Archives de catégorie : Formule entière

Dans l’espace du sonnet s’apprivoisent prose — 1990 (11)

Robert Marteau Louange(1996)

(jeudi 14 juin 1990)

Dans l’espace du sonnet s’apprivoisent prose
Et vers sans permettre au hasard d’improviser.
D’un peu au-delà, à l’improviste, les mots
Surgissent, suscité par le secret sonore,
Et le mystère étymologique. Le rythme
Né de la mer et le prolongeant leur insuffle
Le désir de s’ajuster par pieds et pas dignes
De la cause qui les aspire en impromptus
Arrangements de sens liés en écriture,
Laquelle visuellment par quadrature
Fait le poème plein et l’emplit de sens. C’est
La surprise alors qui se découvre à l’oreille:
Quelque chose est dit ( qui ne l’avait pas été )
Pour rien si ce n’est la parole et le passage.

bl – 12s – sns  s sur s

La variété des visages, infinie, — 1990 (10)

Robert Marteau Louange(1996)

(vendredi 20 avril 1990)

La variété des visages, infinie,
Est une énigme, réellement, qui nous met
Hors de nous-mêmes, nous mettant à l’improviste,
Dans le hors-temps où tout est dit imprononcé.
Le passage perpétuel de la pensée
Arrange à tout instant autrement les traits, voue
Aux yeux le monde imprévu que la lumière ouvre
Au plus intime du sang où le soleil vit
Sans y pénétrer. L’éclosion que les nuits
Claires nous font voir, vers qui le regard se tourne,
En un trou de mémoire apparaît soudain notre
Contemporaine au cours d’un présent disparu.
Fleurs carnivores qui pensent, c’est sur leur bouche
Que l’infini bute en proférant la parole.

bl – 12s – sns

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar — 1990 (9)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

« Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,

Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes –

Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,

Eveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours – ou bien m’évanouir dans la mort.
( » Bright star! would I were steadfast as thou art »)

r.exc – m.irr – sns – tr

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or, — 1990 (8)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

Après m’être plongé pour la première fois dans l’Homère de Chapman

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or,
Ai vu bien des états et monarchies prospères,
Ai fait le tour de bien des îles d’Occident
Que des bardes pour fiefs ont reçu d’Apollon.

Souvent l’on m’a parlé d’une vaste contrée
Qu’Homère aux noirs sourcils possédait pour domaine:
Jamais pourtant je n’en avais humé la sérénité pure
Avant d’ouïr Chapman et sa voix de stentor.

Alors je me sentis comme un veilleur des cieux
Quand une planète nouvelle apparaît dans son champ de vision
Ou comme le vaillant Cortez quand, de son regard d’aigle,

Il scrutait le Pacifique – et que tous ses hommes
L’un l’autre s’épiaient, perdus en conjectures –
Silencieux, du haut d’un pic de Darien.

(On first looking into Chapman’s Homer)

r.exc. – m.irr – tr

Plage. On n’ose croire à sa pâleur. — 1990 (7)

Jean-Charles Vegliante Sonnets du petit pays entraîné vers le nord

Vacance

Plage. On n’ose croire à sa pâleur.
L’aube s’éloigne sans qu’il ait su la prendre.
Un sang reflue dans la nacre où pleurent
des vagues menacées par l’été de cendre.
La mer est striée de flammes vertes.
Aux bords alourdis de pailles et de balle
lentement tourne une forme inerte,
comme un ancien chagrin le gouffre l’avale.
Oui, la brûlure à présent s’enfonce
dans le noir profond. La mémoire aveuglée
ne sait même plus quel mal l’offense,
quelle faille est ouverte prête à céder …
Il avance sur l’estran de sable
que des courants biais vont disperser ailleurs.

ababcdcdefefxy – m.irr – sns

Tu as un visage de femme que la Nature a peint, — 1990 (6)

Jean-François Peyret (trad.) Quarante sonnets de Shakespeare traduits par .. pour servir à la scène –

20

Tu as un visage de femme que la Nature a peint,
Toi, Maître et maîtresse de ma passion,
Tu as un coeur tendre de femme qui ignore
L’humeur traîtresse des trompeuses femmes.

Plus brillant, moins trompeur, ton oeil quand il se tourne
Et illumine l’objet sur lequel il se pose;
Un homme parfait, maître de toutes les perfections,
Qui séduit les yeux des hommes, et ravit les âmes des femmes.

Tu fus d’abord créé pour être femme
Mais la nature en te faisant s’éprit de toi
Et par un ajout vint me frustrer de toi,
Ajoutant quelque chose dont je n’ai pas l’usage.

Puisque te voici armé pour le plaisir des femmes,
A moi ton amour, à elles, la jouissance de ton amour.

bl – m.irr – disp: 4+4+4+2 – sh

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert — 1990 (5)

Jacques RédaSonnets dublinois

Galway

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert
Les bords occidentaux du Connemara
Dont j’avais rêvé : son brusque démarrage
M’a fait voir l’inconsstance des dieux. Et certes

Autrefois j’aurais mieux couru. Mais que sert
De courir après la chance qui m’aura
Servi plus souvent qu’à mon tour de courage ?
Le dépit avec la raison se concerte.

En effet en un jour, touriste pressé,
Qu’aurais-je appris de la farouche étendue
Qu’il faut affronter seul et presque perdu

Loin, lontemps, sans but, sans arrière-pensée
De retour, si l’on veut atteindre le port
Où s’embarquer enfin comme on s’évapore ?

Q15  T30  rimes « hétérosexuelles »  11s

L’oiseau passera dans un poème formel — 1990 (1)

Alain AnseeuwL’ombre est en toute phrase, le soleil tout autant

L’oiseau passera dans un poème formel
Rien ne passe de l’intelligence des roses
Que les mots de guerre lasse en l’éveil des choses
Ou bien le drap froissé sur le pré immortel
Ici le paysage est partout dans l’été
La comète est tombée au jardin d’Adonis
Qu’une phrase interrompt le creux à l’agonie
Avance lentement sa voix dans la clarté
De l’encre Avant la fin du jour la neige ou l’eau
Auront éparpillé les ailes de l’oiseau
Sur la table qui saigne je mesure le coeur
Et les roses avec toi écrasées de bonheur.
Il faut mettre des mots sur le désir qui bouge
Et des comme et comment en tenant bien sa langue.

abbacddceffegg=sh* – m.irr – sns —

Divine absente, faite forme fugitive — 1989 (7)

– (Robert Marteau Juan de Tarsis, comte de Villamediana Poésies

(Divina ausente, en forma fugitiva)

Divine absente, faite forme fugitive
en raison de l’inégalité de nos sorts,
quand toi sur le plus haut soleil vas te poser
moi je reste en solitude de lumière hautaine;

Pour déclarer qu’en cette ombre sauvage,
celle qui en poussière et cendre se change,
contre les forces même de la mort
reste pur renom vive éternellement.

Ainsi parvient à être profit ce troc
d’une vie de travaux et de peines,
contre deux sûres toujours immortelles.

Seul gémissant Amour en la séparation,
d’un tel soleil est l’ombre poursuivie
par la nuit éternelle et les éternels malheurs.

r.exc – m.irr – tr

Tel qu’il existe, on croirait le monde incréé, — 1989 (6)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Robert Marteau

Tel qu’il existe, on croirait le monde incréé,
Irréel et là depuis toujours absent, hors
De notre portée en même temps qu’à nos mains
Proie offerte et métamorphique. On le croirait
Sans modèle et n’ayant pas de visée; à nous
Venu, déjà-là, d’un avenir qui nous verse
Au passé sans que nous puissions connaître si
Le présent s’inaugure au lieu qui nous convie
Source que nous avons convoitée aux confins
Non, mais ici: point imperceptible où l’oracle
Nous parle; temps où la bouche encore n’a pas
Puisé. Le dessein s’accomplit, mythologique,
A l’insu du stratège, et tout prédicat tombe
En désuétude à l’instant qu’il apparaît.

bl – 12s – sns