Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

Je l’avais compris un soir de légende — 1934 (5)

Patrice de La Tour du Pin La quête de joie

Je l’avais compris un soir de légende
Si profondément que j’en avais peur,
Et notre amitié devenait si grande
Que nous n’en pouvions saturer nos cœurs.

Je ne connaissais que toi de si rare,
De si lumineux dans le haut chemin;
Je croyais que seule la mort sépare
Et que ton absence aurait une fin.

Par les soirs cruels de l’indifférence,
Je vivais dans ta très douce présence,
Attendant des jours tranquilles et clairs.

J’ai veillé longtemps sans âme et sans force:
Peut-être as-tu su déchirer l’écorce
Qui voilait si mal un cœur si désert?

Q59 – T15 – tara – taratantaras (avec un couac métrique au vers 7: une césure ‘lyrique’)

‘Au Robert Guy l’an neuf’, hurlait, blême et sauvage, — 1934 (3)

Georges Fourest in Robert Guy d’Helle Poèmes actinimorphes

Pseudosonnet truculent et liminaire

‘Au Robert Guy l’an neuf’, hurlait, blême et sauvage,
l’aubage sourd-muet, debout sur le menhir
et, parmi la rafale, on entendait hennir
l’adultère homard tout nu sur le rivage.

Robert Guy, Robert Guy, sur le Gaurisankar,
tes chants feront saigner le quartz et le basalte
et ton verbe, déjà, que le sinople exalte,
bleuit les dahlias d’Arckangel à Dakar!

En vain, le corbillard, traîné par vingt licornes,
trucidant l’étendue infinie et sans bornes,
écrase les têtards pêle-mêle et sans choix,

car, bravant le klaxon de nos automobiles,
dans le golfe d’Oman des éponges nubiles,
au rythme de tes vers, berceront les anchois.

Q63 – T15

Quand le docteur lui dit: « Monsieur, c’est la vérole — 1934 (2)

Georges Fourest Le géranium ovipare

Un homme
Justum et tenacem propositi virum (Horace)
Gémir, pleurer, prier est également  lâche (Alfred de Vigny)

Quand le docteur lui dit: « Monsieur, c’est la vérole
indiscutablement! « , quand il fut convaincu
sans pouvoir en douter qu’il était bien cocu
l’Homme n’articula pas la moindre parole.

Quand il réalisa que sa chemise ultime
Et son pantalon bleu par un trou laissaient voir
Sa fesse gauche et quand il sut que vingt centimes
(oh! pas même cinq sous!) faisaient tout son avoir

il ne s’arracha pas les cheveux, étant chauve,
il ne murmura point: « Que le bon Dieu me sauve! »
ne se poignarda pas comme eût fait un Romain,

sans pleurer, sans gémir, sans donner aucun signe
d’un veule désespoir, calme, simple, très-digne
il prononça le nom de l’excrément humain.

Q62 – T15

Il avait ce jour-là défloré mille vierges — 1934 (1)

Georges Fourest Le géranium ovipare

Le nouvel Origène
ou
Le rut vaincu
Les effets de la castration sur les animaux sont connus; ils ne sont pas autres chez l’homme
Th. Ribot (Les maladies de la personnalité)

Il avait ce jour-là défloré mille vierges
de diverses couleurs et, suivant les leçons
des Pentapolitains huit cents jeunes garçons
parmi lesquels le fils – horreur! – de ses concierges!

Mais il ardait toujours, ahanant, frénétique
il investit des ours et des rhinocéros,
des lynx, des sphinx, le dieu-serpent d’Abonotique,
mais toujours il flambait sur le brasier d’Eros

et toujours le désir mordait sa génitoire
et vers le firmament l’orgueil ostentatoire
de son membre viril se dressait.  » Par Mithra!  »

s’écria-t-il,  » ô rut générateur du monde,
bâtard du vouloir vivre, à nous deux, rut immonde! »
il dit, s’arma d’un bon rasoir et se châtra.

Q62 – T15

Mon âme éteint ses lumières — 1933 (10)

Armand Masson in Felix  Arvers : articles (fonds rondel, RF 21313)

à la manière de Paul Valéry

Mon âme éteint ses lumières
Pour que le silence élude
L’amour que, sous mes paupières,
A figé la solitude.

Et la page est vierge où l’homme
Compose et dédicace
La prière inefficace
Avec l’estampe et la gomme.

Comme rien n’emplit le vide
Du néant qu’elle dévide,
Elle écoute sans entendre

La voix muette et soupire :
« Qu’est-ce que cela veut dire ? »
Mais semble ne pas comprendre

Q60  T15   rim.fem. arv pastiche -7s

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais — 1933 (6)

Marcel Ormoy Les royaumes interdits

Reminiscere

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais
Toute l’ombre et la fièvre étroite des vallées,
L’esprit triomphe, ô dur vertige des sommets,
Sur ces hauteurs par les quatre vents désolées.

Vous mes frères, avec les noms de chaque jour
Voyez et que du fond des âges nous choisîmes
Pour la suprême étape et le plus clair séjour
Ces rocs environnés de présences sublimes.

Car nous retrouverons au niveau de la mer
Le patient travail de la terre et du fer
Et l’orgueil et l’ennui d’une besogne obscure,

Mais par le merveilleux et secret truchement
D’une rêve à quoi la mort elle-même consent
Toujours sur le Thabor un dieu se transfigure.

Q59 – T15

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève, — 1933 (2)

Jacques Lacan (in Le Phare de Neuilly)

Hiatus irrationalis

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve;
Et, si je ne vous bats d’un désir incessant,

Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant.
Seul, il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Au mal aveugle et sourd, au dieu privé de sens.

Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses, que vous naissiez du sang ou de la forge,
Nature, – je me perds au flux d’un élément:

Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes, que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
H.P. août 29

Q8 – T15

Avec sa grande voix hâlée, — 1933 (1)

Henri-Philippe LivetChants du prisme

Avec sa grande voix hâlée,
Le matin chante dans les vergues;
Le matin rit dans les huniers
Aux mille mouettes en exergue.

Il bondit la joue en plein feu,
S’éclabousse d’azur limpide
Et jette ses deux bras à Dieu
Qui sur l’abîme se décide.

Pour les pleureuses de rosée,
Pour les pleureuses de lumière,
Il bat d’étincelles les cieux,
Bouillonne aux profondeurs perlières.

Et des semis de fleurs d’étoiles
S’effacent au doigt ineffable
Qui passe lucide et songeur

Sur les brumes aux douces nacres,
Des lagunes roses et ocres,
Où, fluide, fuit un vapeur.

3Q: abab a’b’a’b’ a »b »a »b »– T15  octo

Ma brosse a son secret, ses poils ont leur mystère — 1931 (9)

Jean Bastia in Commoedia

Avers & revers
sonnet rimé au Salon d’Automne

Ma brosse a son secret, ses poils ont leur mystère
Le nez est dans la hanche et l’orteil au-dessus
Le sein exsangue est poire, et les deux font la paire,
Celle qui l’a posé n’en a jamais rien su.

Ah ! le portrait ne passe pas inaperçu !
Contre lui le public tout entier déblatère
Et j’entends des propos pour le moins délétères,
Je n’ai rien demandé, mais j’aurai tout reçu.

Pour Elle, qui posa ces chairs en palissandre,
Elle est aussi venue, elle a ouï l’esclandre
Que soulève au Salon mon étude de nu.

Et quoiqu’elle ait été mon unique modèle,
Elle a dit, en lorgnant ce tableau tout plein d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » … et n’a rien reconnu.

Q10  T15  arv