Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres, — 1894 (17)

Revue de l’Est

Deux maîtresses en une

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres,
Où transparaît l’horreur d’un enténèbrement,
Je trace tes contours sur les célestes plâtres
Qui tapissent le bleu morne du firmament !

Sur la palette d’or des lunes idolâtres,
J’étale la couleur de ton rose piquant,
Et le halo des nuits vient ceindre tes albâtres
De ton flanc callipyge, où clame mon tourment !

Alors tu te fais chair, chair de jeune maitresse,
Des hurlantes amours recélant la caresse,
Dans l’ondulation d’un frêle corps d’enfant!

Tes reins ont des serpents les plis noueux et lisses,
Tes yeux ont les éclairs de leurs yeux, et tes cuisses
L’élastique rondeur des trompes d’éléphant !

(Louis Baboulet)

Q8  T15

Il n’existe que pour la mort : — 1894 (16)

Maurice Rollinat in L’Artiste

L’atome

Il n’existe que pour la mort :
Entier, chacun de nous y sombre.
Pourtant il en est dans le nombre
Qui dominent l’arrêt du sort.

Tel, par son art ou sa bonté,
Mord sur l’airain de l’Invisible,
Y grave sa marque sensible
Aux regards de l’Eternité.

Par-delà l’ombre du tombeau
Ce que l’on fit de bien, de beau,
Nous survit, glorieux fantôme,

Toujours debout, jamais terni :
Narquoise, contre l’Infini,
C’est la revanche de l’Atome.

Q63 – T15 – octo

Je suis prisonnier de tes yeux — 1894 (15)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A E…
en lui offrant « Mes prisons’

Je suis prisonnier de tes yeux
Toujours – et parfois de tes bras,
Mais ne plains pas ces embarras
Qui ne sont guère qu’ocieux.

L’odieux, ô mais, là, c’est dur,
C’est que mon coeur est en prison
En même temps que ma raison
Dans ton amitié, cachot pur!

Et bien que trop intelligents,
Mes désirs, quoique diligents,
S’en ressentent jusqu’à parfois

Ressembler à d’affreux courrous …
Mais tu les mets sous les verrous
De ta bonté, coeur, geste, et voix.

Q63 – T15 – octo – Tous les vers sont en rime masculine

La chasuble des Apostoles, — 1894 (6)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

II
Virgo Fellatrix (d’après Laurent Tailhade)

La chasuble des Apostoles,
Dans le cristal incendié
Flamboie – Un coeur supplicié
Attend, vierge, que tu l’extolles.

D’or fin, la Lune, sous ton pié:
Aux accents des luths, des citoles,
L’Ange ‘Saint des saintes étoles »
Chante l’amour. O filiae!

Canonique! mystique! unique!
Hors du triptyque, ta tunique
Verse l’âme des Paradis.

Toi, la Pudibonde, sans nulle
Macule, j’ouvre la lunule
Des ostensoirs où tu splendis.

Q15 – T15 – octo

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante, — 1894 (4)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

Hydrothérapie

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante,
A couronné son chef d’un casque d’hidalgo
Qui malgré sa bedaine ample et son lumbago,
Lui donne un certain air de famille avec Dante.

Ainsi ses membres gourds et sa vertèbre à point
Traversent l’appareil des tuyaux et des lances,
Tandis que des masseurs tout gonflés d’insolences,
Frottent au gant de crin son dos où l’acné point.

Oh! l’eau froide! Oh! la bonne et rare panacée
Qui, seule, raffermit la charpente lassée
Et le protoplasma des sénateurs pesants!

Voici que, dans la rue, au sortir de la douche,
Le vieux monsieur qu’on sait un magistrat farouche
Tient des propos grivois aux filles de douze ans.

Q63 – T15

Gin ! hydromel !! kümmel !!! wisky !!!! zythogala !!!!! — 1893 (19)

Georges Fourest in L’Ermitage

La mélancolie du dipsomane

Gin ! hydromel !! kümmel !!! wisky !!!! zythogala !!!!!
J’ai bu de tout ! parfois soûl comme une bourrique
L’Archiduc de Weimar, jadis, me régala
D’un vieux Johannisberg à très cher la barrique !

Dans le crâne scalpé du grand chef Ko-Gor-Roo-
Boo-Loo, j’ai puisé l’eau de fleuves d’Amérique !
Pour faire un grog vive l’acide sulfurique !
Tout petit je suçais le lait d’un kanguroo ! *

( Mon père est employé dans les Pompes funèbres :
C’est un homme puissant ! j’attelle quatre zèbres
A mon petit dog-cart, et je m’en vais au trot !)

Mais aujourd’hui, noyé de vermouths et d’absinthes,
Je meurs plus écoeuré que feu Jean des Esseintes :
Mon Dieu ! n’avoir jamais goûté de vespétro** !

Q38  T15 * un kanguroo femelle, bien entendu (Note de l’auteur)  **liqueur ancienne aux vertus carminatives reconnues, fabriquée à base d’eau-de-vie

On dit mes vers semés de hiatus impudents, — 1893 (16)

Jean Volane Fusains

Aux lecteurs

On dit mes vers semés de hiatus impudents,
De vocables communs et de belles chevilles,
Je n’y mets pas souvent des femmes à mantilles
Et de gais rossignols aux trilles éclatants.

Mon rythme n’est divin comme celui d’Homère
Et je n’ai pas d’Hugo la souveraine ampleur,
Je ne veux point poser pour un fin ciseleur,
Pour un Parnassien, édité chez Lemerre.

Je vais, léger d’argent, gai comme Zanetto,
L’éphèbe vagabond des rives de l’Arno ;
Faisant des vers d’amour d’allure monotone.

Ma rime est insouciante et mon rêve peu haut.
Tant pis pour les lauriers ! car ce sera bien beau
Si l’on dit « celui-là n’a pastiché personne »

Q63  T15

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

A pas lents, et suivis du chien de la maison, — 1893 (4)

Albert Samain Au jardin de l’infante

Automne

A pas lents, et suivis du chien de la maison,
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne signe au fond de l’avenue,
Et des femmes en deuil passent à l’horizon.

Comme dans un préau d’hospice ou de prison,
L’air est calme et d’une tristesse contenue;
Et chaque feuille d’or tombe, l’heure venue,
Ainsi qu’un souvenir, lente, sur le gazon.

Le Silence entre nous marche – coeurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d’autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.

Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre coeur s’émeut à son tour et s’oublie
A parler du passé, sous le ciel qui s’endort,

Doucement, à mi-voix, comme d’un enfant mort …

Q15 – T15 +  d – 15v – 15 vers, comme souvent chez Samain.

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement, — 1892 (10)

Amédée Rouquès in Le Banquet

Chansons pour rire, II

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement,
Et l’orgue, répondant du fond du monument,
Râlait grave en mon cœur livide, absolument
Sombré dans le deuil noir de cet enterrement

Les enfants pleuraient, les hommes pleuraient, les femmes
Pleuraient, et moi, les pleurs avaient noyé mon âme ;
Et mes yeux d’eau distinguaient à peine la flamme
Des cierges, et le prêtre, qui chantait ses gammes.

Et je me sentais plein d’un ineffable amour
Pour ces hommes que je ne connaissais point, pour
Ces femmes à genoux, aux si charmantes poses,

Ces cierges, ces voix d’enfants au timbre argentin,
Tous ces êtres perdus dans un brouillard lointain  …..
Quand je suis gris, c’est tout à fait la même chose.

aaaa bbbb T15