Archives de catégorie : Formule entière

Madame je n’ai pas regret, que de vos seins — 1997 (4)

Jacques Chessex Douze blasons


Les seins

Madame je n’ai pas regret, que de vos seins
Je ne puisse parler sans parler de pelote
Mais pomme direz-vous? l’image serait forte
Et fraise à leur sommet? Quand je n’ai que dessein

De louer leur souplesse à ma paume et le teint
Du double globe et de son fruité à la hotte
Du cou luisant, puis par la pente vers la grotte
Humide à l’autre lait dessous un beau jardin

Je suis vivant Madame et vous vivante aussi
Ces jeux de rhétorique augmentent votre ennui
Mais qu’au double soleil de pourpre purpurine

J’ajoute mon miroir à ce miroir jumeau
A la mort je dérobe un peu de la colline
Où reposer ma tête à ce tiède tombeau

Q15 – T14 – banv

Je mourrai à Paris sous l’averse, — 1997 (2)

Florence Delay – trad de Cesar VallejoAction Poétique

Pierre noire sur une pierre blanche

Je mourrai à Paris sous l’averse,
un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai à Paris – et je n’ai pas de honte –
peut-être un jeudi, comme aujourd’hui d’automne.

Ce sera jeudi, parce qu’aujourd’hui, jeudi, où je pose
ces vers, je me suis mis les humérus
à mal et jamais comme aujourd’hui je ne me suis,
avec tout mon chemin, revu si seul.

César Vallejo est mort, ils le battaient
tous sans qu’il leur ait rien fait;
ils cognaient dur avec un bâton et dur

avec une corde aussi; en sont témoins
les jours jeudi et les os humérus,
la solitude, la pluie, les chemins ….

bl – m.irr  – tr

En face de la Comédie-Française, se trouve le café — 1997 (1)

Florence Delay – trad de Cesar VallejoAction Poétique

Chapeau, manteau, gants

En face de la Comédie-Française, se trouve le café
de la Régence; il y a là une salle
cachée, avec un fauteuil et une table.
Lorsque j’entre, la poussière immobile est déjà debout.

Entre mes lèvres faites liège, le bout
d’une cigarette fume, et dans la fumée l’on voit
deux intenses fumées, le thorax du Café,
et dans le thorax un oxyde profond de tristesse.

Il importe que l’automne se greffe sur les automnes,
il importe que l’automne s’intégre dans les bourgeons,
le nuage dans les semestres; dans les pommettes la ride.

Il importe de passer pour fou en postulant
que chaude est la neige, fugace la tortue,
simple le comment et le quand fulminant!

bl – m.irr. – tr

Le R gronde dans l’avenue. — 1996 (6)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française


Matinale

Le R gronde dans l’avenue.
Les vendeurs de journaux stridents
Clament La Liberté, L’Intran.
On dit Fantomas revenu.

Sous nos pieds un bourgeois velu
Chante Tosca en se rasant.
Du tiède pilou émergeant
Sa dame choisit sa tenue.

Plus bas, la fille des concierges,
Désolante et blafarde vierge,
S’entête à maltraiter Chopin.

Viens. Vêts ta pure nudité
A Meudon nous irons trouver
Le frais silence du matin.

Q15 – T15 – octo

A bas bruit la très discrète — 1996 (3)

Henri Bellaunay Nouvelle anthologie imaginaire de la poésie française

A bas bruit

A bas bruit la très discrète
mais tenace ronge-temps
verse son sablier lent
au plus creux de tes retraites

De tes pieds jusqu’à la tête
elle mène posément
aux rouges routes du sang
sa fine marche muette.

Elle te va concéder
l’odeur des nèfles mouillés
les soleils et leurs fracas

Et la lourde Automne rousse
jusqu’à l’heure où sa main douce
tranquille t’effacera

(Jacques Roubaud)

Q15 – T15 – 7s

Ce que fait l’araignée est au-dessus de nous — 1996 (2)

Robert Marteau Rites et offrandes (2002)


(Bure, Saint-Ouen-La Cour, jeudi 24- vendredi 25 octobre 1996)

Ce que fait l’araignée est au-dessus de nous
Par le sens et la perfection de l’ouvrage,
Réplique de l’univers recomposé fil
A fil, incluant invisibles et galaxies,

De même que les éléments et les principes,
Paradigme pour la dentellière penchée
Dans la clarté de la fenêtre; extension
Du chiffre huit par quoi l’octopode se meut

Selon le dessein parfaitment reconnu.
Ainsi la révélation refait son voile
Dans l’interstice qui sépare deux brins d’herbe.

Tu t’arrêtes, piéton, regardes, vérifies
Tes calculs, sur le vif comparant ta mémoire
Au mystère qui s’offre à chacun de tes pas.

bl – 12s- sns

Un instant tu as oublié le nom — 1996 (1)

Lionel Ray Syllabes de sable

Un instant tu as oublié le nom
des choses: la nuit est vide,
l’heure n’est plus cette écriture
du sable et des oiseaux.

Un instant tu es entré dans
la non-vision du soleil, dans
l’immobile minuit, dans la cave
de l’impossible naissance

Du monde. Il n’y avait nulle
apparence, nul être, pas même
la trace d’un brin d’herbe ou l’hypothèse

D’un nuage, ni début ni fin,
Seulement cette mesure de l’in-
connaissable et le parfait absolu.

bl – m. irr

Certains riment encore en cruche — 1995 (11)

Jude Stefan Prosopopées

Poésie pire

Certains riment encore en cruche
des neuf portes de la perception
avec deux jambes en queue de poisson
pour course d’autruche

à 6 ans une crise cardiaque enlève le boxer
la foudre frappe le sanctuaire
le lièvre dort les yeux ouverts
pour l’anthologie d’une nouvelle ère

miss Hardwick insistait sur les rétroflexes
comme un sanscrit
nous citait les chefs-d’oeuvre à l’index

tous sauf la bible
pourtant sinistrissime rhapsodie
digne de Raspoutine et d’Ivan le Terrible

r.exc. –  m.irr.

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe — 1995 (8)

Hedi Kaddour Les fileuses

Verlaine
à Guy Goffette

Verlaine? Il est dressé sur l’herbe
Lyre et palme dans le dos, Verlaine,
En buste au sommet de trois bons
Mètres de pine granitique où se tordent

D’improbables muses affolées d’être
Prises en sa compagnie sous le regard
De promeneurs bien plus novices
Aux combats du plaisir. Le hurlement

Amer d’une moto trouble soudain
Le petit chant de pluie sur les platanes
Et châtaigners, un rayon de soleil,

Tranche en clair-obscur le massif rouge
Et vert, et Verlaine renfrogné rêve encore
L’air qui ferait tout tenir ensemble.

bl – m.irr

Surgit soudain la dissonance — 1995 (7)

Hedi Kaddour Les fileuses

La belle

Surgit soudain la dissonance
En si majeur, brutale comme
Un coup d’oeil hypocrite qu’à
Surpris l’intérieur du genou

D’une femme et ne sait plus
Que faire de sa rage. Elle traverse
La pièce et revient en violence
De poing sur le clavier: joue donc

La fausse erreur, rétorquent
Les sons rieurs qui vont quand même
Au vent avec les cris, le grand

Soleil et les ballons d’enfants,
Car la belle, tu le sais, ça n’est
Jamais qu’un des temps de la bête.

bl – m.irr  octosyllabes plutôt