Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre, — 1882 (9)

Dr G.C. (Camuset ?) in G.J. Witkowski : Anecdotes médicales

Aux buveurs d’absinthe

Versez avec lenteur l’absinthe dans le verre,
Deux doigts, pas davantage, ensuite saisissez
Une carafe d’eau bien fraîche : puis versez
Versez tout doucement, d’une main bien légère.

Que petit à petit votre main accélère
La verte infusion, puis augmentez, pressez
Le volume de l’eau, la main haute : et cessez
Quand vous aurez jugé la liqueur assez claire.

Laissez-la reposer une minute encor,
Couvez-la du regard comme on couve un trésor :
Aspirez son parfum qui donne du bien-être !

Enfin, pour couronner tant de soins inouïs,
Bien délicatement prenez le verre – et puis
Lancez sans hésiter le tout par la fenêtre.

Q15  T15

C’était un tout petit homard des Batignolles — 1882 (3)

Le Chat Noir

Docteur Camuset

Le homard
Sonnet à la Coppée

C’était un tout petit homard des Batignolles
Nous l’avions acheté trois francs, place Bréda,
En vain pour le payer moins cher, on marchanda,
Le fruitier, coeur loyal, n’avait qu’une parole.

Nous portions le cabas tous deux à tour de rôle.
Comme nous arrivions au rempart, Amanda
Entre dans un débit de vins, y demanda
Deux setiers, – le soleil dorait sa tête folle.

Puis ce furent des cris, des rires enfantins,
Elle avait un effroi naïf des intestins
Dont, je dois l’avouer, l’odeur était amère.

Nous revînmes le soir, peu nourris, mais joyeux
Et d’un petit homard nous fîmes trois heureux.
Car elle avait gardé les pattes pour sa mère!

Q15 – T15

Blanchisseuse aux robustes hanches, — 1881 (9)

A. GillLa muse à bibi

Pour la blanchisseuse

Blanchisseuse aux robustes hanches,
Quand avril, sur le ciel léger,
Fait les nuages voltiger,
En délicates avalanches,

J’imagine les choses blanches
Qu’après la lessive, au verger,
Les petites mains font neiger
Sur les cordes et sur les branches,

Et que jaloux de copier
Jusqu’aux détails de son métier,
Fille exquise, le ciel te singe;

Et je songe en riant: parbleu!
Voici qu’aux bords du pays bleu
Les anges font sécher leur linge.

Q15 – T15 – octo

‘Triboulet est un vrai Fol — 1881 (8)

Anatole de MontaiglonSonnets tirés de Rabelais

XLVIII – (Livre III cap. 38)

‘Triboulet est un vrai Fol
– Grimault – A la marrabaise –
– A toudie – A la grandlaise –
-De perspective – A licol –

– D’ut,ré,mi, fa, si, la, sol
– D’architreve – De cymaise
– A chaperon – De fournaise
– De béquarre – de bémol –

– Culinaire – Conclaviste –
– Modal – Marmiteur – Sommiste –
– Bigearre – A double rebras

– Collatéral – A sonnettes
– De mère-goutte – A pompettes;
– Il est fol à cent carats  »

Q15 – T15 – 7s

Le son du cor s’afflige vers les bois — 1881 (5)

Paul VerlaineSagesse

Le son du cor s’afflige vers les bois
D’une douleur qu’on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la brise errant en courts abois.

L’âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui décline
D’une agonie on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.

Pour faire mieux cette plainte assoupie
La neige tombe à longs traits de charpie
A travers le couchant sanguinolent,

Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone,
Où se dorlote un paysage lent.

Q15 – T15 – déca

Je connais dans un coin de province un brave homme — 1880 (13)

Narzale Jobert Klimax

XII septies
Césures après les 3ème, 6ème et 9ème syllabe
La croix de l’honneur

Je connais dans un coin de province un brave homme
Qui n’a point inventé le fusil chassepot;
Bon bourgeois, excellent à grossir son magot,
Et faisant, chaque jour, à midi, un long somme.

O surprise! un matin il advient qu’on le nomme
Chevalier. Le journal nous l’apprend aussitôt.
Vous pensez si chacun là-dessus dit son mot!
Le pays caquetait, il fallait ouïr comme!

Un plaisant à l’esprit incisif et malin
Estompait lestement un feuillet de vélin;
L’heureux homme avait là sa figure imitée.

Il levait ses regards vers un Christ sur la croix,
Et disait, sur la sienne apposant ses dix doigts:
« O Seigneur, vous ni moi ne l’avions méritée!  »

Q15 -T15 – ( 3+3+3+3)  – Alexandrins anapestiques stricts

Au fond d’un bois j’ai découvert un ruisselet, — 1880 (12)

Narzale Jobert Klimax.

XII sexies
Césures après les 4ème et 8ème syllabes
Le ruisselet

Au fond d’un bois j’ai découvert un ruisselet,
Sur des cailloux blancs et polis danse son onde,
Sous les roseaux, les nymphaeas, il vagabonde;
La biche vient s’y rafraîchir; l’oiseau s’y plaît.

D’un rameau vert voici descendre un gai couplet,
Chant qui ravit cette oasis calme et profonde.
Dans le gazon, point scintillant, la fraise abonde
Avec des fleurs au teint lapis ou violet.

La soleil filtre aimablement sous la ramée.
La brise est douce et l’atmosphère est embaumée.
Concerts, fraîcheurs, herbes, parfums mystérieux!

Eden charmant, Eldorado, pur Elysée,
Que chaque été je viens revoir! – tranquillisée,
Loin du bruit l’âme avec bonheur rêve en ces lieux.

Q15 – T15 – 12s (4+4+4) – On remarquera qu’on n’a pas là affaire à un alexandrin du type dit ‘romantique’ ou ‘hugolien’ car la césure en 6 est abandonnée. Il s’agit donc d’un mètre différent.

Au bord d’une mare, – à l’ombre d’un vaste saule, – — 1880 (11)

Narzale Jobert Klimax.

XII quater
Césure après la 5ème syllabe
Le Batrachophage

Au bord d’une mare, – à l’ombre d’un vaste saule, –
Un bon paysan pêchait raines et cyprins,
Des raines surtout; coupant court à leurs refrains,
Il les égorgeait et les crouait sans contrôle.

Je trouvai la chose insolite, un tantinet drôle.
Voilà, certes, un mets peu connus des Savarins!
Pensai-je, et Chevet, ce maître-queux à tous crins,
N’en doit pas charger les estomacs de la Gaule.

Je m’approche plus de mon brave villageois.
Curieux, je l’observe, et soudain je l’aperçois
Tout prêt à commettre une erreur. Je le réfrène,

Et lui dis: « holà! fi! mais ce sont des crapauds
Que tu vas manger; laisse-les donc en repos! … »
 » Ah! tant pis pour eux!  » fait l’homme la bouche pleine

Q15 – T15 – 12s (5+7)

Il s’en va, le matin, sac au dos. — 1880 (8)

Narzale Jobert Klimax.

IX quater
Deux césures: troisième et sixième syllabes
Le facteur rural

Il s’en va, le matin, sac au dos.
Guêtre en main, sac au pied; la casquette
En cuir lisse étincelle à sa tête
Comme un heaulme argenté de héros.

Constamment son jarret est dispos,
Soit qu’il sente arriver la tempête,
Soit qu’au ciel le soleil tout en fête
Lance en plein ses rayons les plus chauds.

Il gravit les monts, court les bruyères,
Il franchit les torrents, les rivières,
Et traverse, en chantant, les grands bois …

A l’heure où le pédon doit paraître,
Le coeur bat. A sa suite on voit naître
Les espoirs, les soucis, les émois.

Q15 – T15 – 9s (3+3+3) – pédon est inconnu du TLF. Héloïse Neefs le recense dans ses Disparus du Littré : «  Courrier à pied dans certains pays du Midi (la forme française est piéton, nom qu’on donne dans le Nord au facteur rural)

Potard potassant beaucoup — 1880 (4)

L’hydropathe

Cabriol

Alphonse Allais

Potard potassant  beaucoup
Des combles l’exorbitance
Il comble son existence
D’à peu près faits coup sur coup.

Ce qu’il vous sert un ragoût
D’absurdisme avec prestance
C’est un rêve … pour la stance
Rimée, il a peu de goût.

Philosophe à l’air bonasse
Ce jocrisse blond filasse
Par qui Prudhomme est honni,

Met souvent, sans prendre garde
Les pieds, quoi qu’on le regarde
Dans le plat de l’infini.

Q25 – T15 – 7s