Archives de catégorie : carn

Q8 – T15

J’aime à suivre en l’espace — 1835 (5)

Emile PehantSonnets

Impromptu

J’aime à suivre en l’espace
Le nuage empourpré,
Qui par un beau soir passe
Comme un ange égaré ;

Et qui bientôt s’efface,
Pâle et décoloré,
Sans laisser nulle trace
Dans le ciel azuré.

Ma muse est ce nuage;
Aujourd’hui son passage
Attire quelques yeux;

Mais dès demain peut-être
Qui pourra reconnaître
Sa place dans les cieux?

Q8 – T15 – 6s

En ce temps-là, dit la vieille chronique, — 1835 (3)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

XIV

En ce temps-là, dit la vieille chronique,
Dont les récits, féconds en merveilleux,
Charment encor ma muse sympathique,
Comme ils charmaient nos crédules aïeux;

En ce temps-là, bien loin de l’Amérique,
La mer vomit un serpent monstrueux,
Dont la fureur, sur la plage hibernique,
Infestait l’air et de soufre et de feux.

De son oeil noir la prunelle sanglante
Dardait l’éclair, et nulle âme vivante
N’eût affronté ce rapide fléau,

Des glaives nus hérissaient ses écailles;
Chaque matin, ses profondes entrailles
De cent chrétiens devenaient le tombeau.

Q8 – T15 – déca

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France — 1834 (7)

Emile Péhant in Revue de Paris

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla long-temps sécher comme un arbre en souffrance,
Et ne produisit plus que des fleurs sans odeurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance,
Et le fait reverdir comme aux temps les meilleurs ;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance,
Et balancer au vent son front chargé de fleurs.

Vous de toutes ces fleurs vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour voler au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, pour mon bouquet, hélas ! je ne recueille
Que celles qu’au gazon le vent parfois effeuille ;
Aussi, pauvre bouquet, il sèchera bientôt.

Q8  T15  s sur s

Mon ami, quelquefois avez-vous vu le lierre — 1834 (5)

Charles Ducros Premières pensées

Sonnet à M. Victor Hugo

Mon ami, quelquefois avez-vous vu le lierre
Se cramponner au chêne et vivre en paix dessous ?
Avez-vous vu l’agneau suivre joyeux sa mère ?
C’est ainsi, mon ami, que je suis près de vous.

Et pour me regarder, vous voilez la lumière
Qui jaillit de votre œil, et votre œil devient doux
Comme un faible rayon qui dort dans la clairière ;
Ce regard, s’il brillait, nous consumerait tous.

Oh ! que vous êtes bon ! et quelle douce vie,
Que vivre auprès de vous ! contente est mon envie
Quand je suis avec vous, causant, vous regardant

Vous dont la voix sublime ébranle au loin la terre,
Vous dont les jours sont purs comme un lac solitaire,
Vous dont le cœur est tendre, et le génie ardent.

Q8  T15

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon, — 1832 (5)

– Joseph Bard Les mélancoliques

L’aurore

Oh ! que j’aime à m’asseoir au sein d’un frais vallon,
Quand le crêpe des nuits a fait place à l’aurore !
Que j’aime à respirer sur un lit de gazon
Qu’abritent le mélèse et l’épais sycomore.

Là, les nuages d’or diaprent l’horizon,
Comme un voile du Dieu que l’univers adore,
Ici le roc altier blanchi par l’aquilon
De la pourpre du jour lentement se colore.

Je vois sur le grand lac les cygnes éveillés
Tendre leur col d’albâtre à des bords émaillés,
Ou mêler à l’azur le duvet de leurs ailes ;

Plus loin, la basilique aux gothiques cerceaux
Reflétant le soleil dans ses rouges vitraux
Briller comme un fanal des rives éternelles.

Q8  T15

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile, — 1832 (1)

J-B. Claray de Crest-VollandSonnet … à M. C.L. Mollevault

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile,
De la double colline a franchi les hauteurs.
Anacréon, Properce, et Tibulle, et Virgile
Revivent dans tes vers, applaudis des lecteurs.

Tu ne cueillis jamais une palme fragile;
Le mérite t’appelle au trône des auteurs;
Tant que vivra le goût sur ce globe d’argile,
Nos neveux rediront tes accords enchanteurs.

C’est à toi d’emboucher la trompette héroïque,
De chanter un grand roi, philosophe stoïque,
Qui fit régner Minerve où régnait le Dieu Mars.

Dans un hameau charmant, moderne Lucrétile,
Où tu sais marier l’agréable à l’utile,
Tu consacres ta vie au culte des beaux-arts.

Q8 – T15 – y=x : e=a

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ; — 1831 (4)

Charles Lassailly in L’Almanach de Muses

Hommage

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ;
Méprisant le vulgaire aveugle et ses bravos,
Loin de l’ornière antique où la foule se traîne,
D’une gloire précoce étonnes tes rivaux ;

A toi que, tout enfant, une belle marraine
Initiait en songe à des secrets nouveaux ;
A toi, dont le génie est un cheval sans rêne,
Car une voix t’a dit : Je sais ce que tu vaux !

A toi, qui juge seul le conquérant avide
Dont la chute ébranla son siècle encore vide.
A toi qui pouvais prendre un glaive au lieu d’un luth ;

Puis à toi, qui chantas tes chants comme un prophète,
Avec son dieu qui parle, à toi, le grand poète ;
A toi qui seras roi, Victor Hugo, Salut !

Q8  T15

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante, — 1830 (4)

André Van Hasselt in Almanach des Muses

Amour & Poésie – sonnet

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante,
Comme Orphée à son luth, enchaînant les enfers.
Shakespeare agrandissant la scène indépendante,
Et Tasse l’immortel qui languit dans les fers.

Schiller que dévora son âme trop ardente,
Homère avec sa tête où se meut l’univers;
Byron livrant sa nef à la vague grondante,
Et Virgile versant l’ambroisie en ses vers.

Et j’appelle aujourd’hui, pour faire mes délices,
Deux grands yeux, fleurs d’azur, qui penchent leurs calices
D’où tombe la rosée en gouttes le matin;

Un sein blanc qui palpite, une bouche mourante
Qui, coupant de baisers quelque phrase expirante,
Brûle mon âme avec ses lèvres de satin.

Q8 – T15

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable — 1829 (1)

Nestor de Lamarque in Auguste Amic: Les méridionales

Sur la Mort

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable
Se trouble à ton seul nom, s’alarme à tes assauts;
Tu montres au tyran le bras inexorable,
Qui du monde, à son tour, vient briser les fléaux.

Mais l’homme infortuné, que sans espoir accable
Le poids de la misère et de ses durs travaux,
Sourit au sombre aspect de l’heure inévitable,
Expire, et dans ton sein dépose tous ses maux.

Dans les champs périlleux qu’illustre son audace,
Le guerrier intrépide affronte la menace;
Le sage sait attendre, et te voit sans terreurs …

De nos biens, de nos maux, achève la mesure,
O mort, change à ton gré de forme et de figure,
Fantôme revêtu de nos vaines erreurs.

Q8 – T15

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses, — 1828 (2)

Emile Deschamps Etudes françaises et étrangères

Sonnet

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses,
Aura, sur ce beau lieu, jeté l’oubli des ans,
Quand chênes et sapins, brisés comme des roses,
Ne seront plus que cendre ou cadavres gisants;

Qui sait si, du chaos de ces métamorphoses,
Ressuscitant nos bois, aux détours séduisants,
L’histoire saura dire à nos vieux fils moroses,
Quels rois y poursuivaient sangliers et faisans?

Mais peut-être mes vers, à la race lointaine,
Diront: Elle passa deux mois à Mortfontaine,
Et ces deux mois pour nous, passèrent comme un jour;

Et c’est pourquoi les fleurs, les biches inquiètes,
Et les oiseaux chanteurs, et les amants poëtes,
Pleins du souvenir d’elle, aimaient tant ce séjour.

Q8 – T15