Archives de catégorie : T15 – ccd eed

O crapaud, que ta nuit est belle — 1904 (1)

Léon Deubel Vers de jeunesse

O crapaud, que ta nuit est belle
Par ton art sobre et trémébond,
Et comme tu manquerais à elle
Rêveur, proscrit et vagabond!

Lazzaron des Naples lunaires,
Christ des infiniment petits,
Morne Caïn des accroupis
Chassé des marges de lumière,

Affirme ta douceur têtue
D’être angoissé qui s’évertue
Derrière un Nirvanah profond;

Moi, je m’endors à ton bruit sec,
L’âme grise, la pipe au bec,
Et le pâtis jusqu’au menton.

Q59 – T15 – octo

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe — 1902 (14)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

III

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe
Se dresse au fond du parc, proche le boulingrin.
Quatre saules, courbant leur vieux torse chagrin,
S’inclinent, courtisans pleureurs, quand le soir tombe.

La tour du colombier domine, où la colombe
Et le ramier s’en vont se gaver de bon grain.
Du village lointain, la chanson d’un crincrin
Soupire, et rit, et crie, et nasille, et succombe.

Vêtu d’ombre, pensif, monsieur l’abbé Griseul
Auprès du monument vient s’agenouiller seul.
«  La marquise, ayant fait son sourire à saint Pierre,

Est au ciel ! … » se dit-il. Mais soudain il pâlit :
Lui rappellant les deux colombes du grand lit,
L’oiseau du Saint-Esprit est sculpté dans la pierre !

Q15  T15

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus — 1902 (13)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

II

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus
Qu’un cadavre fluet que le froid violace.
L’abbé Griseul (il fut beau comme Lovelace)
Marmonne au pied du lit des rythmes superflus.

Ils se sont adorés à quinze ans révolus ;
Ensemble on les surprit, lui timide, elle lasse,
Ce qui divertit fort parmi la populace
Filles de cabarets et bourgeois goguelus.

Ce souvenir, qu’il veut rejeter en arrière,
Trouble perversement l’abbé dans sa prière.
Sur le pastel il voit les lèvres de jadis ;

Il baisse le regard sous l’éclair des prunelles,
Et craignant pour tous deux les flammes éternelles,
Mêle un confiteor à son De Profundis.

Q15  T15  goguelu (TLF) Pop., vieilli. Synon. de vaniteux, présomptueux

Bon! l’ami Raynaud m’accuse — 1902 (9)

F.A CazalsLe jardin des ronces

Vers de Bohème

Bon! l’ami Raynaud m’accuse
D’avoir un poil dans la main…
Comment trouve-tu, ma Muse
Cette pierre en mon jardin?

Est-ce à dire, d’aventure,
Qu’un poil serait tout mon bien?
Toi, qui connais ma nature,
Réponds-lui qu’il n’en est rien.

Qu’en Bohème je travaille,
Que je raisonne, rimaille
Sans rimes et sans raisons,

Soit! Mais lorsque je m’amuse
Avec toi, petite Muse,
Qu’ai-je dans la main? Gazons …

Q38 – T15 – 7s la rime ‘a’ : use – la rime a’ : ure

Sous les terrasses du Royal défilent les goums — 1902 (6)

Henri Jean-Marie LevetCartes Postales

Algérie – Biskra
A Henry de Bruchard

Sous les terrasses du Royal défilent les goums
Qui doivent prendre part à la fantasia:
Sur son fier cheval qu’agace le bruit des zornas,
On admire la prestance du Caïd de Touggourth …

Au petit café maure où chantonne le goumbre
Monsieur Cahen d’Anvers demande un cahouha:
R.S. Hitchens cause à la belle Messaouda,
Dont les lèvres ont la saveur du rhât-loukoum …

Le soleil, des palmiers, coule d’un flot nombreux
Sur les épaules des phtisiques radieux;
La baronne Traurig achète un collier d’ambre;

La comtesse de Pienne, née de Mac-Mahon
Se promène sur le boulevard Mac-Mahon …
– « Hein! Quel beau temps! se croirait-on à fin décembre?  »

Q15 – T15 – m.irr  – Mètre désinvolte

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux, — 1902 (4)

Albert MératVers oubliés

A Miss Léona Dare, acrobate

Jeune, le sein parfait et les muscles nerveux,
Dans des jeux inouïs d’effrayante bascule,
Elle est comme Guzman qui jamais ne recule,
Et, demeurant coquette arrange ses cheveux!

Vers elle, dans les airs, pour élever ses vœux,
Il faudrait être au moins demi-dieu comme Hercule.
Tout autre amour serait chétif et ridicule.
On en rirait encor chez nos petits-neveux.

Tant de grâce adorable à tant de force unie
A changé simplement les lois de l’harmonie.
La grâce les plaçait dans l’immobilité.

Miss Léona, ce rêve aux postures étranges,
Rappelant un autre art et la chute des Anges ,
Même la tête en bas, atteste la Beauté.

Q15 – T15

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame, — 1902 (1)

– revue Le Sonnettiste (Louis Le Roy)

Un Sonnet

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
‘Madame’, heureusement, rime avec ‘âme’ et ‘flamme’,
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second. Le second je l’entame
Et prends en l’entamant un air tout guilleret;
Car ne m’étant encor point servi du mot ‘âme’,
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime ou je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé.

Q8 – T15  – s sur s

Un nuage a passé sur votre ciel, Madame, — 1901 (14)

Guy de Maupassant in  Annales politiques et littéraires

Sonnet

Un nuage a passé sur votre ciel, Madame,
Cachant l’astre éclatant qu’on nomme l’Avenir,
La douleur a jeté son crêpe sur votre âme
Et vous ne vivez plus que dans un souvenir.

Tout votre espoir s’éteint comme meurt une flamme,
Aucun lien parmi nous ne vous peut retenir,
Vous souffrez et pleurez, et votre coeur réclame
Le grand repos des morts qui ne doit pas finir.

Mais songez que toujours, quand le malheur nous ploie,
Aux coeurs les plus meurtris Dieu garde un peu de joie
Comme un peu de soleil en un ciel obscurci.

Et que de ce tourment qui ronge notre vie,
Madame, si demain vous nous étiez ravie,
Bien d’autres souffriraient qui vous aiment aussi.

Q8  T15

Au crépuscule doux, une feuille d’automne, — 1901 (10)

Jules Supervielle Brumes du passé

Désespoir

Au crépuscule doux, une feuille d’automne,
Devant l’hiver qui vient se lamente et frissonne,
Mais avant de mourir, dans l’horizon vermeil,
Elle regarde au loin la trace du soleil.

Elle pense aux beaux jours, elle songe au réveil
Des feuilles au Printemps quand le soleil rayonne,
Elle est triste d’entrer dans l’éternel sommeil
Et de sentir pleurer l’arbre qu’elle abandonne.

Mais avant de tomber tristement sur la terre,
Elle baise longtemps la branche, puis elle erre
Heureuse dans la mort d’emporter un baiser.

Et moi je suis semblable à la feuille d’Automne,
Mais avant de mourir je tremble et je frissonne,
Car je ne trouve pas de lèvres à baiser …

Q5 – T15