Archives de catégorie : Formule entière

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples — 1989 (5)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Xavier Bordes

Après la fin

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples
Où je fus quelquefois reçu par des amis
J’entends encor la grille du jardin qui racle,
En grinçant sur ses gonds, le gravier endormi.

On déjeunait dehors pour jouïr du spectacle:
Les gens déambulaient, gros comme des fourmis
Sur le port et les yeux ne rencontraient d’obstacle
Qu’au sud, là où fumait le volcan insoumis…

Sur la terrasse rose avec ses cyprès noirs
En contemplant la baie unique par les soirs
D’été napolitain d’une touffeur d’étuve

J’imaginais l’horreur qui saisit le pays
Quand un matin parmi les vignes du Vésuve
Le feu pétrifia Pompeï.

Q8 – T14  – 2m: octo: v.14

Chrome d’un cerf cueille verre enfer planque hune taie te — 1989 (3)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Joseph Guglielmi


Sonnet foireux (d’après Arthur Rimbaud)

Chrome d’un cerf cueille verre enfer planque hune taie te
D’oeuf âme achève un brin frottement pomme à dé
(Diurne vie oeil baie noire et merde, lente herbette
Ave dédé fils site as et mâle rat vaut dais;
Pue l’alcool guerre a aigri l’aile are jeux homo pelote
Qu’ils aillent; l’aide aux cours courantes exquis heureux sort;
Plie le héron d’heures d’airain sang bleu peut rendre les soeurs
L’ogresse saoule happe eau par étang feux yeux plats eux;
Lèche une est en pore où j’ai le tout saint égoût
Hors rit bleu êtes rang je mens; ont renards queux sûres toux
Dais seins goule irritée kil faux boire Allah loup peuh…
L’air un port et démon gras vêt: G(laire a veut nus); (corps plus petit)
Haie tousse ocre or heureux mue étang sale art jeu croup
Bêle hic deux oeufs ment daim nul sert halle as nus.

r.exc – m.irr – traduction homophonique d’un sonnet de Rimbaud – sns

Ce fut un bref éclaboussement d’écritures — 1989 (1)

Robert MarteauCe que Corneille crie – trente sonnets –

samedi 3 septembre

Ce fut un bref éclaboussement d’écritures
Sonores, comme si, connaissant le secret,
Nous pouvions déchiffrer le message animal.
Aux cris, formes et couleurs sont associées
Pour que nous voyions par les sons ce qu’elle crée
La corneille experte à en découdre comme
Une aide-courrière au bord des bois avec
Ses ciseaux. La continuité qu’elle voit
De l’érable à l’eau contient toutes les volutes
De son vol. C’est pourquoi on l’entend qui célèbre
L’inconditionnel contrairement à nous
Entre deux poids et deux mesures à peser
Notre destin. Il n’est d’aube où elle ne témoigne
Haut et clair; clairvoyante, alerte sur ses ailes.

bl – 12s – sns

Qu’à son plaisir mon œil te considère — 1988 (7)

Bernard Manciet (trad) André du Pré Sonnets gascons

X

Qu’à son plaisir mon œil te considère
Il fait de toi toute sorte de fleur
La fraîche rose en sa belle couleur
C’est ton menton, ton col, ta main légère

Qu’avec des lis candides il tempère.
Sur ton front naît le souci de pudeur
Dedans tes yeux violette se meurt
Et giroflée aux lèvres fait enchère.

De fleurs sont faits et la joue et le nez.
Oreille et sein carmin vous soutenez.
Mais ce doux voir est tout ce qu’on me laisse.

Et tout ainsi qu’au ciel, quand serai mort
Dieu regarder sera mon réconfort
Sur cette terre est te voir ma liesse.

Q15 T15 tr

Même quand le silence aura bu mon passage — 1988 (6)

Michel Vaillant in Dictionnaire de poétique et rhétorique (4ème ed.)


Couronne de sonnet : sonnet maître

Même quand le silence aura bu mon passage
Immolé sur la borne obscure du chemin,
Ce nom qui, sans écho, n’aurait plus rien d’humain,
Houle incertaine qui s’éloigne du rivage

Et que remportent les ténèbres sans partage,
Laisse qu’il chante encore au creux chaud de ta main,
Vaine, vaine rumeur de croire que Demain
A la conque fragile a livré son message.

Innombrable mensonge, un jour et puis un jour !
La terre s’épaissit et s’engraisse d’amour,
Le monde s’engloutit d’entasser la lumière.

Amer laurier l’espoir de penser que mes cris
Nocturnes retournés au repos de la pierre,
T’aideront à descendre au silence où je suis.

Q15  – T14  – banv – acrostiche

Cinq fois la corneille a coassé au-dessus — 1988 (3)

Robert Marteau Liturgie (1992)

(Saint-Laurent-du-Fleuve, samedi 3 septembre)

Cinq fois la corneille a coassé au-dessus
De l’arbre mort, filant droit ensuite vers la
Polaire qui est tout au sommet de la hampe
De l’Ourse et pour nous en surplomb du peuplier.

Je ne l’ai pas vue: elle a franchi l’entre-deux
Des arbres comme un harpon qui serait lancé
Sans qu’on sut la cible: un pan de nuit échoué
Au nord, un dernier autel fait d’os ciselé,

Le faîte d’un mat avec des figures peintes,
Encore le cuir où furent imprimés l’orbe
Et le centre. Oui, elle a crié cinq fois puis s’est

Tue ayant délivré au monde tel qu’il est
Le message qui lui fut confié à l’aube
Quand la nuit et le jour étaient en même temps.

bl – 12s – sns

Un rectangle de ciel avec l’angle d’un toit — 1987 (8)

Robert Marteau Liturgie(1992)


(Trouville, mai)

Un rectangle de ciel avec l’angle d’un toit
S’inscrit dans la croisé où l’aile des mouettes
Glisse et dans la vitre en même temps se reflète,
Faisant que chaque oiseau forme une double croix
Volatile qui disparaît sans que l’oeil sache
Où à cause des persiennes dont le bois
En échelle ajusté, à gauche, à droite, cache
L’espace devenu perte, ainsi nous arrache
Tout ce qui traverse en mouvement bref l’étroit
Sas transparent que la fenêtre nous ménage
Haut, à la mi-hauteur d’un morceau de quadrant
Courbe, turquoise et bleu, parfois qui s’ennuage
De laine légère et flottante s’encadrant
Dans les carreaux où le goéland passe et nage.

bl avec quelques rimes – 12s – sns

Les amoureux fervents des fleuves impassibles — 1987 (7)

OulipoLa Bibliothèque Oulipienne , vol. II

Marcel BénabouAlexandre au greffoir


Les chats

Les amoureux fervents des fleuves impassibles
Aiment également, à l’ombre des forêts,
Les chats puissants et doux comme des chairs d’enfants
Qui comme eux sont frileux dans les froides ténèbres.

Amis de la science et de Pasiphaé,
Ils cherchent le silence et les cris de la fée;
L’Erèbe les eût pris aussi bien que l’Euripe,
S’ils pouvaient au servage gémir, pleurer, prier.

Ils prennent en songeant le sévère portique
Des grands sphinx allongés au Théâtre Français,
Qui semblent s’endormir aux feuillets souvent lus;

Leurs reins féconds sont pleins d’une profonde nuit,
Et des parcelles d’or, plus belles que vos jours,
Etoilent vaguement les grands pays muets.

bl

Après le sommeil des grandes années fluviales — 1987 (2)

Xavier BordesLa pierre amour

Sonnet – Après le sommeil

Après le sommeil des grandes années fluviales
Voici que s’approche le jeu d’argile de l’été;
La terre qui durcit dans la fournaise du jour
La forme qui se creuse dans les golfes de lave.

Debout seul à parler du temps, des roses, des saisons
Cultivant les friches du langage, et seul, de profil
Tranchant sur le froid des étoiles environnantes,
Je jette mes regards dans les gouffres interdits.

Je sais entendre, qui chante, le temps, dans les âmes,
Une complainte de tristesse et de séparation …
Je sais l’Eveil, et le torrent des images cachées;

Et le sens qui plaque sur l’orgue profond des forêts
Un accord continu qu’arpègent les saisons:
Je m’absente au pays qui remplit ma raison.

bl – m.irr

O ceci est la bête qui point n’existe. — 1987 (1)

Roger Lewinter – (trad. des Sonnets à Orphée de Rilke) –

2, IV

O ceci est la bête qui point n’existe.
Point ne le savaient et l’ont à toute fin
– son évoluer, son port, son cou, jusqu’à
la lumière de l’impossible regard – aimée.

Point n’était certes. parce que l’aimaient pourtant,
bête pure se fit. De l’espace toujours laissaient.
Et dans l’espace, clair et d’économie,
la tête leva légère et eut à peine

besoin d’être. La nourrissaient non de grain,
seul du possible, toujours, qu’elle fût.
Et voilà qui telle force à la bête donna

Qu’elle poussa de soi une corne au front. Licorne.
près d’une vierge vint à passer blanche –
et dans le miroir d’argent et en elle, fut.

bl – m.irr – tr