Archives de catégorie : T15 – ccd eed

C’est une chambre où tout languit et s’effémine; — 1866 (24)

Le Parnasse contemporain

L’absente

C’est une chambre où tout languit et s’effémine;
L’or blême et chaud du soir, qu’émousse la persienne,
D’un ton de vieil ivoire ou de guimpe ancienne
Apaise l’éclat dur d’un blanc tapis d’hermine.

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine,
Pleure les doigts défunts de la musicienne.

Sous des rideaux imbus d’odeurs fades et moites,
De pesants bracelets hors du satin des boîtes
Se répandent le long d’un chevet sans haleine.

Devant la glace, auprès d’une veilleuse éteinte,
Bat le pouls d’une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit quand l’heure tinte.
Catulle Mendès

Q16 – T14 Rimes toutes féminines

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux — 1866 (21)

Le Parnasse contemporain

L’Ecclésiaste

L’Ecclésiaste a dit: Un chien vivant vaut mieux
Qu’un lion mort. Hormis, certes, manger et boire,
Tout n’est qu’ombre et fumée. Et le monde est très vieux,
Et le néant de vivre emplit la tombe noire.

Par les antiques nuits, à la face des cieux,
Du sommet de sa tour comme d’un promontoire,
Dans le silence, au loin laissant planer ses yeux,
Sombre, tel il songeait sur son siège d’ivoire.

Vieil amant du soleil, qui gémissais ainsi,
L’irrévocable mort est un mensonge aussi,
Heureux qui d’un seul bond s’engloutirait en elle!

Moi, toujours, à jamais, j’écoute, épouvanté,
Dans l’ivresse et l’horreur de l’immortalité,
Le long rugissement de la vie éternelle.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle

Q8 – T15

Le quadrige divin, en de hardis élans, — 1866 (20)

Le Parnasse contemporain

La chasse

Le quadrige divin, en de hardis élans,
Monte au faîte du ciel, et les chaudes haleines
Ont fait onduler l’or bariolé des plaines.
La Terre sent le feu circuler dans ses flancs.

La lumière filtrant sous les feuillages lents,
Dans l’ombre où rit le timbre argentin des fontaines,
Fait trembler à travers les cimes incertaines,
Au caprice du vent, ses jeux étincelants.

C’est l’heure flamboyante, où, par les hautes herbes,
Bondissant au milieu des molosses superbes,
Dans les clameurs de mort, le sang et les abois,

Faisant voler les traits de la corde tendue,
Les cheveux dénoués, haletante, éperdue,
Invincible, Artémis épouvante les bois!

José-Maria de Heredia

Q15 – T15

Il existe en Ecosse un bien antique usage — 1866 (16)

Charles Joliet in L’Artiste

La Saint-Valentin

Il existe en Ecosse un bien antique usage
Qui s’appelle le jour de la Saint-Valentin ;
Devançant le signal des coqs du voisinage,
L’amoureux vient siffler un air de grand matin.

Au seuil de sa maison le père l’entourage :
Ca, garçon, as-tu peur ? Vide ce pot d’étain »
Alors, à la croisée ouverte, un frais visage
Se montre en souriant avec un air mutin.

‘ Veux-tu, dit l’amoureux, être ma Valentine ? ‘
Je le veux, dit la fille à la voix argentine,
Et son bras nu lui jette un long baiser joyeux.

Escaladant l’appui de la fenêtre basse,
Le Valentin la prend sur son cœur et l’embrasse
Si fort, qu’il fait monter les larmes plein des yeux.

Q8  T15  Charles d’orléans est bien oublié !

Nez moyen. Oeil très-noir. Vingt ans. Parisienne. — 1866 (10)

Albert MératLes chimères

Passe-port

Nez moyen. Oeil très-noir. Vingt ans. Parisienne.
Les cheveux bien plantés sur un front un peu bas.
Nom simple et très-joli, que je ne dirai pas.
Signe particulier: ta maîtresse, ou la mienne.

Une grâce charmante et tout à fait paiënne;
L’allure d’un oiseau qui retient ses ébats;
Une voix attirante, à ramper sur ses pas
Comme un serpent aux sons d’une flute indienne.

Trouvée un soir d’hiver sous un bouquet de bal;
Chérissant les grelots, ivre de carnaval,
Et vous aimant … le temps de s’affoler d’un autre.

Une adorable fille, une fille sans coeur,
Douce comme un soupir sur un accord moqueur.
Signe particulier: ma maîtresse, ou la vôtre.

Q15 – T15

La nuit était semblable à nos pensers funèbres; — 1866 (8)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

L’orage du soir

La nuit était semblable à nos pensers funèbres;
Des nuages grondants s’entassaient sous nos yeux,
La lune, au front voilé, blanchissait les ténèbres,
L’éclair multipliait son vol capricieux.

L’air était sombre, lourd, la brise sans haleine,
La foudre promenait sa terreur dans les cieux;
Un réseau de brouillards enveloppait la plaine,
Et le jardin dormait sans bruit mystérieux.

Nous marchions lentement, le coeur haut, l’oeil avide,
Et nos esprits d’accord; quand l’âme n’est point vide,
La contemplation est une volupté.

C’était là votre image, ô penseurs, ô poètes!
Des voix de la nature éternels interprètes …
Tout n’est-il pas en vous tonnerre, obscurité?

Q38 – T15

Encaissé dans les bois, au fond d’une prairie, — 1866 (7)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

L’étang de Heussey
A madame Hyacinthe de Pontavice de Heussey

Encaissé dans les bois, au fond d’une prairie,
L’étang que nous aimons sourit frais et charmant;
Le hêtre teint de vert son cristal plus dormant
Que le front calme et pur d’une vierge qui prie.

Le sentier qui l’enlace est plein de rêverie;
Le vent, qui fait chanter les arbres de ses bords,
Couche sur son miroir les rameaux déjà morts,
Et le ride au hasard d’une feuille flétrie.

Sa rive monte à peine au-dessus de ses eaux,
Aussi, pour se baigner, je crois que les oiseaux
N’ont qu’à courber plus bas les branches frissonnantes.

Oh! que mon jeune coeur lui ressemble toujours!
Cette onde si limpide est l’image des jours
Où le vent sèmera les feuilles jaunissantes.

Q36 – T15

Le sifflet retentit dans la gare sonore, — 1866 (6)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

En chemin de fer

Le sifflet retentit dans la gare sonore,
Et le convoi s’ébranle; – un bruit lourd, infernal,
Roule et court sur les rails; la route se dévore,
Et le monstre de fer suit son rouge fanal.

Allumons un cigare et lisons mon journal;
Quand tout sera fini j’entrerai dans ma chambre.
D’ailleurs, le temps est long quand on est en décembre,
Et que notre voisin est gênant ou banal …

Tout passe, tout s’enfuit, – je touche à ma limite!
Notre corps maintenant voyage non moins vite
Que le coeur et l’esprit pour ceux qui ne sont plus.

Mais on arrive, hélas! – l’oreille encore avide
Des serments de l’amour, la joue encore humide
Des pleurs de nos adieux et des baisers émus!

en chemin de fer , 31 décembre 1856

Q36 – T15 Autres quatrains rares sur trois rimes: abab ba’a’b

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre, — 1866 (3)

Louis Goujon

Sonnets. Inspirations de voyage
Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

II

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre,
Nous avons vainement interrogé le sphinx.
Vétéran des salons, polis comme du marbre,
Nous portons sur la vie un dur regard de lynx.

L’Amour ne revient plus s’ébattre sous notre arbre,
Les chansons du Printemps fatiguent le larynx;
Les enfants on grandi, l’intérêt nous désarbre
Les bois où soupirait la flute de Syrinx.

Autrefois, nous voulions l’énivrement des valses,
Notre trop plein coulait comme celui des salses;
Aujourd’hui nous sentons le dard aigu du spleen.

Nous avons à venger des crimes comme Electre,
Partout des libertés se dresse aussi le spectre,
Et pourtant nous rêvons tout l’or d’un Aberdeen.

Q8 – T15 Autre exercice en rimes rares: – arbre – inx – alses – een – ectre (le verbe ‘désarbrer est inconnu du tlf et des ‘disparus du littré’)

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre, — 1866 (2)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville
I

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre,
Vidant joyeusement ma bourse et mon hanap;
Maintenant, je suis roide, et froid comme un cadavre,
J’ai la pâleur du coing et je bois du jalap.

Le désir de la mer m’entraîne vers Le Havre,
L’amour des hauts sommets me pousse jusqu’à Gap;
Mais je souffle en montant, où le passé me navre,
Et j’ai peur du naufrage en doublant quelque cap.

Amis des droits vaincus, mon vers défend le peuple;
Je dis à l’Avenir: « l’Irlande se dépeuple,
Accours la consoler, Dieu le veut … allons, houp! »

Puis je songe à dormir à l’ombre, sous un trèfle.
Un torride soleil rend mou comme une nèfle;
Je m’attends à mourir du typhus ou du croup.

Q8 – T15 Exercice de rimes rares: -avre – ap – euple – oup – èfle (TLF) jalap : Plante proche du liseron, très répandue en Amérique du Nord, dont la racine tubéreuse est utilisée comme purgatif :

Au milieu des lianes de jalap pleines de corolles parlantes
Les grands échassiers gris et roses se régalent de lézards croustillants et s’envolent avec un grand bruit d’ailes à notre approche.
CENDRARS, Du monde entier au cœur du monde, Vomito negro, 1957, p. 144. – P. méton. Extrait de la racine de la plante aux propriétés laxatives.