Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Pour chanter sous le ciel ce que j’ai dans le coeur, — 1845 (2)

Arsène Houssaye La poésie dans les bois

La Muse

Pour chanter sous le ciel ce que j’ai dans le coeur,
Je demandais un luth à la muse amoureuse,
Quand ma jeune beauté vint, fraîche et savoureuse,
S’asseoir sur mes genoux avec un air moqueur.

– Pour accorder ainsi la raison et la rime,
Ah que de temps perdu dans les jours précieux,
C’est chercher le soleil quans la nuit est aux cieux:
Crois-moi, ne lasse pas ton coeur à cette escrime.

Enfant, où t’en vas-tu prendre la poésie!
Ma bouche n’est donc pas la coupe d’ambroisie?
Va, surprends-en ma lèvre, enivre, enivre-toi!

La plus belle chanson ne vaut pas, mon poëte,
Un baiser éloquent sur la lèvre muette:

La lyre, c’est l’Amour, et la Muse, c’est moi.

Q63 – T15

Quand, dans les profondeurs de ses cryptes secrètes, — 1845 (1)

Désiré Tricot Poésies d’un fantasque

Sur la dune

Quand, dans les profondeurs de ses cryptes secrètes,
La mer, avec un râle et s’absorbe et se perd,
Avez-vous, de la dune envahissant les crètes,
Considéré parfois le sable découvert?

Et, pensif, contemplant les gigantesques rides,
Stigmates à la grève imprimés par le flot,
Et l’océan qui fuit, et les plages arides,
De cette grande énigme interrogé le mot?

Malheur! malheur à l’homme! est-il prêt à vous dire:
Car cette grande mer qui râle et qui s’aspire,
C’est la virilité, ce sont les passions,

Qui délaissent, après les avoir inondées,
Les âmes des humains, inertes et ridées
Par d’immenses regrets, infertiles sillons!

Q59 – T15 – bi

Nul n’entendait gémir l’éternelle victime, — 1844 (13)

Nerval Le Christ aux oliviers

IV

Nul n’entendait gémir l’éternelle victime,
Livrant au monde en vain tout son coeur épanché;
Mais prêt à défaillir et sans force penché,
Il appela le seul –  éveillé dans Solyme:

« Judas! lui cria-t-il, tu sais ce qu’on m’estime,
Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché:
Je suis souffrant, ami! sur la terre couché …
Viens, ô toi qui, du moins, as la force du crime!  »

Mais Judas s’en allait, mécontent et pensif,
Se trouvant mal payé, plein d’un remords si vif
Qu’il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites ….

Enfin Pilate seul, qui veillait sur César,
Sentant quelque pitié, se tourna par hasard:
« Allez chercher ce fou! » dit-il aux satellites.

Q15 – T15

ll reprit:  » Tout est mort! J’ai parcouru les mondes; — 1844 (11)

Nerval Le Christ aux oliviers

II

Il reprit:  » Tout est mort! J’ai parcouru les mondes;
Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés,
Aussi loin que la vie, en ses veines fécondes,
Répand des sables d’or et des flots argentés:

 » Partout le sol désert côtoyé par des ondes,
Des tourbillons confus d’océans agités …
Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,
Mais nul esprit n’existe en ces immensités.

 » En cherchant l’oeil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbite
Vaste, noir et sans fond, d’où la nuit qui l’habite
Rayonne sur le monde et s’épaissit toujours;

« Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,
Spirale engloutissant les Mondes et les Jours!

Q8 – T15

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras — 1844 (10)

– Nerval Le Christ aux oliviers
Dieu est mort! le ciel est vide …
Pleurez! enfants, vous n’avez plus de père!

Jean-Paul.

I

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats;

Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas
Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes …
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier: « Non, Dieu n’existe pas! »

Ils dormaient. « Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J’ai touché de mon front à la voûte éternelle;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours!

« Frères, je vous trompais: Abîme! abîme! abîme!
Le dieu manque à l’autel où je suis la victime …
Dieu n’est pas! Dieu n’est plus!  » Mais ils dormaient toujours!…

Q15 – T15

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore, — 1844 (8)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Ambition, sonnet

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore,
Remuer une foule avec ses passions.
Écrire sur l’airain ses moindres actions,
Faire luire son nom sur tous ceux qu’on adore;

Courir en quatre pas du couchant à l’aurore,
Avoir un peuple fait de trente nations,
Voir la terre manquer à ses ambitions,
Être Napoléon, être plus grand encore!

Que sais-je ? être Shakspeare, être Dante, être Dieu!
Quand on est tout cela, tout cela, c’est bien peu
Le monde est plein de vous, le vide est dans votre âme.

Mais qui donc comblera l’abime de ton cœur?
Que veux-tu qu’on y jette, ô poëte, ô vainqueur?
Un mot d’amour tombé d’une bouche de femme !

Q15  T15

Il élevait au ciel sa tête solennelle, — 1844 (7)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Sonnet à Mr Bescherelle aîné

Il élevait au ciel sa tête solennelle,
Cet arbre de la langue à l’ombrage enchanteur,
Mais le fou romantique a dressé sa prunelle,
Et frappé son beau sein d’un glaive contempteur.

L’arbre, sans chanceler sur sa base éternelle,
Repousse fièrement votre fer destructeur,
Et vous, en attaquant sa sève maternelle,
Vous attaquez, ingrats, son bienfait protecteur.

Affermissez au loin sa racine profonde,
Bescherelle, sur vous ce fertile arbre fonde
Et ses fleurs, et ses fruits, d’attraits toujours nouveaux.

Vous qui voulez atteindre à son superbe faîte,
Du savant grammairien que ma lyre aime et fête,
Méditez à loisir les utiles travaux.

Q8  T15

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ; — 1844 (6)

Pierre Dupont Les deux anges

A mon ami Théodore de Banville

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ;
Nous t’accusons tout bas : n’aurais-tu pas raison ?
Les lueurs sont encor vagues à l’horizon ;
On n’a pas de fruits mûrs, ni de moissons écloses.

Nous sommes condamnés à célébrer les roses,
Le retour, le déclin de la belle saison:
L’hiver nous fait rentrer des champs à la maison
Où nous perdons nos vers à de petites choses.

Tu rêves cependant. Ta muse attend le jour
Où ceux de notre temps seront grands à leur tour,
L’heure lente à venir des futures mêlées

Que nos aiglons d’hier soient des aigles demain,
Je laisserai tomber la plume de la main
Pour applaudir au vol de tes strophes ailées.

Q15  T15

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame, — 1844 (4)

Louis Ullbach Gloriana

Sonnet à Madame M***J***

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame,
Comme un diamant pur il taillait un sonnet,
En faisait une coupe, y répandait son âme,
Et Laure souriant de ses mains la prenait.

Oh ! ce poète heureux sur lequel une femme,
Dans un ciel azuré saintement rayonnait ,
Me disputant ces vers que votre voix réclame,
Il vous les offrirait, hélas ! s’il revenait.

Mais de vous obéir, moi, je me sens indigne.
Il faudrait, pour oser ce que votre œil désigne,
A moi plus de talent, à vous mains de vertu !

Car vous, à qui le ciel, harmonieux mélange !
Mit une âme d’artiste avec un regard d’ange,
Vous pourriez être Laure, et Pétrarque n’est plus !

Q8  T15  s sur s

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu, — 1844 (3)

Jules Pichon Les cyprès de l’Iran

La Vierge Marie

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu,
Ton nom est rayonnant de mystères étranges,
Ton front est plus brillant que tous les fronts des anges,
Il exhale un parfum qui charme chaque lieu.

Tel qu’un astre qui luit sous le firmament bleu,
Tu passes parmi nous sans toucher à nos fanges,
Ton cœur, trône immortel de vertus sans mélanges
Passa par le malheur comme l’or par le feu.

Avec un doux souris, glissant sur son visage,
La mère à son enfant montre ta chaste image
Et le petit Jésus que tu nourris de miel.

Pendant que sur ton sein ton divin fils repose,
Elle effeuille sur toi sa couronne de rose
Et s’enivre à tes pieds des voluptés du ciel.

Q15  T15