Archives de catégorie : T15 – ccd eed

J’avais sur le sommet d’une colline aimée, — 1842 (16)

Théodore Marquis de Foudras Chants pour tous

Souvenir du pays natal

J’avais sur le sommet d’une colline aimée,
Au milieu du jardin une blanche maison,
D’où l’oeil voyait d’abord une plaine animée,
Puis de riches côteaux, plus loin à l’horizon.

Là, riche de bonheur plus que de renommée,
J’ai passé tous les jours de ma jeune saison,
Là, ma famille était par les pauvres nommée,
Là, j’ai vu mes enfans jouer sur le gazon.

Là, j’avais trois tombeaux ! … dans l’un était ma mère ;
Dans l’autre, à ses côtés, reposait mon vieux père ;
Le troisième à mes vœux avait été promis.

Là, j’avais des amis bien reçus à toute heure …
Mais hélas ! à présent je n’ai plus la demeure !
Je n’ai plus les tombeaux ! ai-je encor les amis ?

Q8  T15

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir, — 1842 (15)

Eugène Villemin Herbier poétique

La boule de neige

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir,
Aux yeux du voyageur mystérieux constraste :
Ebauche gigantesque où tout reste à finir,
Abject avec grandeur, misérable avec faste !

Adieu décor magique où l’âme enthousiaste
De loin goûte un transpport qu’on ne peut définir,
De près, égoût sordide, où plus d’un jour néfaste
Devrait de ma pensée à jamais te bannir.

Telle la viorne en fleur par ses globes de neige
De loin séduit la vue, et de près – le dirai-je
N’est que stérilité sans grâce et sans odeur …

Mais la nef qui m’emporte, ô cité fantastique,
Ne me laisse plus voir que ton front magnifique,
Et mon dernier adieu sera pour ta splendeur.

Q11  T15

Le monde où nous vivons a l’air d’un grand tréteau — 1842 (14)

Eugène Fromentin in ed. Pléiade


Sonnet

Le monde où nous vivons a l’air d’un grand tréteau
Où chaque homme à son tour vient, grotesque poupée,
D’héroisme, d’orgueil ou de vertu drapée,
Débiter sans l’entendre un bout de libretto.

Un siècle passe ; on change un chiffre à l’écriteau.
D’ailleurs, qu’ils aient un sceptre, une lyre, une épée,
Que ce soit Spartacus, ou Lycurgue, ou Pompée,
Tous ont un masque au front, Dieu leur prête un manteau.

Puis, quand l’âge est venu de quitter leur dépouille,
Que le sceptre se brise & que le fer se rouille,
Que le masque est usé, ridé, percé, sanglant,

Chacun dans la coulisse, à la fin de son rôle,
Va chercher son dernier costume, et sur l’épaule
Pour uniforme à tous on leur jette un drap blanc.

‘Cour d’assises, lundi 14 février 1842’.

Q15  T15

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales — 1842 (11)

Louise Colet Poésies

Les Baux

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales
Qui des rocs escarpés dominent les dédales;
J’aime du haut des tours de leur sombre prison
A voir se dérouler un immense horizon;

J’aime, de leur chapelle en parcourant les dalles,
A lire les ci-gît couronnés de blason,
Et qui gardent encor la trace des sandales
Des pèlerins lointains venus en oraison.

Parmi les noirs châteaux gigantesques décombres
Dont les murs crénelés jettent au loin leurs ombres,
Aux champs de la Provence est le donjon des Baux:

Là, chaque nuit encore, enlacée par les Fées,
Dans une salle d’arme aux gothiques trophées,
Dorment les chevaliers sortis de leurs tombeaux

Q2 – T15 mme Colet n’a pas reculé devant le quatrain plat: aabb  abab

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir — 1841 (15)

Pierre Battle Poésies

Le miroir poétique
(écrit sur l’album de Madame G. de F.)

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir
Dans ce coquet album ; d’hommages on l’inonde.
Chaque urne poétique à ce pur réservoir
Est fière de porter un tribut de son onde.

Et vous, ange en exil au désert de ce monde,
Sur ce livre penchée, il vous est doux de voir
Votre image se peindre et flotter, rose et blonde,
Dans le cristal du vers, comme dans un miroir.

Oh ! je l’aurais aussi, moi, cette fantaisie
De faire, sous vos yeux, couler ma poésie ;
Mais c’est un flot amer ne roulant que des pleurs ;

A votre beauté pure il faut d’autres poètes ;
Ce n’est pas au ruisseau troublé par les tempêtes
A réfléchir le ciel, les astres et les fleurs.

Q11  T15

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! » — 1841 (14)

Michel Florestan in Les écrivains de la mansarde

Sonnet

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! »
Et qui, nous voyant seuls, sur les bords du chemin,
Comme des passereaux blottis contre l’orage,
Nous avez appelés en nous tendant la main ;

O vous ! qui n’avez pas détourné le visage
Afin de ne pas voir, et cruels à dessein,
Sur des pauvres enfants jeté comme un outrage
La froide raillerie et l’orgueilleux dédain ;

Merci de cet amour, frères, qui nous console,
Et nous rend l’espérance … Une douce parole,
Un serrement de main calme bien des douleurs !

Mais pour comprendre ainsi nos regrets et nos pleurs,
Vos yeux ont dû verser des larmes bien amères !
Car les larmes sont sœurs ainsi que les misères.

Q8  T15

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen, — 1841 (13)

Eugène Orrit Les soirs d’orage

Doute

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen,
Et laissant loin de vous chaque ornière choisie,
Par la foule, de doute et de crainte saisie,
Vous alliez dans la nuit en étendant la main.

Et lorsque vous cherchiez ainsi votre chemin,
Vous vites se lever, dans la brume obscurcie,
L’étoile de Fourier, cet étrange Messie,
Ce penseur effrayant au craâne surhumain.

Depuis lors, méditant sur le nouveau symbole,
Vous voulez l’éclairer d’une ardente parole,
Car vous avez le foi, car vous vous sentez fort.

Heureux celui qui voit enfin dans sa pensée
Rayonner l’espérance autrefois éclipsée
Et sait le but suprême où tend tout son effort.

Q15  T15

Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté, — 1841 (12)

Edouard Gout-Desmartres Gerbes de poésie

Sonnet-épilogue

Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté,
Oiseau dont l’oiseleur a lié les deux ailes,
Flambeau dont un vent froid glace les étincelles,
Trésor que dans sa tour l’avare a transporté.

Jeune femme au front pâle, au regard attristé,
J’ai compris votre sort et vos larmes cruelles :
Mais je connais un cœur dont les élans fidèles
Veulent mettre un soleil dans vos cieux de clarté.

Ma Muse qu’un soupir plus que la joie attire,
Loin du monde souvent médite et se retire
Là, pour celui qui souffre elle a des chants sacrés.

A vous ses derniers vœux et son dernier hommage ;
Et lorsque vous lirez ce livre, à chaque page
Lisez le mot divin qui vous dit : « Espérez ! …. »

Q15  T15

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir, — 1841 (11)

Agathe Baudouin Rêveries sur les bords du Cher

Sonnet traduit de Pétrarque

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir,
Dans les prés, sur les monts où règne le silence,
A l’abri du rameau que la brise balance
En fuyant les humains, heureux je viens m’asseoir.

Ignoré, je jouis des biens que le pouvoir
Ne laisse pas aux rois, que partout on encense
Et la joie, en mon cœur, se développe immense,
Libre de ces liens qui font mon désespoir !

Oh ! je veux désormais, aux sources du génie,
Aux torrents, aux forêts, abandonnant ma vie
Ainsi la dérober au regard des mortels.

Mais puis-je, hélas ! toujours être fier et sauvage ?
L’amour ne peut-il pas, errant sur ce rivage,
M’entraîner en esclave aux pieds de ses autels ?

Q15  T15  tr (Pétrarque xxxv : ‘solo e pensoso…)