes libertines du chevalier Naja ((d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)

Demi-Vierge

Jeune fille élevée au Couvent des Oiseaux,
Viens chez moi me montrer ton audace timide,
Ton vice qui s’observe et tes actes que guide
La crainte de froisser le pli de ton manteau.

On peut, en écartant avec un geste lent
La chaste jarretelle au seuil de la chemise,
Livrer la fleur cachée à la tendre expertise
D’un amateur qui sait tous les rites galants.

A quoi bon exiger le saut du Rubicon ?
Pourquoi prendre la rose au devant du balcon,
Quand l’autre, plus petite, a sa corolle ouverte ?

Cache donc simplement ton minois dans tes mains,
Tandis que ton séant s’offre à ma tige experte
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.

Q63  T14

Le ballon bleu de la pendule — 1921 (9)

La vie des lettres et des arts

André Breton

Titre

Le ballon bleu de la pendule
Et les petits nids des manchons
C’est là-dessus que nous couchons
Notre matin est incrédule.

A l’écureuil fou qui recule
La hampe offre ses cabochons
De faux rubis et nous trichons
Pour passer l’eau quand elle ondule

Les comédiens du bosquet
Sauvent le puits où l’on vaquait
A ses conquêtes en musique

Un évêque éteint nommé Jean
Ramène sa chape de brique
Sur le grand espace changeant

Q15  T14  –  banv – octo

Banvilien de sructure (ce que ne sont pas ceux des deux acolytes) le sonnet de Breton n’est pas régulier en ses mots-rimes : « jean / changeant » !

Une enseigne de mauvais lieu — 1921 (7)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

Une enseigne de mauvais lieu
Numéro sur une lanterne
Dans un bar avenue des Ternes
Prête aux erreurs sur le milieu.

C’est une erreur sur la personne
Le patron qui est de Nevers
S’enthousiasme sur ce vers
 » Qui reste en arrière? Personne!  »

Lorsque l’on veut le raisonner
Il se sauve dans son métier
Je trouve que ça n’est pas bête.

Mais je trouve surtout moral
Que pour aimer les faux poètes
On s’en cache comme d’un mal.

Q63 – T14  octo

Dans les Cités à l’air brûlant — 1921 (5)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

Périples et cie
‘ Au seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble »
Mallarmé

Dans les Cités à l’air brûlant
(Oporto, Palos ou Lisbonne)
De vieux messieurs chargés d’automne
Etablissent des portulans.

Au Cap de l’Espérance-Bonne
Vasco nous montre ses talents
Pour ce qui est de Magellan,
Je ne sais pas ce qu’il mitonne.

Les braves bougres n’ont pas peur
D’affronter l’océan hurleur
Sur l’aléa des caravelles,

Car le Génois si mal coté
Découvrit des terres nouvelles
Pour s’être trompé de côté.

Q16 – T14 – octo

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon — 1921 (4)

Alfred Jarry in Le Disque vert

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fleurie, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzain: il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle;
Pour chacun de ses pas son orgueil patagon
Lui taille au creux du sable une creuse pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraiturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, le tour Eiffel.

Q8 – T14

La danseuse avec art multipliant l’espace — 1921 (3)

Charles Morice Le rideau de pourpre

La Danseuse

La danseuse avec art multipliant l’espace
Tandis que l’Ange au ciel chante d’éternité,
Je me sacre le roi d’un monde illimité
De par une, aile et gaze, unique et double grâce.

C’est mon rêve qu’on joue au Théâtre Enchanté
Du ciel et de la mer, des choses et des races!
C’est mon âme, la voix divine et la beauté
Humaine, c’est mon âme et qui reste et qui passe!

Mais, bien qu’au bout d’un acte à peine, blanc et bleu,
L’héroïne, déjà de l’illusoire lieu
Lasse, dans l’infini, que le pli de ses voiles

Désigne et que son jeu de pas nous révéla,
A hâte d’être ainsi que les autres étoiles,
Hors du temps aboli d’un bond, de l’au-delà.

Q17 – T14