Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison, — 1863 (8)

Auguste Lestourgie Rimes limousines

Sonnet

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison,
Ma muse veut partir et quitter son poète ;
Ah ! qu’elle entende bien que, sans tourner la tête,
Sans regarder ses pas marqués sur le gazon,

Sans voir sa robe blanche au bout de l’horizon,
Je la retrouverai, car je sais sa retraite !
Non ! non ! je n’irai point d’elle me mettre en quête,
Ô, cités, dans vos murs, vaste et noire prison !

Ni sur vos bords fleuris, beaux fleuves d’Italie,
Mer d’Ischia, si chère à la mélancolie,
Ni même sur les tiens, Rhin aux flots indomptés !

Car la muse que j’aime, et que j’ai pour compagne
Naquit un jour de mai sur la haute montagne
Au bord de ces lacs bleus que Wordsworth a chantés !

Q15  T15

Quand le sonnet renferme une mâle pensée — 1862 (5)

Charles FretinFolles et sages

Le sonnet
I

Quand le sonnet renferme une mâle pensée
Eclatant à la fin par un sublime vers,
C’est la frégate armée, à l’horizon des mers
Se montrant tour à tour, sur la vague bercée;

Comme par un vent frais, elle approche poussée,
Harmonieux miroir, bientôt les flots amers
Reflètent ses grands mâts qui balancent les airs,
Son pavillon qui flotte et sa taille élancée.

Tandis que dans l’azur et du ciel et des eaux
Vous regardez tranquille onduler ses drapeaux,
Elle, dans les canons, presse et presse la poudre;

Puis, rapide, elle accourt, toutes voiles dehors,
Et, faisant feu soudain du port et des sabords,
Sur vous lance en passant les éclairs et la foudre.

Q15 – T15 – s sur s

Pour chanter la Gloire éternelle, — 1861 (7)

Victor Fleury Les échos

Soeur charité

Pour chanter la Gloire éternelle,
Prendre part aux divins concerts,
Votre soeur vous appelle-t-elle
Du parvis des cieux entr’ouverts?

Que pour rejoindre ma Fauvette,
Vous fuyez, méchants déserteurs,
Sans qu’aucun de vous ne regrette
Et prenne pitié de mes pleurs?

Partez donc, ingrats que vous êtes
Vous dont les chants m’étaient des fêtes
Qui vêcutes de mes amours:

Envolez-vous auprès de Anges,
Moi, je suis condamnée aux fanges
Qui souillent notre humain séjour!

Q32 – T15   octo

Grondez sur ma tête, orchestres des airs; — 1861 (3)

Edmond ArnouldSonnets et poèmes

Grondez sur ma tête, orchestres des airs;
Faites frissonner rameaux et feuillages;
Tirez des accords profonds et sauvages
Des sombres sapins et des chênes verts;

Répétez pour moi, dans les bois déserts,
Ces rumeurs, ces cris, ces chants, ces langages,
Que vous murmuriez en ces premiers âges
Où vous parliez seuls au vieil univers;

Où l’on n’entendait passer dans les plaines
Ni l’accent plaintif des douleurs humaines,
Ni le cri joyeux des jeunes amours;

Où nul n’écoutait votre voix puissante,
Excepté celui dont la main savante
Travaillait dans l’ombre à l’oeuvre des jours!

Q15 – T15 – tara

M. SchuréEtude sur les sonnets d’Edmond Arnould – Le sonnet a été de tout temps le péché poétique des savants et des philosophes. Le vrai poète choisit d’instinct la forme qui répond le mieux à son sentiment et en marque pour ainsi dire la cadence. L’érudit, s’il essaie d’être poète, se plait à mouler sa pensée dans une forme arrêtée, à en ciseler les contours avec un soin jaloux. Le sonnet se prète merveilleusement à l’archaïsme, au trait d’esprit, à l’aphorisme philosophique. Peut-être faut-il regretter qu’Edmond Arnould ait confié ses sentiments les plus forts, ses pensées les plus riches à cette forme d’une élégance recherchée. Il eût été plus libre, plus naturel, plus inspiré, en un mot, en n’adoptant aucun cadre. Nous aurions, des luttes de sa vie intime, une plus frappante image, s’il avait rendu, par la variété des rythmes et des combinaisons prosodiques, le ton primitif de chacune de ses émotions. Mais si je ne me trompe, la forme du sonnet, qu’il semble avoir adoptée une fois pour toutes, tient à la nature particulière de sa pensée et de son activité poétique …. pour un tel poète, le sonnet était un cadre heureux. Car, dans sa forme étroite, dans son rythme contenu, dans son harmonie pleine, il sait exprimer énergiquement une pensée simple et forte. La lutte que dans ce travail le poète soutenait contre la forme, n’était au fond que la lutte de sa pensée avec elle-même. En l’exprimant brièvement et fortement, il en devenait maître et prenait acte de conviction.

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique — 1861 (2)

Henri Murger Les nuits d’hiver

Sonnet
Au lecteur

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique
Où l’on vend ce volume, et qui l’as acheté
Sans marchander d’un sou, malgré son prix modique,
Sois béni, bon lecteur, dans ta postérité!

Que ton épouse reste économe et pudique;
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté
Sans retouche; – et, pareille à la matrone antique,
Qu’elle marque son linge et fasse bien le thé!

Que ton cellier soit plein du vin de la comète!
Qu’on ne t’emprunte pas d’argent, – et qu’on t’en prête!
Que le brelan te suive autour des tapis verts;

Et qu’un jour sur ta tombe, en marbre de Carrare,
Un burin d’or inscrive – hic jacet – l’homme rare
Qui payait d’un écu trois cents pages de vers!

Q8 – T15

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil, — 1860 (1)

Amédée Pommier Sonnets sur le salon de 1850

Le lever Eugène Delacroix

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil,
Du lit encourtiné tu délaisses la plume,
Car il est déjà tard et ta vitre s’allume
Aux rayons scintillants que darde le soleil.

Eh quoi! tu n’es pas même en ce simple appareil
Dont parle Jean Racine! Est-ce donc la coutume
Qu’on fasse sa toilette en si léger costume
Et qu’on se mire nue au moment du réveil?

Il est bizarre, au moins, conviens-en, jeune fille,
D’être sans voile ainsi jusques à la cheville
C’est un habillement un peu … décolleté.

Pour toi, tu vas peignant ta blonde chevelure,
Et c’est là ton souci! Que faut-il en conclure?
Qu’apparemment on est au plus fort de l’été.

Q15 – T15

Il est des jours où la muse rebelle, — 1858 (5)

Auguste Lestourgie Près du clocher

A Chéri Vergne

Il est des jours où la muse rebelle,
Comme un oiseau las de fendre les airs,
N’a plus d’amour pour les tendres concerts,
Se tait, se pose, et n’ouvre plus son aile !

Il est des jours où la flamme immortelle
Paraît éteinte ; où, semblable aux déserts,
Le cœur n’est plus qu’un stérile univers,
Sans fleur, sans vie, où nul feu n’étincelle !

Mais quand on jette à ce cœur désolé
Un nom, un seul – soudain s’est envolé
L’oiseau chanteur qui sommeillait dans l’âme !

La flamme vive a paru – tout fleuri,
Vivant, peuplé, le désert a souri! –
Ce nom puissant c’est un doux nom de femme !

Q15  T15  déca

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore, — 1858 (3)

Antoine-Auguste Génin Simple bouquet

XX

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore,
J’ai trompé le sommeil et devancé l’aurore!
A poursuivre un regard qu’en vain mon oeil implore,
J’ai perdu bien souvent des soleils tout entiers.

Que de fois j’ai suivi vos pas dans les sentiers,
Seul, occupant mon coeur à lui redire encore
Vos attraits, mon amour, et croyant voir éclore
Des fleurs au doux contact de votre pied sonore!

De mes désirs ainsi je m’enivre en marchant:
Ce bruit sous la fenêtre, est-ce donc votre chant?
Sur l’aile du zéphir j’ai surpris votre haleine.

Et bien! que vous passiez rieuse et sans me voir;
Quand le soir je reviens à notre vieux manoir,
J’emporte de bonheur mon âme toute pleine.

aaab baaa – T15

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes, — 1857 (12)

Baudelaire

12
L’idéal

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.

Je laisse à Gavarni, poëte des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

Ce qu’il faut à ce coeur profond comme un abîme,
C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans;

Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans!

Q59 – T15