Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s

Le soir de soie issu des seins — 1891 (8)

Pierre LouÿsPoèmes in Oeuvres complêtes

Chrysis, II

Le soir de soie issu des seins
Palpite un peu de pâle peine
Plainte en pleur dans la palme pleine
Du deuil des doigts aux durs desseins.

Et l’âme en mal d’amour immole
Un lot de lys lents en lambeaux
Au bout de bras ballants et beaux
Où la mort des mains est moins molle.

Fol effort de feinte en effet
Nulle nuit de nul dard ne fait
Que la crême en croisse crevée

Et rien n’aura leurré l’erreur
Si le tiers n’éteint ta terreur
Voile vain de valve avivée.

Q63 – T15 – octo – Remarquer la contrainte consonnantique en chaque vers

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant, — 1890 (29)

Arthur de Beauplan in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

La montre à secondes

L’enfant blême est au lit ; le père frémissant,
L’œil fixé sur sa montre où court l’aiguille agile,
Compte les bâtements du pouls dans cette argile,
Le doigt sur une artère où bouillonne le sang.

Le mal comme le flux monte ; l’homme impuissant
Oppose vainement sa science fragile ;
Il faudrait un miracle ainsi qu’en L’Evangile,
Pour prolonger la vie en cet agonisant.

C’est fini ! … De draps blancs on décore la porte ;
Le corps est sur un char … il est l’heure … on l’emporte …
Les larmes sous les yeux ont creusé leur ravin.

L’aiguille d’or pourtant trotte toujours, altière ;
Et le ressort d’acier, la montre, la matière,
Survit à l’oeuvre où Dieu mit son souffle divin.

Q15  T15

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère, — 1890 (27)

Alcide Chapeau in L’Aurore

Patrie
Gloire à la France au ciel joyeux,
Si douce au cœur, si belle aux yeux,
Sol béni de la Providence,
Gloire à la France
P.DEROULÈDE

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère,
Ces bandits d’Outre-Rhin, t’asservir à jamais ;
Des désordres sanglants de leur brutale guerre
Te croyant impuissante à supporter le faix !

Se ruant sur ton sol, et traitant de chimère,
De tes fils opprimés la gloire et les hauts faix,
Dans leur coupable orgueil, ils avaient cru sur terre
Anéantir jusqu’au nom si beau de français !

Forte de ton mandat, ô ma France adorée,
Va, poursuis ici-bas ta mission sacrée :
Tu ne saurais périr, flambeau du genre humain !

Aussi, vers le progrès qui grandit et féconde,
C’est toi, longtemps encor, qui conduira le monde,
Quoique puisse tenter l’audacieux Germain.

Q8  T15  bi  poème couronné au premier concours de l’Aurore

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur, — 1890 (22)

Cirederf Ybl. in L’Aurore

Enigme-sonnet
dédiée aux lectrices langonnoises

Ah ! plaignez mon destin, sensible et bon lecteur,
Car il est peu d’humains, sur la terre et sur l’onde,
Qui ne se sente pris d’une pitié profonde
Au récit émouvant de mon cruel malheur.

Dans un boudoir parmi des meubles de valeur
Ou bien dans une chambre où la richesse abonde
L’on me couche et voyez la cruauté du monde
Chacun me foule aux pieds et m’écrase le cœur !

Mais là n’est pas le terme, hélas ! de mon martyre,
Poussé par je ne sais quel infernal délire,
Un monstre au bras nerveux, au regard sombre et dur,

Me soulève et s’armant d’un bâton – oh ! l’infâme ! –
Frappe et me bat si fort qu’aussitôt je rends l’âme
Fin nuage poudreux qui se perd dans l’azur …

Q15  T15

O ravissant moulin, pittoresque séjour, — 1890 (21)

A.Ellivedpac (Capdeville) in L’Aurore

Le joli moulin

O ravissant moulin, pittoresque séjour,
Voici le gai tic-tac de la meule joyeuse,
Que l’écume des flots recouvre tour à tour
De dentelle d’argent et d’hermine soyeuse

Avec le deux Babot, compagne de l’Amour,
Arrive de la ville, et, là-bas, sous l’yeuse
Elle prépare alors le boudin, un du jour,
Bravo ! charmante épouse à l’humeur travailleuse.

Le mari beau gaillard apprête un gros baiser
A l’ombre du total, où viennent se poser
Les effrontés pierrots tout neigeux de poussière.

Oiseaux enfarinés j’aime votre doux chant,
Rivière de cristal, je t’adore et pourtant
Je préfère au moulin … la gentille meunière!

Q8  T15  Sonnet-charade . (Prime : 1 timbre en caoutchouc aux initiales du lauréat)

C’est d’un grain de satin! la peau de son visage — 1890 (15)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

II

C’est d’un grain de satin! la peau de son visage
Bleue à croire qu’un bleu reflet de lune y joue,
Et le nez, qui nuement fait ombre sur la joue,
La Grâce en a modelé le cartilage.

Le cold-cream obligeant fixe le bleu nuage
Du riz sur le satin éclatant de la joue,
Et l’on surprend des reflets bleus de coquillage
A l’oreille où sommeille un éclair de bijou.

La lèvre sensuelle et molle, où saignent comme
Des pourpres de pivoine et de géranium
Esquisse un rire déceleur de perles franches.

Et les yeux, les yeux d’or, quelle prestesse! ils ont
Sous l’échafaudage artistique des frisons,
Que parachève un papillon de soie orange!

Q14 – T15

– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte, — 1890 (14)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

I
– C’est un décor! Un coin de mer, un bout de côte,
Elle y profile élégamment son nu de soie,
Sous la jupe, à chaque fois qu’elle tressaute,
Incontinent, le pli de l’aine s’aperçoit.

Les deux bras, dès qu’un geste opulent les déploie,
Une étoile apparaît d’un blond très doux d’épeautre,
Et sa toison dévolue à quels Argonautes.
Tant de bijoux la surchargent, qu’elle flamboie.

Elle a l’éclat, elle a la grâce d’une plume
Et sa robe n’est plus qu’une légère écume,
Au gré du flot qui court et saute, musical

C’est l’ouragan et c’est la trombe ! elle tournoie,
Puis dans les bras du Céladon qui la reçoit
Expire sur un cri triomphal de cymbales!

Q10 – T15 – Le fait que des vers riment sur des couples masc/ fem ne joue pas de rôle particulier dans la structure du sonnet, et marque seulement l’affaiblissement, qui s’accélère, de la notion classique de rime au profit de l’oralité (affaiblissement aussi de la notion de césure !)

Sous une voûte, comme aménagée exprès, — 1890 (13)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

La fontaine

Sous une voûte, comme aménagée exprès,
De feuillage, au loin, son murmure la dénonce;
Elle s’épanouit dans un cadre de ronce,
Et c’est, autour, comme de l’or qui friserait.

D’un masque de sylvain hilare, qui se fronce,
L’eau jaillit! Pour s’épandre à foison dans le grès,
Si claire, que l’on voit jusqu’où le grès s’enfonce,
D’or rose, et que le lit de graviers transparaît.

L’argent n’a pas le flamboiement de cette eau pure
Où le feuillage met l’ombre de sa guipure;
Et tout le bois semble illuminé de cristal.

Séjour clair (sinon des Hespérides) d’Armide,
Où c’est de mille oiseaux quels adorables lieds!
Dès l’heure où l’Aube en pleurs attendrit les pétales!

Q17 – T15  tercets : ccd ee*d*