Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Ô puissant, ô cruel, ô toi clair Bourbaki, — 1945 (4)

Pierre Samuel

Le filtre

Ô puissant, ô cruel, ô toi clair Bourbaki,
Vas-tu nous déchirer dans un accès de crise
Le Goursat filandreux, miroir de l’Analyse,
Défenseur attardé d’un passé qui a fui ?

La suite d’autrefois se croyait l’infini,
Inutile, et que sans la comprendre utilise
Le maladroit conscrit, lui que Valiron grise
De son cours ténébreux qui distille l’ennui.

Ignorant les secrets de la Topologie
À l’espace infligée, et toi qui l’étudies,
Il nage dans l’erreur où son langage est pris.

Il contemple étonné, comme enivré d’un philtre,
L’adhérence, un manteau qu’il n’a jamais compris,
Que vêt sur un compact, immobile, le FILTRE.

Q15 – T15

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte — 1945 (3)

Shakespearesonnets trad André Prudhommeaux

129

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte
Telle est la passion dans l’acte; et jusqu’à l’acte
Sa luxure est perfide et parjure à tout pacte,
Farouche, meurtrière, et ne rend pas de compte,

A peine elle triomphe et le mépris la dompte-
Chasse de déraison que déraison rétracte;
Elle se hait dans sa victoire – haine intacte
De l’amorce engloutie au fol dégoût qui monte;

Folle est la quête, et sa capture, et la curée:
Avoir! Vouloir avoir! Avoir eu! Procurée,
L’extase est un dictame – et laisse un fiel amer;

D’une joie en l’espoir il ne reste qu’un songe.
Tout homme au monde sait ce que vaut ce mensonge;
Pas un ne fuit le ciel qui mène à cet enfer.

Q15 – T15 – tr

Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres — 1944 (18)

Robert DesnosCe cœur qui haïssait la guerre

Printemps

Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l’amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.

Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d’aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.

C’est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S’efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourtant nous l’entendons et lui obéissons.

Au lavoir où l’eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l’instant où le soleil fleurira les buissons.

Desnos
6.4.44
19, rue Mazarine
Paris VI

Q15 – T15

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air, — 1944 (17)

Robert DesnosA la caille

Rue Aubry-Le-Boucher (en démolition)

Rue Aubry-le-Boucher on peut te foutre en l’air,
Bousiller tes tapins, tes tôles et tes crèches
Où se faisaient trancher des sœurs comaco blèches
Portant bavette en deuil sous des nichons riders.

On peut te maquiller de béton et de fer
On peut virer ton blaze et dégommer ta dèche
Ton casier judiciaire aura toujours en flèche
Liabeuf qui fit risette un matin à Deibler.

A Sorgue, aux Innocents, les esgourdes m’en tintent.
Son fantôme poursuit les flics. Il les esquinte.
Par vanne ils l’ont donné, sapé, guillotiné

Mais il décarre, malgré eux. Il court la belle,
Laissant en rade indics, roussins et hirondelles,
Que de sa lame Aubry tatoue au raisiné.

Q15 – T15

Maréchal Ducono se page avec méfiance, — 1944 (15)

Robert DesnosA la caille

Maréchal Ducono

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déjà loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience?

A la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme flotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser.

Q15 – T15

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent — 1944 (14)

Robert DesnosCalixto

Tu viens au labyrinthe où les ombres s’égarent
Graver sur les parois la frise d’un passé
Où la vie et le rêve et l’oubli, espacé
Par les nuits, revivront en symboles bizarres.

Je viens au labyrinthe où, plus gros qu’une amarre,
Se noua le vieux fil avant de se casser.
Ses deux bouts sur le sol roulent sans se lasser
Tout se taît, mais je sens naître au loin la fanfare.

Tu viens au labyrinthe et, d’un pas sans défaut,
Du seuil au seuil tu vas, tu passes sans assaut,
Ton être se dissout dans sa propre légende.

Je viens au labyrinthe oublier mes cinq sens.
J’ai choisi le courant sans en choisir le sens.
La fanfare s’éteint avant que je l’entende.

Q15 – T15

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour — 1944 (11)

Robert Desnos Contrée

Le paysage

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus ce bouquet de lilas et de roses
Chargeant de leurs parfums la forêt où repose
Une flamme à l’issue de sentiers sans détours.

J’avais rêvé d’aimer. J’aime encor mais l’amour
Ce n’est plus cet orage où l’éclair superpose
Ses bûchers aux châteaux, déroute, décompose,
Illumine en fuyant l’adieu du carrefour.

C’est le silex en feu sous mon pas dans la nuit,
Le mot qu’aucun lexique au monde n’a traduit
L’écume dans la mer, dans le ciel ce nuage.

A vieillir tout revient rigide et lumineux,
Des boulevards sans nom et des cordes sans nœuds.
Je me sens me roidir avec le paysage.

Q15 – T15

Ils ont cherché longtemps longtemps — 1935 (2)

Charles Dupuis Au hasard de leurs mains ouvertes

Sonnet

Ils ont cherché longtemps longtemps
Au hasard de leurs mains ouvertes
La synthèse des palmes vertes

Et du bonheur dans les printemps

Ils ont cherché, toujours courant
Fuyant parfois comme on déserte
La prison des lèvres offertes

Leur quadrature de vivants

Ils ont cherché de porte en portes
Et puis des chimères sont mortes
Dont leurs âmes traînent les deuils

Et leurs coeurs sont des cimetières
Où sans croix, sans ifs, sans prières
Pourrissent d’étranges cercueils.

Q15  T15  disp 3+1+3+1+3+3 – octo

O jeunesse voici que les noces s’achèvent — 1931 (2)

Robert Desnos Les nuits blanches

O jeunesse

O jeunesse voici que les noces s’achèvent
Les convives s’en vont des tables du banquet
Les nappes sont tachées du vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves

Une vague a roulé des roses sur la grève
Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
Et les rois ont mangé la galette et la fève

Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
Que leur sommeil soit calme et leur mort sans rigueur

Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur

Q15 – T15

Pour le mal qu’il me fait — 1931 (1)

Robert Desnos Les nuits blanches

Lou la Rouquine, II

Pour le mal qu’il me fait
Ton amour m’est fétiche
Laisse rassir la miche
Dans le fond du buffet

Dans la nuit du café
La nébuleuse biche
Fuit dans le ciel en friche
Aux lueurs d’autodafé

Quand tu viens nuitamment
Rôder tel un dément
Près de Lou la coquine

Si tu lis l’avenir
Dis-moi quand va mourir
L’amour plus hérissé qu’un buisson d’églantines

Q15 – T15 – 2m : 6s; v.14: alexandrin