Archives de catégorie : rons-2

Q15 (abba abba) – T30 (cdd cee)

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert — 1990 (5)

Jacques RédaSonnets dublinois

Galway

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert
Les bords occidentaux du Connemara
Dont j’avais rêvé : son brusque démarrage
M’a fait voir l’inconsstance des dieux. Et certes

Autrefois j’aurais mieux couru. Mais que sert
De courir après la chance qui m’aura
Servi plus souvent qu’à mon tour de courage ?
Le dépit avec la raison se concerte.

En effet en un jour, touriste pressé,
Qu’aurais-je appris de la farouche étendue
Qu’il faut affronter seul et presque perdu

Loin, lontemps, sans but, sans arrière-pensée
De retour, si l’on veut atteindre le port
Où s’embarquer enfin comme on s’évapore ?

Q15  T30  rimes « hétérosexuelles »  11s

Maint passé par tant de couloirs — 1959 (5)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Cheminée

Maint passé par tant de couloirs
Riches d’affres en lourds trophées
Part fumant à chaque bouffée
Dont s’allume un l’autre nos soirs.

Feu, des orgueils chambre! où surseoir
– Chambre un rien l’isole étouffée –
Aux serres jusqu’au bout chauffées
Du rien cher qui console un loir.

Torche ô fulgurant nécessaire…
Moi le tien en branle. Abandon:
Il a chu le sépulcre dort,
Nos nuits blanches nous agrippèrent.

Chambre où fumée en désaveu
De nos feux en immortel vœu.

Q15 – T30 – octo – disp: 4+4+4+2

Clair de lune à la mer: les rayons jettent — 1921 (1)

Jehan d’Arvieu Le monde sous l’étoile

Alleluia

Clair de lune à la mer: les rayons jettent
Des rubans argentés sur l’onde noire,
Des reflets satinés aux jeux de moire,
Des brillants, des émaux et des paillettes.

Caressés de clartés les flots répètent
Aux splendeurs de la nuit un chant de gloire
Murmurant dans un rêve d’oratoire
Sous le vol messager de leurs mouettes.

Clair de lune à l’Eden; la paix dernière.
A l’astre virginal, comme ondes calmes,
Chanteront dans un bruit furtif de palmes,

Les élus tout nimbés de sa lumière,
Cependant que chargés de leurs louanges
Monteront de la mer les vols des anges.

Q15 – T30 – déca – rimes féminines

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté — 1905 (17)

Fernand Henry Les Sonnets Portugais d’Elizabeth Barrett Browning

I

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté
La douceur du retour de ces chères années
Dont chacune vient tendre en ses mains fortunées,
A tous, jeunes & vieux, le présent souhaité, –

Tandis que par ses vers j’avais l’esprit hanté,
Je revis, à travers mes larmes, ces journées,
Dans le bonheur et dans la tristesse égrenées,
Qui sur mon front avaient tout à tour projeté

L’ombre de leur passage et j’étais toute entière
A pleurer quand soudain, par derrière, aux cheveux
Un fantôme me prit ; et, comme de mon mieux

Je luttais, une voix se fit entendre, altière :
«  Devine qui te tient ? » « C’est la Mort » dis-je. Alors
Tinta ce mot d’argent : « C’est l’Amour, non la Mort ! »

Q15 – T30 – tr

Madame de Méryan va mourir. Désirant — 1902 (12)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons


La mort en dentelles
I

Madame de Méryan va mourir. Désirant
Entrer au Purgatoire en digne et noble allure,
Elle a fait crêpeler au front sa chevelure.
Des engageantes en dentelle à triple rang

Sortent des frêles bras d’un laiteux transparent.
Un couple de ramiers s’ébat sur la moulure
Du grand lit clair où l’or brode sa ciselure …
Elle oppose au trépas le dédain conquérant

De ceux qui savent bien lui ravir quelque chose ;
Car, hautain, son regard fixe au mur le pastel
Où Liotard le Turc a su rendre immortel

Le bonheur de sa lèvre immuablement rose …
Dans un hoquet discret Madame de Méryan
Sourit à son sourire, et meurt en souriant.

Q15  T30

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage, — 1899 (9)

Léopold DauphinCouleur du temps

La Tour Eiffel vue de haut
à Alphonse Allais

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage,
Se tordent aux Enfers, l’homme, quoique malin,
S’élève vainement:  il reste à son déclin,
Vaincu par l’anémie et veuf du fier courage.

Or, moi, monsieur Homais, je crie: au gaspillage!
Et blâme hautement notre impuissant Vulcain
D’avoir – pour nous forger ce chef d’oeuvre mesquin –
Mis le fer stimulant et tonique au pillage! ‘

Puis, cet avis donné, sagement, sans détour,
Le grand pharmacien, les lèvres dédaigneuses,
Triture au mortier ses drogues ferrugineuses

Et, sous le lourd pilon croyant revoir la Tour,
Suppute, l’oeil rêveur, les bienfaisants pécules
Qu’on aurait à rouler tout ce fer en pilules.

Q15 – T30

Le temple est en ruine au haut du promontoire. — 1893 (10)

José Maria de HerediaLes Trophées

L’oubli

Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,
De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux
Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe;

Mais l’Homme indifférent au rêve des aïeux
Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes.

Q15 – T30

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis, — 1889 (22)

Verlaine Dédicaces

A François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! –
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Evénements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant encore pas mort de la mort d’Athys ?

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois,

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus c’est pour des raisons.

Q15  T30

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes, — 1889 (16)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en vert

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.

Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d’ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L’élan capricieux des feuilles frissonnantes.

Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l’intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d’algue marine.

Mais elle alors, ainsi qu’un rêve qui s’éteint.
S’évapore; et l’on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !

Q15  T30