Archives de catégorie : Formule entière

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres, — 1897 (19)

Albert Giraud Hors du siècle

La douce rencontre

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres,
A pays des baisers d’un siècle, de là-bas :
Crépuscule des chairs ; torche rose des fièvres,
Tout s’est fané, tout s’est éteint, et je suis las.

– De ce même pays des torches et des fièvres,
Du pays du baiser séculaire, là-bas,
Du pays de la chair, du cher pays des lèvres
Je reviens comme toi, comme toi je suis las.

– Qu’avons-nous rapporté de cet amer voyage ?
– Rien qu’un impitoyable et stérile veuvage,
Qu’un mauvais compagnon d’exil et de prison !

Aimons-nous cependant, ô ma pauvre âme lasse,
Aimons-nous doucement, lentement, à voix basse,
Sans éveiller celui qui dort dans la maison.

Q8  T15  quatrains sur mots-rimes.

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu — 1897 (17)

Paul Claudel in ed.pléiade (Premiers Vers)

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu
A la Muse elle-même, institutrice et Mère,
De former, lui ouvrant la Lettre et la Grammaire,
Sa lèvre au vers exact et au Mot absolu.

La sécurité de l’office qui l’élut
Rit que rien d’éternel comme rien d’éphémère
N’échappe à la mesure adéquate et sommaire
De la voix qui finit où le verbe conclut.

Gardien pur d’un or fixe où l’aboi vague insulte !
Si, hommage rustique et témoignage occulte,
Sa main cherche quoi prendre au sol pour s’en armer,

Je choisis de casser la branche militaire
Dont la feuille à ton front honore, Mallarmé,
Amère le triomphe, et verte, le mystère.

Q15  T14 – banv –  triste hiatus au vers 4

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles; — 1897 (9)

Robert de Souza Sources vers le fleuve

La Lumière

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles;
Les feuilles tendaient  leurs petites mains tendues
Suppliantes, au-devant des chenilles velues;
Mais les chèvres renouaient le tout en une touffe, d’une faim qui cueille.

Et les hommes ne sentaient point la vie, espoir et deuil,
Les songes dormaient des femmes étendues nues
Par les gazons qui frisent, et font les chairs moussues,
Pour, sans doute, que d’humbles ombres rases cachent notre orgueil…

Ni les âmes ne connaissent les grandes ailes,
Ni les coeurs la volonté de leurs appels,
Seules les bouches s’ouvraient au plaisir d’être nées;

C’était l’attente vague des existences,
Qui ne sentaient pas quand les aurait enfin créées,
La Lumière qui relie toutes choses- par qui l’on pense.

Q15 – T14 – banv – m.irr

A toi, pauvre vieux, je souhaite — 1897 (5)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

Souhaits à Léopold Dauphin
1er janvier 1897

A toi, pauvre vieux, je souhaite
De vivre tel que te voilà
Avec les maux par-ci, par-là,
Et la rage d’être poète.

Pour que la douleur si souvent
Morde ton corps et le pâlisse
(Dixit Monsieur de la Palisse)
Il faut que ton corps soit souffrant:

Tu souffres, donc tu vis, que diable!
Et vivre est encor, vois-tu, vieux,
Ce qu’on nous a trouvé de mieux
Pour rendre la vie enviable.

Sois résigné, deviens meilleur
Et bon poète, rimailleur.

shmall – octo

L’arrière saison s’avance — 1897 (4)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

« Fais dodo …  »

L’arrière saison s’avance
Avec, cortège automnal,
Les heures de connivence
Agissant pour le final.

Et mon âme, guêpe pâle,
Reste calme vers le soir
Des apeurements, du râle
Où vient la fin sans surseoir:

Elle écoute si l’appelle
Quelque voix par les ailleurs
Indifférente à la pelle
Lugubre des fossoyeurs.

La Terre n’est pas méchante:
Une berceuse, elle chante.

shmall – 7s

Isochrone et lent, le pendule, — 1897 (3)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

Autre musique de chambre

Isochrone et lent, le pendule,
Sous les laques du vieux cartel,
D’un sec tic-tac hache et module
Le silence et mon spleen mortel:

Et ma pensée aussi oscille
En un va-et-vient continu
Captive du rythme et docile
A l’hypnotique son ténu

Qui très cruellement balance
Les souvenirs des anciens jours
Et, railleur, dans le noir silence
Sans cesse dit: « toujours, toujours ».

L’heure qu’il mesure est chimère
Eternellement éphémère.

shmall – octo

L’innocence était, de ton âme, 1897 (2)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

A Paul Verlaine
8 janvier 1896

L’innocence était, de ton âme,
Et la mystérieuse voix
Si vierge et perverse à la fois,
Et l’amer parfumé dictame!

Nos espoirs pleurent superflus;
Cette voix tant câline et tendre,
Qu’au ciel aimé tu viens de rendre,
Nous ne l’entendrons jamais plus!

Ni le jet d’eau à la fontaine,
Ni fluides les clairs ruisseaux,
Ni la brise dans les roseaux
Ne la donneront si lointaine.

Et nous restons inconsolés,
Nous, de ses musiques ailées.

shmall* – octo

Dans deux heures au plus on veut que dare dare — 1896 (16)

Ludovic Sarlat in  L’année des poètes

Un étrange défi

Dans deux heures au plus on veut que dare dare
Je présente au lecteur un sonnet tout entier.
J’accepte avec plaisir ce défi singulier
Qui me séduit surtout parce qu’il est bizarre.

Le sonnet, pour de grands esprits, c’est l’oiseau rare ;
Mais ce genre depuis longtemps m’est familier,
Et j’enfourche Pégase encor sans étrier :
On sait que de sonnets je ne suis pas avare.

Tiens ! je vais être au bout de mes quatorze vers,
Et je sens que, malgré la glace des hivers,
Poésie, en ma main ta coupe est toujours pleine.

J’ai fini mon sonnet et gagné mon pari :
Ma verve est toujours jeune, elle n’a pas tari,
Car j’ai fait celui-ci en un quart d’heure à peine.

Q15  T15  s sur s

C’était toute douceur et nuance et sourdine — 1896 (11)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour le tombeau de Verlaine

C’était toute douceur et nuance et sourdine
De lys purs qui seraient sensitives, et d’une
Figure de clarté qui serait clair de lune,
Figure de Béguine ou de Visitandine.

C’était tout falbalas et brumes en écharpes;
C’était toute musique, en pleurs d’être charnelle,
Et frissons d’une harpe qui serait une aile;
Car les ailes du cygne ont la forme des harpes.

Et c’était tout sincère élan d’âme marrie
Qui s’élevait d’en bas vers la Vierge Marie:
Oblation de soi, sans plus de subterfuges,

Et réponse pieuse à tous divins reproches,
Et tout azur de coeur, ouvert aux humbles cloches,
Qui me l’a fait aimer comme le ciel de Bruges!

Q63 – T15  – Rimes féminines.

Si la plage penche, si — 1896 (10)

Paul Valéry Le Centaure

Vue

Si la plage penche, si
L’ombre sur l’oeil s’use et pleure,
Si l’azur est larme, ainsi
Au sel des dents pur effleure

La vierge fumée ou l’air
Que berce en soi puis expire,
Vers l’eau debout d’une mer
Assoupie en son empire,

Celle qui sans les ouïr
(Si la lèvre au vent remue)
Se joue à évanouir
Mille mots vains où se mue

Sous l’humide éclair des dents
Le très doux feu du dedans .

shmall – 7s